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De quelle démocratie parlons-nous?
Publié dans Business News le 25 - 06 - 2019

Les huit années depuis la révolution en Tunisie ont permis de mette en place les jalons d'un système démocratique. Des progrès certains ont été réalisés.
Une série d'élections ont été organisées, reconnues comme étant globalement libres et transparentes. Des institutions d'Etat émanant de ces élections ont été mises en place, comme l'Assemblée nationale constituante en 2011, un parlement en 2014, des présidents de la République en 2012 et 2015, plusieurs gouvernements, ou des conseils municipaux en 2018. Des transferts pacifiques successifs de pouvoir ont eu lieu, respectant le vote populaire.
Le pays connait aussi une liberté d'expression sans précédent, la délibération publique étant une composante essentielle d'un système démocratique. Que cela soit par les biais des partis politiques, des publications, des débats et rencontres, des médias traditionnels ou bien des médias sociaux, le pays est en effervescence continue.
La Tunisie est considérée en « transition démocratique ». Selon une classification récente, largement utilisée, des systèmes politiques au niveau international, la Tunisie obtient un score de 7 sur un maximum de 10, qui est obtenu par les pays les plus démocratiques comme la plupart des pays européens, le Japon, le Canada ou l'Australie. La Tunisie est jugée comme étant une démocratie, mais elle est encore imparfaite.
Mais au-delà de ces scores et appréciations ponctuelles, est-ce que nous sommes vraiment en train de réussir cette construction démocratique ? Est-ce que le système que nous avons mis en place est à même de créer les conditions d'une meilleure gouvernance et permette des « gains » importants en matière de gestion des affaires de l'Etat, de croissance économique et de progrès social. Est-ce qu'il est et sera-t-il capable de relever les défis du pays. Ou bien est-il en train d'approfondir la crise de son Etat et de son économie ?
Cette question n'est pas propre à la Tunisie. La Tunisie s'est engagée depuis 2011 dans un processus de mise en place d'un système de gouvernance démocratique au moment même où la démocratie était entrée en crise au niveau mondial. Même dans les pays qui ont un score de « démocratie » élevé de leur système politique, la démocratie est remise en question !
Une revue des difficultés que rencontre la démocratie nous permettra aussi de mieux comprendre l'expérience récente de la Tunisie et les perspectives de voir notre pays réussir son expérience démocratique.
Crise et carences de la démocratie
Les systèmes politiques démocratiques ont montré une incapacité dans plusieurs pays à répondre à certains défis et problèmes majeurs comme l'accroissement des inégalités et la concentration sans précédent des richesses, engendrés par le progrès technologique et la globalisation, le changement climatique et ses répercussions planétaires, ou la préservation des libertés individuelles. Cela a donné lieu à une instabilité politique dans plusieurs des pays, et même la réémergence et le succès des mouvements populistes, surtout de droite, qui remettent en cause les systèmes en place et les élites politiques considérées comme corrompues.
Les problèmes et difficultés que confronte le système démocratique dans les pays avancés et a longue tradition démocratique sont aussi présents dans les pays en développement, sinon avec plus d'acuité. Ils sont aggravés par les conditions prévalentes dans ces pays où les institutions de base pour le fonctionnement démocratique ne sont pas suffisamment bien établies, telles que l'indépendance de la justice, l'existence d'institutions médiatiques puissantes et indépendantes, ou bien des partis politiques ancrés. La situation est encore plus problématique dans les situations de transition démocratique, comme celle de la Tunisie qui est en train de mettre en place un tel système dans des conditions difficiles.
Au vu de ces difficultés, les leçons d'expérience ainsi que les analyses et études nous ont appris que la réussite de la démocratie et sa pérennité nécessitent un dépassement de sa compréhension comme un simple processus électoral, ou une série d'élections. La pratique de la démocratie qui ne valorise que les processus électoraux est vouée à l'échec. La réussite de la démocratie nécessite la mise en avant de correctifs à cinq carences qui peuvent frapper un système démocratique : (i) le manque de contestabilité effective du pouvoir, (ii) le contrôle du processus démocratique par les intérêts particuliers et spécifiques, (iii) la faible qualité de la délibération publique, (iv) la déconnexion du processus électoral de la performance des élus et (v) le manque de mécanismes complémentaires de décisions collectives. Ces carences ont largement entaché l'expérience démocratique tunisienne.
Le principe central de la démocratie est celui de la « contestabilité » du pouvoir : chaque acteur politique doit avoir les mêmes chances d'accéder au pouvoir et surtout de remplacer ceux qui le détiennent, à la faveur d'un choix souverain et libre du peuple. Ceci exige en premier lieu que les institutions de l'Etat soient neutres dans le jeu politique, et qu'elles ne puissent pas être instrumentalisées par un groupe politique au détriment des autres. Le plus grand danger pour la démocratie est son utilisation comme un simple instrument pour contrôler l'Etat et pour pérenniser la main mise d'un groupe particulier, qui a eu la chance de réussir à accaparer le pouvoir à un moment donné, sur les structures et institutions étatiques. Plusieurs mécanismes sont utilisés à cet effet pour protéger les institutions étatiques de l'influence excessive et la domination des mouvements politiques partisans. Parmi les institutions qui sont à protéger on cite communément : les forces militaires et de sécurité, le système judiciaire, et l'Administration publique. On peut citer aussi des institutions qui sont souvent établies en tant qu'instances indépendantes, comme la Cour Constitutionnelle, celles qui veillent sur les élections, sur le fonctionnement et la régulation des médias, ou sur la politique monétaire comme la Banque Centrale.
Pendant la transition politique en Tunisie, l'objectif essentiel des partis politiques et des candidats aux élections, a été d'accéder au pouvoir pour contrôler les rouages et institutions de l'Etat. Malgré les discours, et même les institutions indépendantes créées à cet effet, l'essentiel de l'action politique a été de réaliser ce contrôle par le biais des choix de membres des institutions « indépendantes », la nomination des hauts cadres de l'Administration et des entreprises publiques, le contrôle de l'appareil judiciaire et même sécuritaire. Par exemple, des luttes dures ont marqué le choix des membres du Conseil Supérieur de la Magistrature, ou de l'Instance Supérieure Indépendante pour les Elections. La Cour Constitutionnelle n'a pas vu le jour à cause des luttes pour influencer et choisir ses membres, l'enjeu étant de taille.
Que cela soit lors du gouvernement de la Troïka ou bien ceux d'après les élections de 2014, l'exercice du pouvoir s'est concentré sur le contrôle de ces rouages. Cela pervertit les institutions, fait prévaloir la « loyauté » sur la compétence et réduit la capacité des institutions de l'Etat à assurer le service public, à concevoir les politiques et à les appliquer. Le jeu politique devient un jeu existentiel où l'enjeu de gagner ou perdre met en cause la possibilité de pouvoir participer dans le futur au processus électoral sur la base de l'égalité des chances. La caractéristique essentielle de la démocratie est pervertie !
Les entraves à la « contestabilité » du pouvoir ne se limitent pas à l'infiltration des structures de l'Etat et leur contrôle. D'autres moyens sont souvent utilisés pour pervertir les élections et se maintenir au pouvoir. Des intérêts peuvent faire en sorte à ce que le vote de la majorité soit limité et orienté par divers mécanismes de découragement du vote, de découpage artificiel des circonscriptions électorales, ou tout simplement la fraude. Par exemple, aux Etats-Unis le mécanisme de découpage des zones électorales est souvent utilisé pour s'assurer que dans certaines circonscriptions électorales, des majorités très confortables, selon la composition ethnique, économique et sociale, soient constituées favorisant un parti donné et pérennisant les candidats sortants.
Dans d'autres cas, comme dans la récente révision de la loi électorale adoptée par le parlement en Tunisie, des lois sont utilisées pour exclure certains concurrents potentiels. Les conditions imposées aux candidats sont taillées sur mesure, sont appliquées de manière rétroactive, et sans respect des délais raisonnables pour la mise en application. Les gouvernements et les acteurs politiques en place utilisent les moyens de l'Etat, comme c'est le cas actuellement, pour promouvoir leur agenda personnel et gagner des avantages par rapport à leurs concurrents. Ce sont des mécanismes et des moyens qui remettent en cause la légitimité et la confiance dans le système démocratique.
Tous ces mécanismes tendent à augmenter les taux d'abstention dans les élections, et le citoyen se désintéresse des élections.
Le deuxième danger pour la démocratie concerne le contrôle du processus démocratique par les intérêts particuliers et spécifiques, et surtout la mainmise des groupes les plus riches et des entreprises les plus puissantes sur l'agenda et les choix politiques, économiques et sociaux. Les partis politiques et les politiciens sont de plus en plus dépendants pour financer leurs activités et campagnes électorales de ces intérêts, au détriment du bien collectif et des intérêts de la majorité des citoyens. Ils tendent de moins en moins à représenter les intérêts les plus larges, et à défendre et poursuivre « l'intérêt public ».
Pour refléter la volonté populaire large, les processus démocratiques, aussi bien lors des élections que lors de l'exercice de l'activité politique gouvernementale ou législative, doivent veiller à assurer la plus grande participation au vote, et ne doivent pas être soumis à une influence excessive des intérêts particuliers surtout financiers. Les règles formelles, mais aussi des normes éthiques et de morale doivent régir le fonctionnement du système. Des limites sont à imposer sur le financement des activités politiques par les intérêts particuliers.
La demande est de plus en plus pressante à mettre en place des mécanismes de « démocratie participative » qui permettraient de dépasser les mécanismes de la « démocratie représentative » et prendre en considération de manière plus directe les préférences et les intérêts du plus grand nombre de citoyens. Les technologies modernes sont utilisées pour faciliter et rendre plus efficaces les instruments de la démocratie participative.
L'intrusion de l'argent dans la vie politique en Tunisie, qui était inévitable pour conduire des activités politiques fort coûteuses, a pris des proportions insoupçonnées. Les tentatives de contrôler et de limiter cette influence ont donné peu de résultats. Les mécanismes mis en place se sont avérés impuissants. Ceci n'a pas manqué de réduire la qualité de la représentativité démocratique et la proximité des préoccupations du politique des problèmes du citoyen. La situation n'a cessé de se dégrader avec l'intrusion de l'argent mal acquis et des groupes de pression mafieux dans le système politique.
Le troisième danger pour la démocratie est relatif à la faiblesse de la qualité de la délibération publique. Dans un système démocratique, l'élection est un mécanisme pour conclure des délibérations publiques et arriver à une décision collective, qui serait acceptée par tous comme légitime. La qualité de la délibération publique est essentielle pour le succès de la démocratie. Lorsque la délibération publique n'a pas lieu, elle est insuffisante, ou elle est mauvaise, la démocratie ne permettra pas une vraie participation des citoyens à la décision, ni de répondre à leurs besoins et de résoudre les problèmes collectifs du pays.
Ce risque peut se produire pour plusieurs raisons, par exemple par le déplacement par les politiciens de l'attention des électeurs vers des thèmes secondaires mais mobilisateurs de leurs émotions et ressentiments de peur des « autres ». Par exemple, dans les débats récents en Europe et aux Etats-Unis, on utilise les « migrants » comme bouc-émissaire à tous les maux des sociétés. Même dans un pays où il n'y a presque pas d'immigration comme la Hongrie, le mouvement politique dominant ne cesse d'utiliser le danger de la migration pour mobiliser l'opinion publique. Les causes profondes des inégalités, du chômage, du déclassement dans le travail, que sont le progrès technologique, la globalisation et le système économique font à peine l'objet de débats !
La complexité de plus en plus grande des problèmes que les sociétés confrontent, et les divergences d'intérêts des divers groupes de la société ont mis à mal la capacité des systèmes représentatifs à trouver les compromis basés sur la rationalité, et à prendre des décisions qui obtiennent l'assentiment du public. On observe de plus en plus l'émergence de mouvements politiques qui font appel à l'affectif, et à ce qui est réducteur pour faire face à la complexité. En Tunisie nous observons l'utilisation de la pauvreté et de la misère pour mobiliser l'opinion publique, sans fournir la moindre proposition sur la manière de répondre à ces défis. Le débat politique est de moins en moins imbu de rationalité, il valorise plus les prises de position basées sur les mensonges, les rumeurs et les émotions.
Les technologies modernes ont aussi compliqué l'exercice de la démocratie, en facilitant l'organisation de la contestation, l'action politique dissidente et en fragmentant l'espace public. Cette fragmentation a permis le développement des extrémismes de toute sorte, et rendu plus difficiles que jamais les compromis qui sont à la base de la logique démocratique.
L'expérience tunisienne souffre de ce problème, avec une mauvaise qualité du débat public, où prévalent le sensationnel, les fausses nouvelles, l'exagération, et le manque de rigueur. L'expertise est ignorée ou non-appréciée, les chambres à écho foisonnent, et la mauvaise foi omniprésente.
Le quatrième danger pour la démocratie est la déconnexion du processus électoral de la performance des élus. Ceux-ci peuvent continuer à se faire élire indépendamment du degré de leur réussite ou échec à réaliser leurs promesses électorales, et à résoudre les problèmes, défis et aspirations de leurs électeurs. Cette déconnexion résulte à la fois de la perversion du système électoral et de la mauvaise qualité des délibérations publiques.
Ce risque s'est matérialisé pleinement en Tunisie, avec un système politique qui est devenu totalement dysfonctionnel. La plupart des partis politiques sont fragiles et en recomposition permanente. Ils sont incapables de développer des visions et des programmes qui guident leur action, ce qui permettrait à l'électeur de se décider pendant les élections. Le manque de discipline au sein des partis politiques, le tourisme politique et la prévalence des intérêts personnels ont entrainé un manque total de confiance du citoyen dans les partis politiques et des politiciens. Parfois il est devenu impossible de savoir quel parti est dans le gouvernement et quel autre ne l'est pas ! Les individus changent d'appartenance et d'allégeance allègrement ! La « reddition de comptes » réelle devient impossible aussi bien pour les partis qui ont gouverné que ceux qui font partie de l'opposition.
Le manque de « reddition de comptes » se manifeste aussi au niveau du gouvernement, car il est souvent difficile de savoir qui « gouverne » vraiment et qui doit être tenu responsable des résultats obtenus. Les confusions introduites quant à celui qui désigne vraiment le chef du gouvernement, à qui il répond, et quant à la responsabilité concernant la performance du gouvernement ou de ses membres, rendent quasiment nulle la capacité du citoyen à délimiter les responsabilités et de voter en conséquence.
Certes l'électeur a eu l'occasion de pénaliser certains partis politiques comme Ettakatol ou le CPR, suite à leur participation à la Troïka et son échec. De même les partis Ennahdha et Nidaa Tounes ont été pénalisés, chacun lors de l'échéance électorale qui a succédé son premier succès majeur. Mais ils ont continué à gouverner. La déconnexion entre le citoyen et les partis politiques est totale, ce qui compromet fortement le processus démocratique. Les récents sondages politiques montrent que le citoyen tunisien rejette de plus en plus les partis politiques traditionnels, il est attiré par les mouvements et projets « populistes » qui se présentent comme en rupture avec le « système ». C'est l'ère de tous les dangers pour la démocratie ! Ces dangers peuvent venir aussi bien des « nouveaux acteurs », que des acteurs en place qui voudront les « contenir » ou même les éliminer du jeu.
Finalement la démocratie ne se réduit pas à des processus électoraux, et nécessite des mécanismes complémentaires de décisions collectives. L'organisation sociale réussie ne doit pas se limiter à des processus compétitifs comme le sont les élections. Les sociétés ont aussi besoin de processus de coopération qui permettent d'arriver à des consensus sur des questions fondamentales qui doivent régir le « vivre ensemble ». Le processus électoral n'est pas susceptible de résoudre certains problèmes complexes. L'expérience du Royaume-Uni dans la gestion du problème du Brexit est éloquente. Un tel sujet est complexe et la réduction de la question de l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union Européenne à une question de « oui ou non », à laquelle on répond lors d'un référendum, a été à l'origine de la plus grande crise politique de ce pays. Utiliser le processus électoral, soit un référendum dans ce cas, était une erreur, car elle ne permet pas de prendre en considération la complexité et les aspects multiples du problème. Le pays avait besoin d'une délibération sereine et approfondie autour d'une question aussi fondamentale.
Les choix fondamentaux d'un pays nécessitent consensus et coopération. Des mécanismes appropriés doivent être mis en place pour de telles questions. La compétition électorale reste cependant essentielle pour choisir et évaluer les programmes et actions spécifiques proposées par les candidats aux élections.
En Tunisie, l'accord sur la Constitution de 2014 a été en grande partie réalisé grâce à un consensus qui s'est fait dans le cadre du Dialogue National, qui est un mécanisme complémentaire au processus électoral. Depuis cette expérience les tentatives d'arriver à des consensus similaires dans le domaine économique et social, en particulier dans le cadre du processus de Carthage I et II, ont échoué. Le processus électoral a continué à dominer, et peu de progrès ont été réalisés dans la réalisation des choix fondamentaux qui engagent l'avenir du pays et de la société. Les conflits et fortes tensions politiques et sociales ont continué à handicaper la gestion des affaires publiques.


Leçons et implications
La première leçon de cette discussion est que le pari de la transition démocratique n'est pas gagné en Tunisie. Le chemin reste long et semé d'embuches. La démocratie n'est pas un résultat, mais un processus qui est en construction continuelle. Les imperfections du système sont multiples et peuvent être utilisées par ses détracteurs pour arrêter le processus et même l'inverser. Si jamais cela arrivait, le coût très élevé payé par la Tunisie pour les acquis réalisés l'aura été en vain ! Il est impératif de reconnaitre les insuffisances et carences du système et ne pas se complaire dans « les acquis » et « la réussite » qui ne sont que relatifs et largement insuffisants. Il y a beaucoup à faire pour que la démocratie en Tunisie devienne solidement ancrée et acceptée.
La deuxième leçon est que la démocratie ne doit pas être comprise et pratiquée simplement comme une succession d'échéances électorales. Ce serait non seulement réducteur, mais dangereux pour le succès et la consolidation de la démocratie. Celle-ci est un ensemble de règles et de modes de gestion des affaires publiques destinés à satisfaire les besoins et les aspirations de la population. Elle ne doit pas être instrumentalisée au profit de quelque groupe ou minorité au détriment du reste. A défaut de réussir ce test la démocratie serait remise en cause et perdrait sa légitimité. Dans ce cas les gouvernants issus du processus démocratique perdraient leur légitimité aussi.
La troisième leçon est que la correction des dysfonctionnements de la démocratie nécessite plusieurs actions et réformes, qui ne se limitent pas au code électoral ou bien à la répartition des pouvoirs au sein de l'exécutif. Aussi importantes qu'elles puissent être, de telles réformes seraient insuffisantes pour corriger les carences de la démocratie. D'autres réformes doivent toucher les modalités de fonctionnement des partis, le financement des activités politiques, ou la protection des institutions de l'Etat de l'influence excessive des acteurs politiques. Pour ce dernier aspect, des règles plus claires et fortes doivent être mises en place pour garantir la neutralité des services de sécurité, de justice, des services administratifs et techniques et pour protéger la compétence et le savoir-faire des technocrates, tout en les responsabilisant.
La quatrième leçon est que les tentations de vouloir « préserver la démocratie » en modifiant ses règles pour « corriger certains des dysfonctionnements » doivent être traitées avec beaucoup de réserve et de méfiance. Elles ne sont souvent que des moyens pour pervertir la démocratie selon les conjonctures et contingences politiques. Elles sont à combattre, car elles sont plus graves que le mal qu'elles font semblant de vouloir remédier.
La cinquième implication est la nécessité de compléter les mécanismes électoraux par d'autres qui assurent des décisions collectives concernant les questions fondamentales pour la stabilité sociale et institutionnelle. Cela est particulièrement important pour les choix économiques et sociaux fondamentaux comme la question de la justice sociale, les rôles respectifs du secteur privé et de l'Etat dans l'économie, ou bien la gestion des relations sociales.


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