Plus que quelques jours séparent les Tunisiens de l'élections présidentielle anticipée. La libération de Nabil Karoui, candidat au second tour du parti Qalb Tounes, sur décision de justice vient insuffler une nouvelle dynamique à la campagne électorale compromise à cause de l'inégalité des chances entre les deux candidats. Arrêté subitement au péage de Medjaz el Bab, Nabil Karoui a été libéré dans la soirée d'hier, au moment où personne ne s'y attendait. C'est suite au jugement de la cour de cassation que Nabil Karoui a été libéré. Son arrêt de cassation a été considéré comme "historique" par plusieurs juristes dans la mesure où la cour a assuré que le candidat de Qalb Tounes avait subi un déni de justice et que la chambre des mises en accusations avait commis une erreur en émettant le mandat de dépôt à son encontre. Cependant, libéré 48 heures avant le silence électoral, Nabil Karoui pourra-t-il disposer de suffisamment de temps pour prendre contact avec ses électeurs, faire connaître son programme et se défaire de l'image d'ancien prisonnier ? La réponse n'est pas évidente, mais sa libération pourrait réduire ses chances d'obtenir gain de cause lorsqu'il déposera un recours contre les résultats des élections, en cas d'échec. Déjà que tous les observateurs et les analystes redoutent le scénario d'une éventuelle annulation des élections, cette hypothèse pourrait avoir de graves répercussions sur le cheminement de tous le processus électoral, les délais constitutionnels et le blocage institutionnel.
Aujourd'hui Nabil Karoui, bien que ne bénéficiant que de quelques 48 heures pour mener sa campagne en homme libre, aura l'occasion de donner son unique grande interview, comme ce fût le cas pour son adversaire, Kaïs Saïed. Une interview qui sera diffusée sur la chaîne d'El Hiwar Ettounsi, ce soir même. L'interview de Kaïs Saïed aura, elle, été diffusée sur la télévision nationale. En même temps, la télévision nationale a, finalement, réussi à programmer le débat présidentiel tant attendu par les Tunisiens entre les deux candidats. Le débat sera interactif et permettra aux électeurs de connaître la position de chacun de Nabil Karoui et de Kaïs Saïed, sur les grandes questions. Les deux candidats à la magistrature suprême pourront débattre des programmes et des idées qu'ils prônent. C'est dire que ce débat, bien qu'organisé à la veille du silence électoral, peut être décisif pour la détermination d'un choix pour plusieurs électeurs qui ne savent toujours pas pour qui voter. Restant chacun dans sa zone de confort, les deux candidats aux antipodes, tant au niveau des orientations, du caractère et des programmes, pourront se confronter et essayer de faire convaincre les Tunisiens. Cet exercice peut être un fiasco pour l'un comme pour l'autre. Aux caractères bien trempés, aucun des deux adversaires n'a le droit à l'erreur, sauf que le risque de déstabilisation reste élevé. Cette dernière ligne droite est certainement très importante pour chacun d'eux. En effet, l'as de la communication a été privé de parole durant toute sa campagne électorale. Il aura quelques heures pour rattraper son retard face à un Kaïs Saïed à l'arabe littéraire parfait, au ton monocorde et au visage impassible. Kaïs Saïed, qui a préféré suspendre sa campagne électorale pour respecter le principe de l'égalité des chances, aura face à lui un Nabil Karoui dynamique, habitué des caméras, mais fragilisé par un passage derrière les barreaux.
Mais la dernière ligne droite de la campagne ne concerne pas uniquement les deux candidats. La libération de Nabil Karoui en a surpris plus d'un. Ses détracteurs ont été pris de court, et ont été obligés de revoir leur stratégie allant jusqu'à la publication sur les réseaux sociaux de l'interview réalisée avec Ari Ben-Menashe, lobbyiste et patron de l'agence canadienne Dickens & Madson avec laquelle Nabil Karoui aurait signé un contrat de lobbying, bien que la chaîne ait reporté la diffusion prévue ce jeudi 10 octobre 2019 à 19h45, à une date ultérieure au deuxième tour de la présidentielle.
En tout état de cause, l'arrestation de Nabil Karoui, tout comme sa libération laissent poser de multiples questions quant aux motifs exacts de ces décisions. Tout le monde veut bien croire en l'indépendance de la justice, reste que le timing choisi pour les deux opérations laisse planer le doute et l'éventualité d'une ingérence politique dans le pouvoir judiciaire. A quelques heures du silence électoral, la Tunisie vivra, probablement, la campagne présidentielle la plus rapide de son histoire et dont les enjeux sont bien plus grands.