Reposez en paix vous jeunes de Kairouan et d'ailleurs qui tombez tous les jours victimes expiatoires de l'incurie et de la cupidité de vos concitoyens. Vous êtes morts pour rien. La vie continue comme si de rien n'était. Ceux qui nous gouvernent dorment du sommeil des anges, la conscience tranquille. Des familles foudroyées dans leur avenir et dans cette assurance-vie que sont leurs enfants. Aucun mot de compassion pour elles. Aucun réconfort pour ces âmes éplorées. Comme si les victimes n'étaient pas des êtres chers qui n'ont commis d'autre crime que de vouloir s'amuser un peu. Ou si. Celui d'être, jeune, pauvre, chômeur et de « derrière les panneaux ». C'est vrai qu'avec ces atouts là, on ne va pas bien loin et le cimetière est souvent la première station. Ma peine est grande et rien ne saurait la tempérer.
Qu'il est difficile d'être jeune dans mon pays ! Qu'il est difficile d'y survivre ! Qu'il est difficile de continuer à l'aimer ! Qu'il est difficile d'y envisager mon lendemain ! Ce pays ne peut pas être le mien ! Rien ne m'y retient. Ai-je choisi de le faire mien ? J'y suis né, c'est tout. Je n'en tire ni gloire ni honte. Depuis, rien ne m'a été donné. Rien ne m'a été épargné. Rien ne m'a fait l'aimer. Ou alors, cela n'a pas duré longtemps. Grand est mon désarroi. Sait-on seulement que j'existe ? Que j'ai droit à ma part d'horizon. Est-ce qu'il y'a quelqu'un pour me donner la main, me montrer le chemin ? Dois-je mourir pour avoir droit à la vie, pour être reconnu ? Des vies happées à la fleur de l'âge. Des destins fracassés. Qu'ont-ils vu dans leurs brèves vies ? Que des interdits. Des regards obliques. Des portes closes. Des stations ratées. Des « repassez demain ». Des « vous n'avez pas le droit ». Des « rentrez chez vous ». Des « fais-moi plaisir ». Des arrestations musclées et autres cabales. Peuvent-ils compter les moments de joie ? Ont-ils juste connu le goût d'un baiser fut-il tarifé ? Un mien ami qui, il y'a longtemps conseillait à un jeune de son quartier de ne pas s'adonner à ces produits dangereux pour sa santé, a reçu cette réponse cinglante : « Ma vie est celle d'un chien, ma mort le sera aussi ». Et vous venez après cela leur reprocher de vouloir s'éclater. De goûter, ne fut ce qu'en songe, à cette vie rêvée. Quel crime ont-ils commis sinon le plus grand, celui d'attenter à sa propre vie ? C'est finalement de cela qu'il s'agit. Ils n'ont menacé aucune autre vie. Ni pris à autrui. Ils ont juste utilisé ce qu'ils peuvent posséder pour s'enivrer. C'est-à-dire rien. Parce que tout le reste est inaccessible. Hors de portée de leurs bourses et négocié au noir par des gens protégés que tous les interdits imbéciles arrangent parce que source d'enrichissement illicite et de corruption qui gangrène notre société. Suprême hypocrisie coupable. Tout est toléré sauf l'alcool et surtout quand sa vente est licite, autorisée et en règle.
L'affaire est vendue, ficelée. Ce sont des mécréants. Ils n'ont que ce qu'ils méritent. Personne n'osera les soutenir. Comptez-vous les vouer aux gémonies y compris ceux qui ont compati ? Mais, ils n'ont que faire de votre paradis. Ils feront tout pour ne pas y aller, parce qu'ils risquent de vous y trouver (quoique !!!). Vous leur parlez de votre réussite. Mais ils n'en ont cure. Quand ils voient votre réussite, ils ont envie d'échouer. Alors, si vous n'avez rien à leur proposer, au moins foutez leur la paix. Ce qui s'est passé à Kairouan et ailleurs, tous les jours, en moindre proportion illustre de mon point de vue « l'écroulement central » d'une société. Un échec sociétal total. La vitalité d'une société se mesure à l'aune de la place qu'elle accorde à sa jeunesse et sur la manière dont elle la traite. Nul besoin de la dynamiter de l'extérieur, elle s'effondre d'elle-même. On ne pousse pas les jeunes au désespoir et venir après leur reprocher d'utiliser les armes du désespoir.