Quand on parle du grand Stade Tunisien du début de l'indépendance et des années soixante, on cite souvent les noms de Diwa, Braiek, Sghaier, Cherif, Kerrit, Nahali.., mais on oublie celui de Mahmoud Mosbah Radsi, coriace latéral droit et véritable point de force de ce ST taille Super XXL. Après avoir raccroché à un âge avancé, à 34 ans, l'enfant de la banlieue de Radès était longtemps resté dans le club de ses premières amours en qualité de garde-matériel. Il évoque pour nous avec nostalgie et amour ce temps que les moins de …soixante ans ne peuvent pas connaître. Mahmoud Radsi, dites-nous d'abord qu'a représenté le Stade Tunisien pour vous ? Toute ma vie. La famille qui m'a adopté et éduqué, me donnant la notoriété et l'amour de tout le monde, je crois. Et la ville de Radès d'où vous tirez votre surnom ? C'est la mère nourricière. Si un jour je suis condamné à aller ailleurs, je me sentirai mourir à petit feu. C'est aussi la ville du basket. Aucun club n'a gagné autant de titres. Dans les années quarante, cinquante et soixante, les baraques au bord de la plage voyaient s'y installer, l'été venu, la noblesse tunisoise. Une ambiance incomparable tout au long de la saison estivale, avec des repas somptueux, la musique le soir, un raffinement total, une joie de vivre insoucieuse. J'y coule maintenant des jours paisibles entre le café et mon foyer du côté du quartier Lamrah. Quel est votre meilleur souvenir ? Ce n'est pas à proprement parler un fait précis, une date prestigieuse, non. C'est plutôt le fait d'avoir vécu avec mes coéquipiers dans le respect total et dans une parfaite symbiose. Tout comme du reste avec les joueurs des autres clubs. En notre temps, un joueur ne piétine pas son rival comme cela se fait aujourd'hui, et ne fait pas comme si de rien n'était. Ces pratiques-là, nous ne les connaissions pas. Et le plus mauvais ? La finale du 28 mai 1961. Nous partions largement favoris. Après une première édition le 23 avril 1961 soldée par un nul (0-0), nous allions être ridiculisés. L'Avenir Musulman (actuel Avenir Sportif de la Marsa) l'emporte (3-0). Nous n'étions pas en forme ce jour-là et avions mal joué. Eh bien, les Marsois nous ont surpris. La coupe en poche, ils nous ont élégamment invités à un dîner à la Marsa. C'était une belle leçon pour le ST. Une sorte de rappel à l'ordre. L'Avenir nous a rappelés à davantage d'humilité. Quelle a été votre meilleure rencontre ? En rejoignant le ST en provenance de l'Etoile Sportive Radésienne, j'ai disputé un grand match face à l'Espérance de Tunis dont j'ai réussi à neutraliser la ligne offensive composée de Hedi Feddou, Abderrahmane Ben Ezeddine, Abdelmajid Tlemçani et Moncef Klibi. A quel gardien avez-vous marqué votre plus joli but ? Au légendaire portier du Club Africain, Zarga. Ma frappe était tellement puissante que le ballon s'est «encastré» dans la lucarne des buts du stade Zouiten pour ne plus ressortir. C'était le but égalisateur (1-1). Vous avez raccroché à 34 ans. Quel est le secret de votre longévité ? Chaque fois que j'annonçais ma retraite, mes présidents Ali Cherif, puis Ajmi Slim me demandaient de rester une saison supplémentaire. De prolonger le plaisir, comme on dit. En fait, il n'y a aucun secret dans cette longévité, si ce n'est une hygiène de vie impeccable. Quels sont les dirigeants qui vous ont marqué le plus ? Le président Ajmi Slim et le grand dirigeant Slah Damergi m'ont beaucoup aidé et fort bien encadré. Leurs conseils furent très précieux dans ma carrière. C'étaient des pères pour moi, je ne pouvais jamais leur refuser quoi que ce soit. Pour leur part, Moncef et Rachid Cherif m'invitaient chez eux, c'est-à-dire au foyer d'Ali Cherif, notre président qui était aussi président du Tribunal militaire. Leur mère Zina m'aimait beaucoup. Quelle différence trouvez-vous entre le foot d'hier et d'aujourd'hui? Le foot d'aujourd'hui est beaucoup plus rapide. Jadis, celui qui tient le plus le ballon et dribble le maximum de joueurs était considéré le meilleur. Ce jeu-là n'a plus cours. Et puis, l'argent n'avait pas encore pollué les cœurs et les esprits. De quel ordre étaient les primes que vous touchiez ? Notre trésorier Hassen Bennour nous offrait trois, quatre ou cinq dinars pour une victoire dans un match important. Cela n'a absolument rien à voir avec ce qui se passe aujourd'hui. C'est le jour et la nuit. Etes-vous resté proche de votre club ? J'ai passé toute ma vie au stade du Bardo. J'ai longtemps fait le garde-matériel, et j'ai vu défiler un tas de générations, dont celle de Rached Tounsi qui a planté un jour trois buts dans les filets du gardien de l'Espérance de Tunis, Kamel Karia. Tounsi est le genre de joueur efficace et très fluide dans son jeu. On l'appelait «Saksaka». Si je n'ai pas fait le métier d'entraîneur, c'est sans doute parce que je n'ai pas mené mes études très loin et suffisamment pour pouvoir maîtriser un métier aussi exigeant. Que vous a donné le football? En plus de la célébrité, il m'a prémuni contre la délinquance. Mon père Mosbah Korbi, qui était paysan, est mort alors que j'étais encore jeune. Après le départ du paternel, ma mère Fatma Hachich, qui vient de Oued Souhil, dans la banlieue de Nabeul, a dû travailler comme ouvrière au lycée technique de Radès afin de faire vivre sa famille. La part du sport dans mon éducation et mon épanouissement a été primordiale. Vos parents vous ont-ils encouragé à pratiquer le foot? Ils ne connaissaient rien au foot. Au quartier, on improvisait des ballons de fortune, de chiffon. Le chemin a été long qui m'a permis de rejoindre la sélection juniors où j'ai évolué avec Galard, Skander Medelgi… Si vous n'étiez pas dans le foot, dans quel autre domaine auriez-vous exercé ? J'aurais sans doute été boucher, le même métier pratiqué par mon oncle maternel Mohamed que j'accompagnais d'ailleurs à l'abattoir. J'ai longtemps travaillé avec lui. Parlez-nous de votre petite famille? Avec Fatma, nous avons eu deux filles: Lilia, 54 ans et Ferihane, 51 ans. Enfin, quels sont vos hobbies? J'aime regarder les feuilletons et le foot européen à la télé. J'encourage le Real. J'aime aussi passer du temps avec les amis au café Fafa, au quartier Lamrah, au cœur de la ville de Radès. Propos recueillis par Tarak GHARBI