Il se définit comme «l'antivedette par excellence, quoique je sois un leader-né», une sorte d'antihéros. A l'axe défensif de l'Espérance Sportive de Tunis, il a pris la relève de Noureddine Aloui et Noureddine Jaouani «Baganda», et plus prosaïquement de Driss Ben Messaoud et Naceur Nawar. Parti de Sabbat Dziri, à Tronja, il était aligné gardien de but lors des matches de quartier qui ont forgé son vécu de footballeur d'élite.Voyage dans le foot des années 1960 et 1970 avec Ahmed Hammami, la tour de contrôle de l'arrière-garde et capitaine modèle du club de Bab Souika. «J'ai beaucoup appris d'Ahmed Mohieddine Sghaier, le grand défenseur de l'Union Sportive Tunisienne et de Baganda, avoue Hammami. Je n'étais pas un monstre point de vue technique, mais je savais compenser ce déficit par des qualités techniques supérieures. Au final, j'appartiens aux rares joueurs devenus célèbres grâce au retourné acrobatique, le fameux «ciseau» qui fait se lever le public d'admiration. Avec Hedi Douiri (ASM) et Mohamed Gouchi (CA), je crois avoir été le meilleur spécialiste des ciseaux. Et cela renvoie à mes débuts de gymnaste à la Naceuria. Car, ce geste technique suppose la maîtrise de l'art de tomber.» De chutes, Hammami ne doit pas en avoir connu beaucoup devant les adversaires qu'il était chargé de marquer. Et ce fut pas n'importe qui, loin s'en faut ! Jugez-en par vous-mêmes. «Les plus redoutables d'entre eux furent Amor Madhi (SRS), Mongi Dalhoum (CSS), Hassen Baâyou et Tahar Chaïbi (CA)...Toutefois, le plus grand joueur tunisien que j'ai connu reste incontestablement Noureddine Diwa, un artiste inégalable. Et je sais de quoi je parle. Il a été mon adversaire quand il portait les couleurs du ST, puis mon partenaire quand il rejoignit l'EST dès son retour de Limoges, en France. Là-bas, il s'est imposé comme un meneur de jeu redoutable. Jusqu'à aujourd'hui, il n' y a jamais eu un tel magicien du foot. Tout le monde était admiratif en le voyant jouer, car il sait tout faire avec un ballon», assure, admiratif, Hammami. Autre personnage pour lequel cet arrière central véloce et intraitable voue beaucoup d'admiration: l'entraîneur Abderrahmane Ben Ezzeddine. «C'est le meilleur entraîneur que j'aie connu, observe-t-il. Il me faisait entière confiance, y compris quand je suis blessé. Une confiance aveugle que j'essayais de lui rendre. Je me rappelle qu'en 1969, avant un match face au ST (2-0), j'étais gravement blessé au mollet, les douleurs étaient atroces. J'ai été touché aux entraînements par mon coéquipier Jalloul Aissaoui, un avant-centre certes un peu brouillon, mais qui n'en savait pas moins déstabiliser les défenses adverses. J'ai failli mourir tellement le contact était rude. Au lieu d'un genou, Jalloul avait un marteau ! C'est vous dire l'engagement féroce qui caractérisait les séances d'entraînement où on ne se ménageait guère. On était carrément dans les conditions d'un match. Bref, Professeur Mourali m'a fait une ponction. Pourtant, Ben Ezzeddine m'a aligné ce jour-là. Pr Léger a dit que c'était criminel de me faire participer dans ces conditions à ce match. Pour revenir à Aissaoui, personne ne savait qu'il était d'origine algérienne. Lors d'un voyage avec l'EST en Europe, on nous a refoulés aux frontières allemandes parce qu'il ne disposait pas des autorisations nécessaires. Cela nous a fait perdre beaucoup de temps car on ne pouvait pas le laisser tomber». «Tahar Belkhodja a favorisé le CSS» Champion de Tunisie 1969-1970, Hammami présente la particularité d'avoir remporté la coupe de Tunisie 1964 sans l'avoir disputée (il était remplaçant), et perdu celle de 1971, sans l'avoir jouée également, mais cette fois parce qu'il était suspendu. Quelle scoumoune ! «La blessure de la finale du 16 mai 1971 contre le Club Sportif Sfaxien ne se refermera jamais, soupire-t-il. Nous étions deux joueurs suspendus, Gaddour et moi-même. L'EST a demandé à disputer le match en retard du championnat national contre l'UST avant cette finale afin de pouvoir nous aligner. Seulement, le ministre des Sports de l'époque, Tahar Belkhodja, a favorisé notre adversaire, le CSS, en opposant un niet ferme. J'ai dû suivre la finale devant un téléviseur chez mon ami, le grand handballeur Mounir Jelili». «Une expérience qui n'a pas d'équivalent» De son propre aveu, deux événements ont complètement changé sa vie. «Le premier, mon expérience en République fédérale allemande entre 1966 et 1969, d'abord. Elle n'a pas d'équivalent. Elle m'a tout appris point de vue humain et sportif. Si je n'avais pas vécu là-bas, je ne serais pas aujourd'hui l'homme que vous avez devant vous. Pourtant, j' y étais parti pour oublier un peu une grosse déception amoureuse qui m'a profondément marqué. J'ai payé le prix de cet amour-là. Pourtant, si je dois refaire ce parcours, je le referai doublement», nous raconte-t-il. Cinq fois international Espoirs avec le sélectionneur Mokhtar Ben Nacef, cet ancien délégué médical, père de trois enfants, croque aujourd'hui dans sa retraite sereine à pleines dents dans la méditation, la piété et le recueillement que lui a rapporté le pèlerinage. Et c'est là le deuxième grand tournant de son existence dont il consacra une bonne partie à ses fonctions sportives de délégué de l'EST, et de coordinateur de la commission technique de la FTF. «Je mesure toute l'importance de la communication, une arme redoutable du XXIe siècle», assure cet excellent communicateur qui ne rate aujourd'hui aucune occasion de revoir ses coéquipiers et «adversaires» d'antan. «Non, Gueblaoui ne s'était pas suicidé» Pour lui, l'essence même du foot, bien au-delà des titres et des heures de triomphe, s'appelle l'amitié et la convivialité entre les joueurs de différents horizons. « On en trouve rarement des traces aujourd'hui, déplore ce joueur d'origine sudiste, ses parents venant de Kébili. Pourtant, il n' y a que cela qui reste. Vendredi dernier, nous avons été des dizaines d'anciens joueurs de l'EST, CA, ESS et CSS à nous rassembler au Palais des Sports pour un tournoi de l'Amitié. Qu'est-ce qu'on s'est marré ! On a pris ensemble le repas de rupture du jeûne, avant d'aller tester les restes de nos moyens physiques et techniques sur un terrain. C'est cela le foot : une découverte, l'amitié, l'entraide. D'ailleurs, je garde toujours une blessure profonde. En plus de la déception amoureuse qui m'a décidé à aller tenter ma chance en Allemagne où j'ai porté deux saisons et demie les couleurs de Sportfreunde Siegen, en Regionaliga Ouest, j'ai été mortifié par le décès de mon coéquipier et parent côté maternel Larbi Gueblaoui le 5 août 1978, écrasé par un bus à Bab Laâssal. On a prétendu qu'il s'était suicidé en se jetant devant le bus. La plus grosse injustice a été les dédommagements dont les assurances l'avaient privé, car il ne s'était jamais suicidé.» «Ma mère me parle encore !» «Vous savez, je suis dur mais pas méchant, avoue-t-il. Amoureux des défis mais en même temps introverti. J'ai certains goûts raffinés que je tiens de mon père, cuistot au Tunisia Palace. J'adore la musique d'Oum Kalthoum et déteste le mezoued. J'ai assisté aux deux galas historiques de l'Astre d'Orient au Palais des Sports d'El Menzah les 31 mai et 3 juin 1968. Ce fut un régal. J'ai raccroché à 28 ans seulement afin d'aider mes parents Belgacem Ben Barka Hammami et Khedija Saâdallah, car je suis l'aîné d'une famille de sept enfants. Ma mère me parle toujours, quoiqu'elle soit décédée depuis 2000. C'est, je crois, mon plus grand amour», conclut ce bel homme né en 1944 et qui a signé sa première licence en 1958 au profit du... Club Africain. Et qui allait rejoindre l'EST quatre ans plus tard. Déjà, un premier derby...