L'opposition impose une séance publique après que la présidente de la commission des droits et libertés eut suggéré le huis clos Une atmosphère agitée a accompagné hier l'audition du ministre de l'Intérieur, Najem Gharsalli, au sein de la commission des droits et libertés à laquelle ont assisté une grande partie des députés. Après avoir survolé des questions d'ordre sécuritaire, la présidente de la commission, Bochra Belhaj Hamida, a demandé à ce que l'audition se déroule à huis clos, avec l'approbation des membres de la commission, car, dit-elle, « des informations très précises sur la nature de la menace terroriste allaient être évoquées ». C'est alors que l'opposition frontiste est montée au créneau pour s'opposer à cette demande. « Si nous avons convoqué le ministre de l'Intérieur, c'est pour qu'il s'explique sur la violence organisée des forces de l'ordre contre des manifestants pacifiques », s'insurge Mongi Rahoui qui aura ensuite un accrochage avec les députés nidaistes Ramzi Khemis et Abdennaceur Chouikh. Contrainte de lever la séance, Bochra Belhaj Hamida se réunit dans le bureau du président de l'Assemblée pendant plusieurs heures avec des représentants des blocs parlementaires, et c'est enfin l'opposition qui aura gain de cause en imposant une séance publique, contre l'avis de la majorité des députés de Nida Tounès qui craignent que la séance d'audition du ministre de l'intérieur ne se transforme en une séance d'évaluation du travail gouvernemental. Actes isolés Dans son mot inaugural, le ministre de l'Intérieur s'est défendu contre les accusations portées par certaines figures politique : « Le gouvernement, dit-il, n'a ni la volonté, ni la capacité de nuire à la liberté d'expression ». Concernant les violences policières relevées ces derniers temps, le ministre de l'Intérieur est catégorique : « Ces actes de violence restent isolés et ne correspondent pas à une politique d'Etat ». Najem Gharsalli a déclaré également que les manifestations en ce moment précis étaient délicates. Il a notamment expliqué que l'accompagnement d'une manifestation de l'envergure de celle à laquelle a appelé l'opposition le 12 septembre, pour protester contre le projet de loi sur la réconciliation économique et financière, mobiliserait environ mille (1000) policiers. « Je n'ai pas une réserve d'agents qui attendent que des manifestations soient organisées, dit-il, ces 1.000 policiers, je vais aller les puiser dans des endroits qu'ils sont appelés à sécuriser ». Selon lui, le danger viendrait des terroristes qui tenteraient de profiter d'un quelconque vide pour réaliser leurs forfaits. Dans une déclaration qui sonne comme une mise en garde pour les élus, le ministre de l'Intérieur souligne : « Si un attentat est commis pendant une manifestation, c'en serait fini avec la liberté ». Mais les interventions des députés de l'opposition ont beaucoup plus tourné autour de la répression des manifestants que sur la nécessité d'obtenir une autorisation pour la manifestation de samedi, puisque, sur cette question, les élus du front, du CPR et du Courant démocratique semblent clairs : autorisation ou pas, ils descendront dans la rue. Autorisation ou pas, on y va... C'est en tout cas ce que semble insinuer et même affirmer clairement l'opposition dans toutes ses composantes. Le député Mongi Rahoui va même jusqu'à « soupçonner » la présidence de la République d'avoir « donné des instructions pour réprimer toute protestation contre le projet de loi sur la réconciliation ». « Quand on voit que les violences policières sont signalées dans tout le pays et ont atteint toutes les corporations, alors je ne crois plus au discours du ministre, déclare Ammar Amroussia. Cela devient une violence orchestrée d'en haut ». De son côté, la députée nahdhaouie Hela Hammi a déploré le retour des questions posées du temps de la dictature lors des interrogatoires liés à la foi et à l'appartenance politique. Le ministre de l'Intérieur a tenté de rassurer les parlementaires, en promettant de « poursuivre tout agent coupable de violence non justifiée à l'égard des citoyens ». Soutien des nidaistes Les députés de la majorité, eux, ont apporté leur soutien au ministre et au gouvernement lors de leurs interventions, dénonçant une « dérive » de l'opposition qui en arrive à « douter du bien-fondé des menaces terroristes évoquées par le ministère de l'Intérieur » (dixit Khemaies Ksila). La députée Sameh Dammek (Nida Tounès) rappelle, dans la même lancée, l'attentat perpétré il y a moins d'un mois en Turquie lors d'une manifestation pacifique pro-kurde, tout en appelant l'opposition à être responsable. La responsabilité passe peut-être par le report de la manifestation comme le suggère le député Jalel Ghedira (Nida Tounès). « Pourquoi s'entêter à vouloir organiser la manifestation le 12 alors qu'on vous dit que ces dates sont très sensibles ? Cela n'a aucun sens », martèle-t-il. « En tant que majorité, nous aurions tout aussi bien pu mobiliser la rue en faveur du projet de loi, renchérit, Leila Hamrouni. Mais nous ne l'avons pas fait en respect de la loi sur l'état d'urgence ». « J'applique la loi » « L'état d'urgence, nous ne le respecterons pas, car il est anticonstitutionnel », dit sans cligner des yeux le député du Courant démocratique Ghazi Chaouachi. Anticonstitutionnel ou pas, le ministre de l'Intérieur Najem Gharsalli entend bien en respecter les dispositions. Et il l'affirme clairement dans cette ancienne salle des plénières : « Si vous voulez une autre loi qui respecte la constitution, alors votez-en une, lance-t-il. De toute manière, l'état d'urgence n'est pas permanent, et a priori, il n'y a pas de volonté de prolonger l'état d'urgence ». Toujours est-t-il que sur la question de la manifestation de samedi, on n'est pas avancé. Suite à des échos parvenus au parlement selon lesquels le chef du gouvernement aurait donné son aval pour la marche de l'opposition, Najem Gharsalli a indiqué que l'autorisation, ou pas, des manifestations n'est pas du ressort de la présidence du gouvernement. Il a cependant réitéré sa demande pour que la manifestation soit ajournée à la semaine prochaine.