Le chef du gouvernement aurait pu exhorter ses ministres à s'abstenir d'aller tant à Hammamet qu'à Djerba, c'est-à-dire des deux côtés du clivage qui secoue Nida. N'a-t-il pas asséné un jour qu'il n'est guère le chef du gouvernement de Nida et encore moins celui d'Ennahdha ? C'est clair, le système politique tunisien post-révolution est fondé sur l'émiettement des pouvoirs et des institutions. La Constitution du 27 janvier 2014 le consacre expressément. Le mouvement Ennahdha qui n'en finit pas de tirer les ficelles du pouvoir depuis les élections de l'Assemblée constituante, le 23 octobre 2011, et du Parlement le 26 octobre 2014, en a voulu ainsi. Les autres partis, tous les autres, en sont des complices ou confinés dans la pâle figuration des comparses. Les crises désormais latentes et plus ou moins spectaculaires au sein des deux principaux partis de la coalition gouvernementale en sont témoins. Ennahdha peine à tenir les assises de son congrès depuis deux ans. Nida Tounès est au bord de l'implosion. Et, dans les deux cas, l'exercice du pouvoir en est la principale cause. Pour les observateurs avertis, les deux images des membres du gouvernement dans les deux réunions antagoniques de Nida, ces trois derniers jours à Hammamet et à Djerba, sont problématiques. Les cœurs des protagonistes battent sur des rives opposées. Pourtant, ils appartiennent à la même équipe gouvernementale. Habib Essid aurait pu exhorter les ministres à s'abstenir d'aller tant à Hammamet qu'à Djerba, c'est-à-dire des deux côtés du clivage qui secoue Nida. N'a-t-il pas asséné un jour qu'il n'est guère le chef du gouvernement de Nida et encore moins celui d'Ennahdha ? Nida Tounès est scindé en deux clans. Le premier est mené par Mohsen Marzouk, le secrétaire général du parti. Le second gravite autour de Hafedh Caïd Essebsi, le manœuvrier de l'ombre. En somme, d'un côté, ceux qui tiennent les discours grandiloquents et se réclament de la légitimité institutionnelle; de l'autre, ceux qui ont l'argent, les réseaux en partie occultes et une bonne partie des cadres intermédiaires. Chaque clan jette volontiers l'anathème sur l'autre, mais aucun d'entre eux ne peut se prévaloir de la suprématie au sein des bases du parti. Ces dernières sont, pour l'instant, et en attendant le congrès du parti, silencieuses, dans la bonne vieille tradition du «terroir». Le gouvernement en fait les frais. Habib Essid, chef du gouvernement, ressemble au fameux général de l'armée morte. Ses ministres sont divisés entre les deux clans et l'infinité de tendances intermédiaires. Et la présidence de la République joue les premiers violons dans le concert de la politique politicienne. Lui-même est tiraillé entre ses prérogatives constitutionnelles demeurées lettre morte et son allégeance à la présidence de la République. Il ne fait rien, ne décide rien, ne nomme personne, sans en référer à Carthage. En fait, c'est désormais un secret de Polichinelle. Le locataire de la Kasbah est un fervent séide des maîtres de Carthage. De sorte que Habib Essid se retrouve pratiquement au second rang, non pas derrière le président Béji Caïd Essebsi, mais dans l'ombre de son ministre chef du cabinet présidentiel, Ridha Belhaj. Ce dernier est, paradoxalement, une espèce de grand manitou qui tire les ficelles du jeu au gouvernement, au Parlement et au sein de Nida Tounès. Entre-temps, l'économie stagne, les investissements reculent, les exportations sont en panne, le tourisme est sinistré et le pouvoir d'achat des citoyens dégringole à vue d'œil. Un nouveau phénomène de pénurie de denrées alimentaires de base a vu le jour au cours des dernières semaines. Le ministère du Commerce s'en soucie comme d'une guigne. Slim Chaker, ministre des Finances, a déclaré il y a deux jours que le taux de croissance au cours du dernier trimestre est de 0,2% ! La nouvelle loi de finances n'est pas particulièrement motivante. Elle a tout au plus concédé une réduction du prix de l'essence de 1% et des poussières, alors qu'il en est au quart de son prix depuis plus d'une année. Côté sécuritaire, malgré les avancées des derniers mois, des attentats demeurent toujours non élucidés. Tel celui du 8 octobre à l'encontre de Ridha Charfeddine, député et président de l'Etoile sportive du Sahel, au cœur de Sousse. La prestigieuse ville du Sahel a été visée par trois attentats dont deux particulièrement meurtriers en trois mois. Visiblement, tout va mal et tous les clignotants sont au rouge. Et l'on ne voit guère le bout du tunnel ou quelque frémissement annonciateur de la reprise. Peut-être en serons-nous réduits à la «ro'ya» pour ausculter l'irruption de quelque homme d'Etat véritable, quelque programme de sauvetage ou une panacée à nos infinis maux désespérants. Encore faut-il, entre-temps, conjurer les mauvais esprits et les forces occultes qui régentent la place politique. Parce que, comme l'a si bien dit Goya, le sommeil de la raison engendre des monstres.