Après l'émotion, l'affliction et la consternation, place à la raison. Il est temps de reprendre ses esprits et de se pencher, sérieusement, sur cette question épineuse qu'est le terrorisme, pour pouvoir l'éradiquer. Certes, cette entreprise est difficile, mais n'est certainement pas impossible, à condition, toutefois, de voir plus clairement la situation dans le pays, et bien la disséquer, afin de déceler les défaillances de la politique empruntée et des méthodes employées en la matière. A chaque nouvel attentat, on est attristés, indignés, révoltés et déterminés à venger nos martyrs. Mais, comme le temps est facteur d'oubli, tous ces états d'âme finissent par s'estomper progressivement. Comme si les actes terroristes n'avaient pas eu lieu, comme si le sang n'avait pas coulé, comme si les martyrs n'avaient pas laissé derrière eux des veuves et des orphelins, comme si la sécurité nationale n'était pas menacée. On oublie très vite nos braves remparts qui se sont sacrifiés pour nous, tous les serments qu'on a prêtés pour les venger et toute notre détermination à lutter contre le terrorisme. L'erreur fatale On a baissé les bras et laissé faire nos tortionnaires, depuis que nous avons érigé l'impunité en mode de gouvernance. Tous ceux qui ont, manifestement, participé, directement ou indirectement, à l'émergence du terrorisme dans le pays sont acquittés. Le commencement du règne de la Troïka était le prélude à ces malheurs. Les fondamentalistes, qui étaient invisibles jusqu'alors, sortaient de leurs terriers. Et plus le temps passait, plus ils haussaient le ton, multipliaient et accentuaient les provocations. Ils étaient devenus plus menaçants après les déclarations de leur «cheikh» qui les a invités à patienter pour éviter de commettre l'erreur fatale du FIS, car l'armée, la police et la presse n'étaient pas encore sous leur contrôle. A partir de là, ces «fidèles», dont des malfrats stipendiés, ont envahi les quartiers en y installant leurs tentes de prédication, et les prédicateurs de l'Orient et du Golfe ont été invités pour leur prodiguer les leçons nécessaires, leur permettant de devenir de «bons musulmans». Et voilà que la Tunisie, qui était saluée par le monde entier pour avoir réalisé la plus moderne des révolutions, faisait un retour spectaculaire vers l'âge de pierre. Plus tard, et en bons élèves qui appliquaient à la lettre les enseignements des précepteurs et les recommandations des sages, ces jeunes qui annonçaient une «nouvelle culture» ont élu domicile au mont Châambi pour «pratiquer du sport et faire disparaître le cholestérol». Et avec le temps, ils ont gagné en force et en efficacité. Cette nouvelle carrure leur a donné le courage d'attaquer l'ambassade américaine, ce jour où ils ont surpris le ministre de l'Intérieur en faisant fuir leur chef «par derrière», lui qui s'attendait à le voir sortir de la porte de la mosquée El Fath. Et quand leur organisation a été classée par les Américains comme étant un groupe terroriste, ils ont été obligés d'opter pour la clandestinité ou bien d'aller exercer leurs prouesses macabres hors de nos frontières. Et pour donner plus d'ampleur à leur action, ils ont recruté des jeunes, garçons et filles, leur promettant l'accès à l'éden céleste. Pendant ce temps, les jihadistes qui sont restés dans le pays ont renforcé leur présence au mont Châambi. Tout cela se passait sous le regard du gouvernement de la Troïka et à chaque fois que des voix s'élevaient pour attirer son attention sur la gravité du phénomène et l'appeler à la nécessité d'intervenir pour lutter contre ces fléaux, il les accusait d'agiter des épouvantails. Le résultat ne s'est pas fait attendre, et le cycle de la terreur a été inauguré par l'assassinat de Chokri Belaïd. A partir de là, la Tunisie a pris le mauvais tournant avec les assassinats de Mohamed Brahmi, de nos soldats et de nos agents de l'ordre. Les assassins, les vrais, c'est-à-dire les commanditaires, n'ont été à aucun moment inquiétés et aucun d'eux n'a été appréhendé en dépit de preuves irréfragables dont, notamment, le document émanant de la CIA. L'existence d'une police parallèle, attestée par les syndicats des forces de l'ordre, n'a jamais été si entérinée que lors de l'infiltration de ce document. Et pourtant rien n'a été fait, aucune mesure n'a été prise, faisant, toujours, comme si de rien n'était. Bien au contraire, le gouvernement de «ceux qui craignent Dieu» a essayé par tous les moyens de démentir ces vérités flagrantes comme il l'a toujours fait depuis son accession au pouvoir. Sévir au plus vite Après leur «départ» du pouvoir, rien n'a été fait, aucune enquête sérieuse n'a été entreprise. Et même les déclarations hautement compromettantes faites par le journaliste Moez Ben Gharbia ont été très vite étouffées. L'impunité se poursuit et les gouvernements s'illustrent par leur manque de fermeté à l'égard de questions cruciales dont dépend la sécurité nationale. Ce qui a nourri la polémique entre les syndicats des forces de l'ordre et les magistrats, en raison de la libération de terroristes notoires par certains juges d'instruction. Plus le temps passe, plus la menace terroriste fait boule de neige sans aucune mesure concrète pour en arrêter la course, à part des déclarations enflammées du genre «Nous sommes en guerre contre le terrorisme». Mais, dans les faits, il en est tout autrement, c'est lui qui nous fait la guerre. Les seuls moyens dont nous disposons pour lui faire face sont le courage, les prouesses et l'abnégation de nos valeureux agents de l'ordre et soldats. C'est à eux qu'on doit les derniers succès spectaculaires réalisés dans certaines de nos villes, notamment, Sousse, où ils ont démantelé des cellules terroristes et déjoué des attentats d'envergure. Autrement, le bilan aurait été encore plus lourd. Il est, de ce fait, indispensable de mettre en place une stratégie qui englobe plusieurs autres volets dont, entre autres, le social et le culturel. C'est l'objet du congrès national sur la lutte contre le terrorisme, annoncé, depuis belle lurette, pour septembre 2015, puis, ajourné pour le mois suivant, mais dont on n'a plus entendu parler. La partie qui se trouve derrière cet ajournement incessant, et qui est la même qui s'oppose à ce qu'on donne une définition précise du terrorisme, a un intérêt à ce que rien ne soit fait à ce niveau. Le gouvernement actuel ne fait qu'ajouter à la faiblesse de l'Etat, par ses tergiversations dues, essentiellement, à son défaut d'homogénéité, son manque de rigueur à l'égard des corrompus et des fraudeurs et l'absence de programmes, comme l'ont attesté plusieurs économistes. Mais cette faiblesse est aussi occasionnée par la scission du parti majoritaire qui cristallise toutes les attentions, mobilise les efforts de l'Etat et épuise les énergies qui devraient être utilisées ailleurs, dans l'intérêt général. Il est grand temps que l'Etat prenne les choses en main, qu'il joue son rôle pleinement, en sévissant contre tous les responsables de cette situation d'insécurité. Cependant, la lutte contre le terrorisme passe nécessairement par la répression de la contrebande, l'évasion fiscale, les ulémas réfractaires, qui prêchent la haine et la violence, et la fermeture immédiate des jardins d'enfants et des écoles coraniques, qui enseignent le jihadisme, et des associations caritatives, qui financent le terrorisme. Ce sont les conditions sine qua non de l'union sacrée qui ne peut avoir lieu tant que le loup est dans la bergerie. Sans cela, nous continuerons à recenser de nouveaux martyrs et à essuyer nos larmes.