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Carthage au secours des banlieues françaises
Opinion
Publié dans La Presse de Tunisie le 09 - 12 - 2015

Patrick Voisin, agrégé de grammaire, a proposé en 2007, comme solution aux crises que vivent les banlieues en France, d'introduire l'enseignement de l'histoire de la Méditerranée dans les lycées, qu'il a symbolisé par « Il faut reconstruire Carthage », titre de son livre. Cette histoire constitue, par sa fonction de dénominateur commun entre Français et Maghrébins vivant en France aujourd'hui, une solution contre le dédoublement psychologique, enfanté par un pseudo dédoublement culturel. Dans cette histoire, ces riverains du nord et du sud de la mer Méditerranée, mais aussi les autres habitants des quatre points cardinaux de cette mer, ont collaboré à son écriture et à sa diffusion. Rappeler cette vérité, c'est, d'une part, rendre justice à tous ces Méditerranéens dont nous sommes les héritiers, et, d'autre part, transformer les banlieues en zones motrices de la société et de l'économie françaises.
Cette proposition de chercher dans l'histoire de la Méditerranée une réponse aux violences d'aujourd'hui a été expérimentée avec succès en Tunisie, au siècle dernier, par trois médecins : Charles Nicolle, Ernest Conseil et Etienne Burnet. Ces trois médecins ont, par la reconstruction de leur histoire méditerranéenne, montré tous les bénéfices que cette reconstruction de leur identité, pouvait entraîner sur les plans humanitaire, social et scientifique. Donc la proposition de Patrick Voisin de remplacer dans les banlieues les gendarmes par des professeurs de civilisation n'est ni saugrenue, ni utopique, surtout que des travaux de plus en plus nombreux de cette histoire méditerranéenne sont publiés.
Pour restaurer aujourd'hui cette Méditerranée, qu'appelait Camus « bassin international traversé par tous les courants » et vivre son alchimie comme l'ont vécue nos trois médecins, il faut le concours des populations de toutes les villes qui regardent et sillonnent cette mer. De la Tunisie, c'est presque toutes les populations des villes tunisiennes qui sont invitées à participer : Kef, Sbeïtla, Gafsa, Gabès, Kairouan... Ces villes, un instant oubliées, peuvent-elles dans ce travail de restauration de la mémoire méditerranéenne retrouver la place et le rayonnement qui leur reviennent dans l'histoire universelle ?
Dans ce travail de défrichement, nous nous contenterons de rappeler succinctement l'histoire de ces trois médecins, ainsi que quelques faits historiques insuffisamment médiatisés.
Dr Ernest Conseil
Sa venue en Tunisie, il l'attribue comme il le dit lui-même à un « atavisme ». A Tunis, ce médecin natif de Normandie, premier prix d'histoire, choisit de ne pas habiter le quartier européen mais le quartier populaire de Sedjoumi et surtout il va apprendre à parler l'arabe. Cet « atavisme » serait-il pour lui une façon de remonter le temps en Tunisie pour revivre la part arabe de sa culture normande ? A-t-il voulu imiter l'ancêtre de tous les Normands : l'Empereur Roger II de Sicile, et son petit-fils Frédéric II Roi de Sicile et Empereur de l'Empire germanique ? Ces deux empereurs, férus de civilisation arabo-islamique, non seulement parlaient arabe, mais Roger II et ses deux fils Guillaume Ier et Guillaume II sont allés jusqu'à choisir de se faire prénommer « al-Mootez Billeh », nom qu'ils feront graver sur leur monnaie ?
Ernest Conseil cherchait-il, par cet atavisme, à retrouver les caractères et les valeurs arabes décrits par René Dussaud : « L'arabe resté nomade a su élever la vie pastorale au rang d'une civilisation. Le climat sain du désert a développé chez le bédouin des muscles d'acier et un tempérament particulièrement résistant. La vie libre qu'il mène, ses transhumances, la nécessité d'assurer sa propre garde, celle de sa famille et de son troupeau, ont développé son intelligence et son don d'observation. Lorsqu'il le veut et que les conditions sont favorables, il est capable d'utiliser les progrès des autres en modifiant son genre de vie. Nous avons constaté avec les Nabatéens et les Palmyréniens combien était grande cette faculté d'adaptation. Le règne des Omeyyades en Syrie en est un exemple plus récent. L'Arabe nomade n'est donc pas un barbare ; il est la survivance d'une vieille civilisation. Il est l'inverse d'un individualiste, car il est un vrai démocrate, fermement attaché aux lois ancestrales de sa tribu. D'ailleurs, définissant le « hilm », prérogative intellectuelle qui doit caractériser le chef ou « Sayyid » pour lui permettre de résoudre les difficultés, le P. Lammens reconnaît que les institutions arabes rappellent le régime parlementaire. ».
Cet atavisme arabe, serait-il un trait normand ? Ce qui expliquerait que nous le retrouvions chez d'autres normands. Corneille, Charles Nicolle, Gustave Flaubert. Ce dernier auteur va, dans son livre Salammbô, réunir les deux racines latino-arabes de la Tunisie : « Flaubert en essaie plusieurs (Pyra, Hanna), avant de s'arrêter à celui de « Sallambô », dans le sixième scénario général. L'orthographe variera encore avant de se fixer sous la forme définitive, que Flaubert expliquera ainsi : « Les deux m sont mis exprès pour faire prononcer Salam et non Salan. » « Salam » est le salut arabe, une parole de paix».
Dr Etienne Burnet
Agrégé de philosophie, élève de Bergson et médecin, il était venu, après une maladie, passer sa convalescence en Tunisie. La Tunisie, comme destination de repos et de mise en forme physique et mentale, était-elle déjà à la mode au 19e siècle? Ou bien Burnet a-t-il été influencé par ses lectures d'Hérodote, de Guy de Maupassant, son contemporain, sur les bienfaits sur la santé des séjours en Tunisie?
Hérodote écrira au 5e siècle av. J.C. : « C'est indiscutablement le peuple le plus sain que nous connaissions ». Ce témoignage sera confirmé en 1977, soit plus de 25 siècles après par Lassère, chercheur au CNRS. Ce chercheur spécialiste de l'antiquité retrouve que la Tunisie détenait le record de la plus grande longévité parmi tous les pays riverains de la Méditerranée de 146 av. J.C. à 233 ap. J.C., soit pendant près de 4 siècles ! Guy de Maupassant, normand et ami de Flaubert et de Zola, écrira en 1890 dans son roman «la Vie errante» : « Eh bien, non ! Tunis est une ville saine, très saine ! L'air qu'on y respire est vivifiant et calmant, le plus apaisant, le plus doux aux nerfs surexcités que je n'aie jamais respiré. Après le département des Landes, le plus sain de France, Tunis est l'endroit où sévissent le moins toutes les maladies ordinaires de nos pays. Cela paraît invraisemblable, mais cela est...Questionnez les statistiques, vous apprendrez qu'on y meurt de ce qu'on appelle, peut-être à tort, sa belle mort beaucoup plus souvent que de vos maladies ». Cette salubrité sera mentionnée avec étonnement par les médecins de l'armée française.
En Tunisie, Etienne Burnet, qualifié par sa femme dans le livre qu'elle lui a dédié, « d'humaniste français de ce temps », ne se contentera pas seulement de s'occuper de sa santé et de poursuivre ses recherches médicales en publiant deux livres sur les microbes, mais s'attachera à intégrer la société tunisienne, au point de comprendre et partager avec elle son refus d'asservissement de l'homme par l'homme. Comment peut-on penser aliéner la liberté d'un pays, qui a de tout temps défendu celle des autres. Cette erreur est possible quand on méconnaît l'histoire des civilisations et des peuples. Cette aliénation de la liberté et cette agression de la dignité humaine ou colonisation, qualifiée par Albert Memmi de «raté de l'histoire » (7), sont dénoncées par Etienne Burnet, qui appellera en 1947 à l'indépendance de la Tunisie. Cette prise de position dictée par la raison, et l'amour des lumières, le « privera de toute pension de retraite, du côté de l'Institut Pasteur (dont il fut directeur après Charles Nicolle) comme de celle des Nations unies(!). Il se trouvera quasiment sans ressources à la fin de sa vie. Emu par la situation difficile d'un grand ami de la Tunisie, le Président Bourguiba établit une rente en sa faveur. Il fut inhumé dans les jardins de l'Institut Pasteur de Tunis comme il l'avait demandé. ». Sa femme repose, à sa demande, à ses cotés.
Avec l'histoire de Charles Nicolle, nous pouvons mesurer pleinement le concept de complémentarité méditerranéenne de Patrick Voisin.
Dr Charles Nicolle
Normand, médecin et premier prix d'histoire lui aussi, était venu se réfugier en Tunisie pour fuir « l'oppression » et les querelles inutiles qui l'empêchaient de travailler sereinement : « La bonne société de Rouen lui reproche sa clientèle en dermatologie, traditionnellement liée à la vénérologie. On l'accuse presque de traiter les «maladies honteuses», de soigner les prostituées. Il a osé défendre celles-ci contre l'administration de l'hôpital qui pratiquait «la mise aux loges», c'est-à-dire l'enfermement des fortes têtes dans des cachots humides et malodorants... Charles Nicolle est jalousé, donc critiqué...il supporte mal les luttes personnelles, les brimades. ».
En Tunisie, il retrouvera sa liberté : « Il est bien plus à l'aise avec les autorités tunisiennes » (6). Cet accueil favorable va ramener Charles Nicolle à ses souvenirs d'histoire et réaliser qu'il vit dans un pays de grande histoire, et au milieu des descendants d'illustres humanistes ; comme il le dira plus tard dans ses leçons au Collège de France: « Peut-on désespérer de la race autochtone du Nord de l'Afrique quand elle a donné, autrefois, au monde Massinissa, Juba, qui furent d'éminents souverains, Térence et Apulée, Saint Augustin et Tertullien, enfin Septime Sévère, le plus grand empereur romain avec Auguste.».
Conscient de la chance qui s'offre à lui, il va chercher à mieux pénétrer son nouvel espace, à s'identifier à ce pays qui ne lui était pas étranger, mais insuffisamment connu, en étudiant sa faune, sa flore, son histoire, son architecture... au point de se déclarer « tunisien ».
Citer avec éloge, exactitude et rigueur ces grands carthaginois témoigne non seulement de son érudition, mais aussi de son admiration pour leur respect et valorisation de la dignité humaine. Ne poursuivait-il pas sa vie durant le même objectif ? Son but n'était-il pas la préservation de la santé des hommes, de leur dignité (humanisme) ? La Tunisie, son histoire lui offre cette opportunité. Faut-il rappeler que le vers retenu dès l'Antiquité comme définition de l'humanisme et qui fait de l'homme la mesure de toute chose du Bien comme du Mal, a été clamé par Térence à Carthage dans sa pièce Heautontimoroumenos ou le bourreau de soi-même: « Je suis un homme et j'estime que rien de ce qui est humain ne m'est étranger».
En Tunisie Charles Nicolle va retrouver la liberté, la sagesse et son identité, trois paramètres nécessaires à la créativité comme le démontre Nicole Aubert : « En situation d'urgence et de crise, la sagesse permet aux hommes de préserver leur capacité de discernement, d'ouverture, d'écoute et de curiosité pour pouvoir rester en contact avec le moment présent et déployer à la fois leur créativité, leur faculté d'improvisation et de « bricolage...La capacité qui leur permet de recourir à ces registres inédits qui sauvent la situation et de développer des capacités hors du commun, repose principalement sur l'identité. » Ce respect de l'homme, de sa dignité n'est pas un vain slogan en Tunisie, mais un trait de caractère de sa population. Il était pratiqué à Carthage et en dehors de Carthage. Pour ce dernier cas, nous citerons celui de l'engagement de trois papes, natifs de la Tunisie antique, St Victor 1er (189-199), St. Miltiade (311-314) et St. Gélase 1er (492-496), pour obtenir des empereurs romains, non par la force, mais par la persuasion et le dialogue, l'arrêt des massacres des chrétiens et surtout la restitution de leur dignité humaine et de leur identité. A la qualification de Charles Nicolle par Anne-Marie Moulin de savant tunisien, héritier de Kheir-ed-Din et de Pasteur (9), il faudra peut être aussi ajouter héritier de Térence et d'Apulée.
Sa mort sera une perte partagée par l'humanité, l'humanisme et la Tunisie. Le Dr Mahmoud El Matri, médecin mais aussi un vétéran de l'indépendance de la Tunisie, lui rendra un vibrant hommage: « A l'entrée de l'Institut Pasteur qu'il a tant illustré, et où il a voulu être enterré, non pour légitimer une domination, mais pour sceller une éternelle amitié et une fraternelle coopération. » (Itinéraire du savoir en Tunisie)
Travaux récents, ou peu connus :
1- La présence de Carthaginois en Gaule
Selon Jean-Louis Brunaux, expert de la Gaule et directeur du Cnrs, les Gaulois commerçaient avec les Phéniciens depuis le 10e siècle av. J.-C. « Dès le 10e siècle, les Phéniciens ont abordé la côte méditerranéenne de la Gaule ». La langue des Gaulois était connue dans l'espace phénicien à Tyr et à Carthage, mais non à Athènes, qui ignorait même l'existence de la Gaule à cette époque : « Les Grecs ne la mentionnaient pas dans leurs archives et dans leurs premiers traités de géographie...Les Grecs ne parlant pas les langues barbares, ce sont les Gaulois qui apprirent le grec. ». A Tyr « de l'œuvre d'Ulpien, jurisconsulte de l'époque sévérienne, qui atteste que les testaments pouvaient être rédigés en punique, non seulement en langue latine et grecque mais aussi en punique, gauloise ou celle d'un autre peuple. ». A Carthage: « Augustin cite immédiatement après, et avec une égale dignité culturelle, le punique de ses compatriotes, l'hébreu aussi bien évidemment, et même le gaulois.».
Le fait de pouvoir communiquer, dans une même langue entre gaulois et Carthaginois, a-t-il joué un rôle dans la signature du traité entre Hannibal et les cités gauloises au cours de la Seconde Guerre punique ? Ce traité qui autorisait les troupes carthaginoises à traverser la Gaule pour passer en Italie, était encadré par le discours d'Hannibal devant les captifs du Tessin et de la Trébie: « Je ne suis pas venu pour vous faire la guerre, mais pour vous restituer votre liberté confisquée par Rome. ». Cette confiscation de la liberté, qui réduisait les Gaulois en esclaves : « César aurait vendu à lui seul un million de Gaulois en dix ans. », était difficilement supportable par un peuple épris de liberté: « les gaulois étaient épris de liberté et rejetaient toute forme de tyrannie. ». Les Carthaginois, aussi épris de liberté, les comprenaient, et plus encore, partageaient avec eux certaines idées comme celles concernant la gestion des affaires publiques ou la place de la femme dans la société. Pour ce dernier point, J.L. Brunaux rapporte : « Ces dernières (les femmes gauloises), durent diriger les grandes exploitations agricoles. Elles obtinrent ainsi une place, certes discrète mais efficace dans les affaires publiques. On sait par exemple, que dans le cadre d'un traité entre Hannibal et des cités gauloises, ces dernières avaient confié à un groupe de femmes la mission de juger les différends entre les parties...La femme gauloise avait un statut défini par les lois et les traditions ».
2- La présence de Gaulois à Carthage :
Si des Carthaginois sont partis en Gaule, des Gaulois sont à leur tour venus à Carthage comme guerriers pour combattre les romains, comme le rapportent Polybe et Diodore de Sicile: « D'ailleurs l'ivrognerie des mercenaires et auxiliaires gaulois au temps des guerres puniques a été dénoncée par Polybe et Diodore de Sicile. Les Gaulois abusaient du vin et le supportaient mal, nous affirment ces deux historiens grecs. Il y a peut-être une place aujourd'hui pour réécrire dans la collection d'Astérix, les rapports qu'aurait entretenues Carthage avec la Gaule.
3- Présence de Carthaginois en Bretagne :
Cette question, sujet de discorde depuis plus d'un siècle entre les punicophobes et les punicophiles, semble avoir trouvé son épilogue, aujourd'hui en faveur des seconds. De nombreux auteurs, preuves à l'appui, comme Camille Buisson, montrent que les Phéniciens ont connu la Bretagne, ce qui est plausible, puisqu'ils connaissaient la Gaule. Ce dernier auteur ajoute, dans son livre « Essai impertinent sur l'histoire de la Bretagne », que l'origine de cette appellation Bretagne serait punique: «Après mille souffrances, ils (les Phéniciens et les puniques) arrivaient en vue de cette péninsule plongeant dans l'Océan à l'extrémité de l'Europe, ce pays qui voit le soleil disparaître dans l'Océan pour renaître de la terre et de ses alignements mégalithiques. Alors qu'ils mettaient pied sur cette « Terre promise », source de leurs richesses, comment auraient-ils pu ne pas rendre grâce à la Déesse-Mère, à « Tanit » et se convaincre qu'ils venaient d'atteindre la Barrat-Tanit, la « Terre de Tanit » en langue sémito-punique ? Pour étayer sa thèse, notre auteur multiplie les indices, comme celui de l'étymologie des noms des villes bretonnes, qui commencent par les trois lettres K, E, R comme celle des villes puniques, (Kerkouane) : « Actuellement on a pu recenser près de vingt mille « Ker » dont plus des trois-quarts en Bretagne sud », ou encore la fréquence élevée du prénom Magon: « Le seul nom d'inspiration phénicienne qui soit venu jusqu'à nous sans altération, est celui de « Magon » porté au 6e siècle B.C. par les membres de l'illustre famille carthaginoise des « Magonides » dont faisaient partie les amiraux Himilcon et Hannon...Dans la période de 1891 à 1915, on a pu recenser en France sous le nom de « Magon », 80% des naissances dans le seul département d'Ille-et-Vilaine. »
4 - Présence d'enseignants carthaginois en Provence au 5e siècle :
L'histoire nous apprend la présence d'enseignants carthaginois dans différentes régions de ce que nous appelons la France d'aujourd'hui ; comme par exemple dans Arles: « Pomère, venu d'Afrique, était célèbre pour son enseignement de la rhétorique et de la grammaire... Rurice, illustre patricien de Gaule méridionale, correspondait avec lui... Il tenait vraisemblablement, comme ses prédécesseurs du 5e siècle, une école privée dans la ville d'Arles... Les écoles de Carthage ont joué un grand rôle dans l'histoire de la culture latine sous l'Empire...Tandis que nous ignorons presque tout du corps professoral de Rome, nous pouvons citer plusieurs noms de maîtres carthaginois. ». Cette ignorance peut s'expliquer par le choix fait par les romains de ne pas envoyer leurs enfants à l'école, mais de se charger eux-mêmes de leur éducation: « Aux yeux des Romains, la famille est le milieu naturel où doit grandir et se former l'enfant...A sept ans, le père est considéré le véritable éducateur. »
Par ailleurs, le choix volontaire ou imposé par les Romains aux Gaulois d'apprendre le latin va entrainer la disparition de la langue gauloise, langue essentiellement orale, entre le 1er et le 5e siècle. Bien que cette langue orale, ait été pratiquée pendant 15 siècles, elle ne laissera pas de traces ni dans le latin des Gaules ou « vulgaire roman », ni plus tard en français, malgré une pratique de 15 siècles.
5 - Présence des Arabes en Gaule :
Au 8e siècle les arabes pénètrent en Gaule. Les travaux sur cette période sont encore discrets. Néanmoins ce que nous savons, c'est qu'il y a eu huit expéditions de 714 à 732 à partir de l'Andalousie selon deux voies, la première va suivre le cours du Rhône et arriver jusqu'à Sens en passant par Avignon et Lyon et était dirigée par le général al-Samh, tandis que la seconde va arriver jusqu'à Poitiers, en passant par la Gascogne, le Poitou et la Touraine dirigée par Abd al-Rahman ibn Abd Allah al Ghafiki. En Provence, le Duc Mauront cherchera l'appui des forces musulmanes pour constituer une principauté indépendante.
6 - Présence des Normands en Sicile et en Tunisie :
La conquête de la Sicile par les Normands va être à l'origine de l'ébauche d'une nouvelle relation entre musulmans et chrétiens.... Roger 1er n'est pas présenté comme envahisseur, mais plutôt comme quelqu'un à qui on a fait appel de l'intérieur.
Les différents souverains qui vont se succéder : Frédéric II (roi de Sicile depuis 1197, empereur d'Allemagne depuis 1211), Roger II ; vont d'abord, par nécessité, protéger la culture arabo-musulmane, puis apprendre à l'apprécier au point d'apprendre à lire et à écrire en arabe, et à l'imiter dans sa tolérance, en laissant les musulmans pratiquer librement leur culte. Ils vont plus loin dans ces concessions d'une part, en nommant, après accord avec les Hafsides de Tunisie, un chef musulman pour la communauté musulmane de l'île de Pantallaria, et, d'autre part, de ne pas montrer suffisamment d'ardeur pour participer aux 5e et 6e croisades. Ces attitudes vont courroucer la Papauté, et l'amener à excommunier ces deux souverains. Une trace de cette époque de syncrétisme culturel est la Grande cape des couronnements des empereurs du Saint Empire germanique bordée par une longue inscription en arabe et conservée dans le trésor du Kunsthistorisches muséum de Vienne. Cette cape aurait peut-être été portée par Charlemagne au cours de son sacre.
7 – Présence de Tunisiens dans la Résistance française de 1940
Nous citerons le Docteur Naceur Haddad : né à Monastir le 8 septembre 1920. Après l'obtention de son baccalauréat en 1938, il partit faire ses études de médecine à Lyon. « Mais la seconde guerre mondiale battait son plein dans cette France où la résistance se faisait de plus en plus dure et les représailles des Allemands de plus en plus féroces. Fidèle à ses idéaux d'équité et de justice, Mohamed Naceur Haddad ne tarda pas à être engagé dans le groupe de Jean Moulin. C'était en 1944. Il participa pleinement et finit par tomber aux mains des nazis. Il réussit à s'échapper, une chance inouïe! Reconnaissante, la France lui attribua, en 1955, la médaille de la Résistance ».
8 - Présence d'auteurs carthaginois dans les manuels scolaires des écoles de Charlemagne :
Lorsque Charlemagne devint roi des Francs, les grands monastères qui devaient œuvrer à la « renaissance carolingienne » étaient déjà actifs. Ses futurs collaborateurs (Paul Diacre, Alcuin, Pierre de Pise) avaient déjà commencé leur carrière littéraire. Parmi les auteurs choisis pour figurer dans ce programme, Claude Moussy cite le cas de Blossius Aemilius Dracontius, élève à Carthage du grammairien Felicianus, « dont les poèmes devaient figurer, au moins en extraits, dans les programmes des écoles du Haut Moyen Age, où la part réservée aux œuvres des poètes latins chrétiens était importante ». Cet auteur va influencer les auteurs de la renaissance carolingienne : «En Gaule Saint Avit, l'évêque de Vienne s'est inspiré de Dracontius, de même les conseillers de Charlemagne, Alcuin et Théodulf d'Orléans...pour Alcuin...l'œuvre poétique présente des emprunts à celle de Dracontius... »
9 - Présence de mots puniques dans le latin
Le latin des Romains est formé d'idiomes locaux mélangés aux langues des étrusques et des Grecs. Il est pour Meillet la langue d'une aristocratie de ruraux et non celle d'une classe urbaine cultivée, amenant J. Marouzeau à qualifier le latin usité par les Romains de langue de paysans (26); « c'est le latin tout entier qui nous apparaît comme une langue de paysans ».
En Afrique du Nord, ce latin romain va se berbériser, comme l'écrit Patrick Voisin dans son livre « Il faut reconstruire Carthage » : « lorsqu'un mot est attesté en berbère et en latin on ne s'est pas posé la question du sens du transfert ; or dans neuf cas sur dix on s'aperçoit que c'est le berbère qui a donné des noms au latin ; les indices figurent dans les textes latins eux-mêmes qui, dans l'impossibilité parfois de trouver une étymologie latine ou grecque à un mot déterminé, s'en remettent à ce qu'ils appellent un « latin d'Afrique » ou à une « origine inconnue ». Jacques André, dans son livre les noms de plantes dans la Rome antique, Paris, Belles-Lettres 1985, reprend la même expression « latin d'Afrique », sans aller plus loin dans l'exploration de ces mots. » Cet auteur ajoute : « Les liens entre berbère et latin sont d'autant plus intéressants qu'ils fonctionnent à double sens. En effet, les linguistes ont montré que le berbère avait intégré des mots latins.
En Tunisie, l'arabe tunisien est, comme le décrit Voisin, avant la période islamique : « Un substrat composé de matériaux libyco-berbères, puniques, latins et grecs. Ainsi Carthage et Utique sont des noms puniques, Hergla et Radès des noms latins, Korbous et Nabeul des noms grecs. ».
10 - Présence d'auteurs puniques dans la littérature française du 17e siècle
Cas de Térence, rapporté par Pierre Grimal en 1990 : « Né à Carthage en 190 av. J.C., il est le précurseur des poètes romains, qui un siècle plus tard donneront à leur patrie une poésie amoureuse dans laquelle s'exprimera une sensibilité nouvelle. Il est le précurseur de Catulle, de Tibulle, de Properce. Nous verrons, à propos de chaque pièce, comment les allusions historiques que contenait le modèle grec ont été effacées par Térence, l'anecdotique cédant la place à une généralité qui permet à l'œuvre de traverser les années et les siècles : Molière « imitera le Phormion dans les Fourberies de Scapin sans presque en modifier la donnée. Avec le théâtre de Térence, commence le classicisme de la littérature européenne. »
11- Introduction de l'enseignement de la langue arabe à Paris
Après l'introduction des écrits arabes traduits en latin par les voies de l'Italie et de l'Espagne, c'est au tour de l'enseignement de cette langue dans les universités françaises, mais aussi européennes, suivant les recommandations des deux conciles : Concile de Vienne de 1311, qui « ordonne la création de plusieurs chaires de grec, d'hébreu, d'arabe en particulier à Paris » et Concile de Bâle de 1434. Rabelais recommandait à son fils, dans Gargantua, d'apprendre l'arabe, après que lui-même a pris quelques cours durant son séjour en Italie. François 1er inaugurera, en 1538, la première chaire d'arabe au collège des Trois-langues et la confiera à un normand, Guillaume Postel, qui pendant deux longues années va étudier de Tunis à Constantinople cette langue. Parmi les élèves formés se trouvent deux médecins Louis Duret qui pouvait lire Avicenne dans le texte et Jules César Scaliger qui va promouvoir l'enseignement de l'arabe à l'Université de Leyde aux Pays-Bas. Louis Duret mariera sa fille à un médecin aussi féru que lui pour lire Avicenne dans le texte Arnoult de l'Isle. Henri III assistera à ce mariage, conduira la mariée à l'église et chargera le marié de fonder une chaire d'arabe au collège royal trilingue. Cet enseignement était «ardemment souhaité par un auditoire assez important.».
12 - Présence de livres médicaux d'auteurs kairouanais dans l'enseignement de la Sorbonne
Dans les textes au programme de la licence à Paris (1270-1274), nous retrouvons des livres d'auteurs kairouanais : « Le Viaticum » d'Ahmed Ibn Al-Jazzar. Ce livre sera lu et commenté par Girardus Bituricensis au 13e siècle à Paris à la demande de ses collègues.
13 - Présence de mots arabes dans le français contemporain
Cette présence a fait l'objet, en 2014, d'un dictionnaire : Les mots arabes dans la langue française. Nous nous contenterons de citer deux exemples :
Le premier, c'est la veine saphène. Ce mot que tous les médecins du monde entier apprennent et emploient est un mot arabe ; pour s'en convaincre, il suffit de consulter les dictionnaires de langue arabe, en commençant par Lissan Al-Arab ; Tome 7, pp. 834.
Le second est la première strophe du poème Epigraphe de Abdelaziz Kacem composé uniquement de mots arabes.
Des échanges similaires à ceux qui viennent d'être décrits entre la Tunisie et la France sont retrouvés avec tous les autres pays riverains de la Méditerranée, et même avec des pays plus lointains, comme l'Angleterre, l'Irlande, l'Allemagne... « L'Afrique contribuera, comme nous le verrons, à l'édification de la culture occidentale ». A propos de l'Angleterre, Pierre Riché écrit : « Le jeune Hadrien (moine africain)....un des fondateurs de la culture anglo-saxonne ».
Conclusion
Ces travaux récents ou peu connus et ces trois biographies confortent et valident l'hypothèse de Patrick Voisin. L'enseignement de cette civilisation méditerranéenne viendra compléter l'enseignement des civilisations et des histoires nationales des différents pays riverains. L'élaboration des chapitres et leurs enseignements doit être confié à des historiens habités par l'avenir qui auront à chiader les différentes époques pour dégager les divergences et les convergences des flux et reflux des civilisations en Méditerranée. Ces historiens auront à démêler ce qui est constant dans cette civilisation (humanisme, liberté...), de ce qui temporaire et éphémère fondé sur la déshumanisation et l'asservissement (colonisation, robotisation à outrance...). Ils ne doivent pas comme l'écrit Bady Ben Naceur défigurer notre passé.
Pour faire vite et il faut faire vite, car il y a urgence aujourd'hui, ne peut-on pas, dans un premier temps, suggérer l'organisation pour les adultes, mais surtout pour les jeunes (écoliers, étudiants...) des circuits culturels, Tunis-Rouen-Londres, Carthage-Arles-Rome, Sbeitla-Nimes-Constantinople, Kairouan-Tolède-Montpelier, Kairouan-Marrakech-Grenade, Kairouan-Tlemcen-Tanger, Mahdia-Le Caire...
Circuits culturels et enseignements d'un patrimoine commun nous aideraient, Nous riverains de cette mère Méditerranée à mieux nous connaître, à nous sortir du quotidien morose des préjugés réducteurs, à nous reconstruire en élaborant, à partir des valeurs méditerranéennes retrouvées, des valeurs existentielles et identitaires, à nous ouvrir de nouveaux sentiers de sérénité et d'espoir, à habiter l'avenir, à habiter le monde, la nature, l'espace et le temps comme nos trois médecins cités plus haut, à construire notre modernité, en un mot « à nous civiliser », comme l'a proposé Régis Debray à Tunis en 2015, et qui résume tout ce qui a été dit plus haut.
* (Chirurgien orthopédiste, professeur émérite de l'Université de Tunis El-Manar)


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