Par Salem TRABELSI Le terme jeunesse ne laisse pas indifférent. Même si les jeunes eux-mêmes ne se rendent pas compte de l'importance de la tranche d'âge dans laquelle ils figurent. Il ne laisse pas, par contre, indifférents bien des gens qui ont fait de la jeunesse de leur corps, de leur paraître une véritable obsession. Oui, on cherche toujours la jeunesse éternelle. Et cette obsession peut mener de la crème la plus coûteuse à l'intervention chirurgicale esthétique la plus risquée. Tout cela au profit d'un grand marché‑: le marché de la jeunesse éternelle. Dans cette lutte anti-vieillissement et anti-âge, les marques se sont lancées dans une guerre contre le temps‑: on propose l'anti-ride révolutionnaire qui agit sur la racine et on patauge dans les formules du genre «méthode jeunesse de l'œil», «le soin anti-temps», «l'ère de la science des facteurs de croissance cellulaire», «réparateur anti-âge»… et les acnées ne cessent de grossir… Désormais, les philtres de l'éternelle jeunesse ne sont plus délivrés par la magie d'un apothicaire, mais dans la parfumerie la plus proche ou sur les rayons de la grande distribution. Curieux combat, ambigu même‑: la durée de la vie a augmenté, mais nous nous sentons menacés de plus en plus jeunes ! Dès 20 à 25 ans, nous parlons de nous recycler, de nous entretenir, encouragés par les news qui font régulièrement du narcissisme leur dossier central, élevant une véritable armada scientifique contre le vieillissement. Mais la vieillesse est-elle à ce point dévalorisée, l'expérience à ce point négligée, la connaissance à ce point niée que toute marque du temps apparaisse comme l'ennemi à abattre‑? C'est à croire que les marques de l'âge ne sont plus exploitables que par la publicité‑! En effet, la publicité, pour signifier la qualité, s'emparera d'individus plus âgés, dont l'autorité mûrira au fil du temps. Cette fois-ci, «la valeur attendra le nombre des années», on voit déjà poindre des modèles aux tempes grisonnantes pour donner confiance à tel produit. Tous les produits qui méritent la patine du temps ont déjà intérêt à transmettre cette image de qualité. Questions de lexique Ce combat titanesque contre le temps occupe le cœur de nos fantasmes et touche ce que nous avons de plus émouvant‑: notre statut de mortel. Mais où ces marques puisent-elles leurs vocabulaires qui promettent la jeunesse éternelle‑? C'est dans l'imaginaire nucléaire qu'elles puisent le lexique pour défier le temps. Dans le noyau, dans l'infiniment petit, se niche la puissance : et on assiste à des crèmes aux «micro-particules», aux «surgénérateurs», on rayonne et on «irradie» et on a l'énergie de la beauté. Il y a même un gel hydratant qui se présente comme le terminator de l'hydratation‑! Nous avons les totems que nous méritons ! Sans atteindre ces extrémités, le discours scientifique nimbe toutes les promesses. Une gamme anti-âge lance un «triple plan d'attaque» avec son anti-rides, son anti-poches et son anti-cernes, conjuguant «un effet revitalisant par stimulation de la respiration et de la production énergétique cellulaire, un effet regénérent grâce à l'activation de la biosynthèse du collagène et de l'elastine, un effet préventif anti-élastique et anti-radiculaire qui combat le vieillissement cutané». Un tel vocabulaire pouvait faire sourire il y a quelques années comme un jargon «star trekien». Ces termes ne sont plus l'apanage de dermatologues en mal de curiosités lexicologues, mais ils figurent sur le petit manuel publicitaire distribué au grand public. Les femmes notamment parlent couramment cette nouvelle langue. Que peut être l'influence d'un tel discours si ce n'est de laisser la place au mythe de l'éternelle jeunesse, servi cette fois par la science ? Ce sont ces nouvelles frontières entre l'être et le paraître qui façonnent aujourd'hui les nouveaux concepts de la jeunesse.