L'un des dossiers chauds de 2016 sera probablement celui du retour de jihadistes tunisiens des principaux théâtres de conflits tels que l'Irak, la Syrie ou la Libye. La Tunisie s'y prépare. Eclairage avec Hatem Ben Salem, directeur général de l'Institut tunisien des études stratégiques. Une analyse profonde qui va au-delà de la dimension sécuritaire Le dernier rapport de Soufan Group, le think tank new yorkais qui fait autorité dans l'étude des jihadistes étrangers sur les théâtres syrien, irakien et libyen, évalue le nombre de Tunisiens dans les rangs des groupes combattants à environ 6.000. Le ministère tunisien de l'Intérieur a, de son côté, listé 625 jihadistes tunisiens rentrés au pays. Ces Tunisiens représentent-ils un danger pour leur pays? Sont-ils capables de récidiver ? Seront-ils une cinquième colonne ? Peut-on les surveiller individuellement ? Faut-il les isoler ou pas en cas d'emprisonnement ? Hatem Ben Salem, qui est également professeur de droit international, connaît bien le sujet. Il suit l'affaire de près, car son rôle à la tête de l'Institut tunisien des études stratégiques est un rôle de veille au service de l'Etat et des décideurs au plus haut sommet de l'échelle. Il estime que la réponse ne peut en aucun cas être uniquement sécuritaire. Le sécuritaire est indispensable, mais il est loin, à lui seul, d'être suffisant. Les salariés du terrorisme Les Tunisiens en question ont été nombreux à rentrer au pays en 2014, lorsque les groupes jihadistes ont subi des revers militaires répétés. Le même mouvement pourrait se reproduire probablement dans les prochains mois car l'étau se resserre autour de Daech. Ils sont majoritairement jeunes, de 18 à 35 ans, partis dans les mouvements de départ massifs étalés de 2011 à 2012. D'après les études citées par notre interlocuteur, les variables pauvreté et origines sociales impactent très peu la décision de partir; idem pour les motivations politiques ou religieuses. En revanche, l'argument financier est décisif. En cela le directeur général de l'Institut tunisien des études stratégiques est catégorique, «ce sont des salariés du terrorisme», ils perçoivent entre 1.500 à 2.000 dollars par mois. Comparés au salaire des Syriens et des Irakiens de Daech, il y a une différence du simple au triple voire au quadruple. A la question de La Presse, pourquoi les Tunisiens sont-ils recherchés plus que d'autres ? Il répond: «Parce qu'ils sont censés être plus instruits. De plus, le jeune Tunisien peut très bien gagner 500 dollars en travaillant sur les chantiers dans son pays, il faudra donc savoir le séduire par une proposition alléchante». Au sein de Daech, une véritable organisation comptable assure aux combattants non seulement de percevoir leurs salaires mais aussi d'en transférer une part ou la totalité à leurs familles à travers les filières de transfert d'argent internationales en parfaite légalité. «C'est en partie de cette manière là qu'une traçabilité des jihadistes a été faite», précise-t-il. Les plus aguerris choisissent la Libye Malgré un déficit notoire en matière de stratégie nationale d'accueil et suivi, L'Institut tunisien des études stratégiques est en train de mettre en place, en ce moment même, un partenariat avec le Centre international de lutte contre le terrorisme basé à La Haye. A ce titre, M. Ben Salem insiste sur le caractère pluridimensionnel de leur réadaptation. «Il n'y a pas d'approche exemplaire, mais il est certain que l'approche sécuritaire et coercitive est totalement insuffisante». Cette question du retour des auto-exilés se pose avec autant d'acuité depuis l'entrée en scène de la Russie. Les frappes militaires portent tous les jours des coups durs à l'organisation de l'EI et ses troupes. «D'ou les victoires de l'armée syrienne de Bachar et l'armée irakienne à Ramadi et probablement dans les jours qui viennent à Mossoul», pronostique le professeur de Droit international. Bonne nouvelle à prendre toutefois avec beaucoup de précaution, « ceux qui rentreraient seraient les moins dangereux, peut-être ceux qui en ont eu assez de la guerre, les plus aguerris, eux, repartent vers la Libye ». Et en cas d'emprisonnement, faut-il les isoler ou pas ? « La question n'a pas été tranchée, ni en Tunisie ni ailleurs, répond Hatem Ben Salem, il y a l'excellent exemple danois, enchaîne-t-il, où les jeunes ne sont pas isolés mais encadrés de manière très soft. Personnellement, j'estime que les mélanger avec les prisonniers de droit commun n'est pas recommandé. Cela représente une menace pour la sécurité carcérale, un risque pour les autres détenus et pour eux-mêmes. Il faudra réfléchir à un cadre adéquat pour les traiter psychologiquement, les former, et les pousser à faire des révisions idéologiques». Sans nul doute, il s'agit là d'un réservoir explosif que la Tunisie se doit de gérer avec fermeté et habileté. Des efforts seraient à déployer également pour obtenir les informations des jihadistes eux-mêmes, sur leurs parcours et la vie au quotidien qu'ils ont vécue sous l'autorité de Daech. Des témoignages inestimables qui pourraient faire office de base de données pour les études nationales sécuritaires et stratégiques, et sources de documentation pour les recherches académiques. Hatem Ben Salem : «Les variables pauvreté et origines sociales impactent très peu la décision de partir, idem pour les motivations politiques ou religieuses. En revanche, l'argument financier est décisif. Ce sont des salariés du terrorisme, ils perçoivent entre 1.500 à 2.000 dollars par mois».