Une atmosphère dure et cruelle d'un monde rural à l'écart de toute forme de sociabilité se confronte à celui véhiculé par le personnage du meunier qui détient la machine, le verbe et la pensée. La nouvelle création du théâtre Phou semble attiser la curiosité, chaque soir, les week-ends, le public se munit d'une couverture, se protège bien et va à la rencontre d'une œuvre atypique. «Tabba», qui signifie lopin de terre, est une pièce qui se joue à ciel ouvert, sur une parcelle de terrain qui se trouve derrière le théâtre Mad'art. «Cette fable ne pouvait se concevoir sur les planches de la scène entre les murs d'une salle. C'est dans la «Tabba» avec ses bruits et ses sensations que les personnages se sont révélés. Voir le vent faire bouger les feuilles de l'arbre, allumer un feu, sentir l'odeur d'un feu de bois, entendre le crépitement des brindilles prises dans les flammes, entendre les oiseaux et percevoir la vie: la Vie simple, sensuelle, basique, brutale et sans merci», explique Raja Ben Ammar. Un accompagnateur nous conduit sur les lieux, des gradinss sont aménagés face à un espace transversal de jeu. Un grand feu de bois nous accueille et on découvre, à sa lumière, une scénographie atypique. Deux personnages, un homme et une femme entreprennent un échange, quelques mots, une conversation qui nous révèle leur identité. L'histoire qu'on nous raconte se déroule dans une contrée de la campagne profonde, où les mentalités sont dominées par la superstition et la peur de Dieu, un étrange et mystérieux triangle amoureux vécu entre un laboureur, sa femme qui travaille dans le champ et le meunier venu d'ailleurs qui suscite la crainte et la suspicion du village. Une histoire de quête de mots, de désir d'amour, de pouvoir et de meurtre. Le duo Raja Ben Ammar et Moncef Sayem endosse les premiers rôles...le discours qu'ils produisent est basique et primitif. Un acte d'acquisition du langage semble prendre forme à travers le jeu et l'évolution des événements. Cette atmosphère dure et cruelle d'un monde rural à l'écart de toute forme de sociabilité se confronte à celui véhiculé par le personnage du meunier qui détient la machine, le verbe et la pensée. Face à la superstition, et à l'ignorance, on retrouve la manipulation. La violence de la nature prend forme sous nos yeux et dans notre chair. La température des corps des spectateurs commence à baisser, les mains et les pieds commencent à geler. On partage avec ces personnages la dureté de leur vie. La simplicité de la pièce nous rend perplexe, on n'est plus à la recherche d'un sens mais on est plongé dans le sensoriel. Dans ce monde archaïque, les choses prennent un autre sens : l'adultère, le crime, la foi, les croyances, l'isolement, le social, le religieux, la violence... on rejoint facilement la campagne écossaise que nous décrit Harrower dans son roman «Des couteaux dans les poules», cette fable qui a inspiré «Tabba» et qui a été librement traduite par les soins de Ahmed Zalféni. «Tabba» est une belle expérience humaine et théâtrale à vivre pleinement par ces temps de froid glacial, doublée d'une belle performance des acteurs Raja Ben Ammar, Moncef Sayem et Chekib Romdhani.