24,6% des lycéens âgés de 15-17 ans avouent avoir consommé une ou plusieurs substances psychoactives, autres que tabac et alcool, au cours de leur vie, selon l'enquête MedSPAD. L'Association tunisienne de la pédagogie de l'éducation (ATPE) avec l'appui du projet TATRAC (Tissu associatif et transfert de connaissances, financé par l'Union européenne) a organisé, hier, à Nabeul un séminaire sur la prévention contre la consommation des drogues dans le milieu scolaire. Pour comprendre un tout petit peu ce phénomène, le directeur du cycle secondaire au sein du commissariat régional de l'éducation de Nabeul a fait allusion aux résultats de la dernière étude nationale conduite par un collectif d'experts tunisiens en santé publique, médecine scolaire et universitaire ainsi qu'en éducation en collaboration avec le soutien du Groupe Pompidou, Groupe de coopération en matière de lutte contre l'abus et le trafic illicite de stupéfiants, auprès du Conseil de l'Europe et avec un financement du programme conjoint de l'Union européenne/Conseil de l'Europe. Les résultats de cette enquête intitulée MedSPAD (Mediterranean School Survey Project on Alcohol and other Drugs) ont été publiés en août 2014, touchant un échantillon de 5 000 adolescents scolarisés en première et deuxième années secondaire, dans les lycées des deux secteurs (public et privé), de tous les gouvernorats de la Tunisie. Zatla, essence, colle... En jetant un coup d'œil sur les résultats de cette enquête (disponible en format PDF sur le Web), plusieurs chiffres nous interpellent. En effet, « un quart des lycéens âgés de 15-17 ans (24,6%) ont déclaré avoir consommé une ou plusieurs substances psychoactives, autres que tabac et alcool, au cours de leur vie. 15,7% des enquêtés ont déclaré avoir inhalé l'essence, 13,0% la colle et 4,2% d'autres produits», lit-on dans ce document de 64 pages. Pour ce qui est du cannabis (Zatla dans le jargon tunisien), cette enquête précise que cette substance est connu chez 86,4% des adolescents. Par contre, seulement 1,4% avouent en avoir consommé au moins une fois dans la vie, toujours d'après l'étude MedSPAD. De son côté, l'inspecteur principal de l'enseignement secondaire et président de l'ATPE, M. Mabrouk Aloui, a tiré la sonnette d'alarme sur ce fléau qui gangrène l'école tunisienne en classant, selon lui, la Tunisie sur la première marche du podium des pays maghrébins en matière de consommation des drogues dans le milieu scolaire. « D'après les récentes études, plus de 12% des élèves tunisiens consomment les drogues dites douces tel le cannabis. Et au niveau des lycées, on a signalé la consommation des drogues dures: cocaïne et héroïne», précise-t-il. Pour ce qui est du profil psychologique des adolescents qui consomment les drogues, selon Dr Imed Rekik, psychiatre et psychothérapeute, on parle dans ce cas de figure d'un état de « narcissisme blessé » des jeunes qui font face à plusieurs difficultés au cours de leur enfance. « Ces jeunes ont des problèmes psychologiques très importants de type angoisse et dépression. Généralement, il sont délaissés et désespérés d'être aimés», souligne-t-il. Cette catégorie de jeunes, toujours d'après Dr Rekik, finit par basculer dans un état de «haine de soi» et un mépris de leur corps, ce qui creuse chez eux un «gouffre psychologique» dont les drogues deviennent un refuge pour le «colmater». Cette fuite de la réalité permet à ces jeunes de passer d'un état de révolte vers un état de soumission et d'addiction. Ça commence par une révolte vis-à-vis de leurs parents jusqu'à aboutir à une soumission à un produit qui engendre un état de dépendance insurmontable». Comment remédier à cette dépendance ? D'après Dr Rekik, les activités sportives et culturelles restent de loin d'excellents outils qui permettent de créer et de renforcer un « lien social ». « Dans la majorité des cas que j'ai traités, le milieu familial n'est pas très au point pour aider le jeune psychologiquement car parfois les parents n'ont pas les moyens pour aider le jeune par contrainte de temps ou d'argent. De ce fait, il faut améliorer le lien social via les clubs à vocation culturelle et sportive », ajoute-t-il. D'autre part, selon le psychothérapeute, ces jeunes vulnérables souffrent dans la plupart du temps de « solitude » qui peut déboucher vers un état d'«autodestruction». D'où vient le rôle des différents intervenants de la société (parents, éducateurs, enseignants, etc.) qui auront le devoir de désenclaver ces jeunes de cet isolement et barrer la route à la phase de l'autodestruction. « Les parents, les éducateurs et les enseignants doivent manifester leur présence et les rassurer tout en leur montrant qu'ils se font du souci pour eux et qu'ils s'intéressent à eux. Ils doivent offrir une autre alternative à ce comportement vide et instaurer un dialogue tout en agissant par des actes concrets pour les sortir de leur solitude», renchérit Dr Rekik. Enfin, tous les intervenants ont souligné le rôle que peuvent jouer la culture et le sport pour faire face et prévenir contre ce fléau. Cellules d'écoute, et après ? Et si Mme Samira Merai Friaa, ministre des Affaires de la femme, de la famille et de l'enfance, a annoncé récemment la mise en place, prochainement, de cellules d'écoute au sein des établissements éducatifs dans le cadre d'une stratégie globale de lutte contre le suicide des enfants, les décideurs oublient que les ministères de l'Education et de la Formation, de la Santé publique et des Affaires sociales, de la Solidarité et des Tunisiens à l'étranger avaient déjà mis en place avant la révolution tout un réseau composé de 200 cellules et bureaux d'écoute et de conseil, répartis sur 500 collèges et lycées en Tunisie. Cette expérience s'est soldée par un échec. Elles sont supposées proposer aux élèves des permanences assurées par des médecins, des psychiatres ou des psychologues, des agents ou des assistants sociaux et des conseillers d'orientation. Les cellules d'écoute et de crise ont pour rôle d'apporter aux élèves un soutien psychologique et une assistance immédiate. Toutefois, il est difficile de mettre les jeunes gens en confiance pour qu'ils se confessent et reconnaissent à des «inconnus» certains faits plus ou moins pénibles à révéler. Cela dit, ils gardent tant bien que mal certains secrets qu'ils gardent pour eux ou pour les intimes. Alors pourquoi ne pas s'orienter vers d'autres méthodes tels les numéros verts qui permettent des écoutes anonymes ou bien surfer sur la vague des réseaux sociaux? Une idée à creuser.