Par Bady BEN NACEUR La révolution tunisienne a troqué la chéchia (rouge grenat ou, même, garance) pour le chapeau, ce couvre-chef à l'«européenne» ou à la «méditerranéenne». Une coiffure de forme assez rigide et à l'opposé du bonnet tricoté ou de la casquette que l'on voit dans les courts de tennis ou chez les rappeurs, la visière plutôt maintenue à l'arrière du crâne. Le culte de la chéchia, de même coloris que le drapeau tunisien — symbole du sang de nos martyrs —, portée par nos pauvres ouvriers tunisiens, et usée jusqu'à la corde, durant les années sombres du colonialisme, a presque disparu. On la retrouve pourtant, encore, chez nos syndicalistes, purs et durs, qui défendent la cause du peuple sans relâche, y compris de nos jours. Quant au rouge garance — rouge vif — qui est la préférence de nos beldis, on ne le remarque sur le chef de certaines personnalités «distinguées» qu'à l'occasion de moments solennels, de mariage ou de rituels religieux. Je ne sais si l'artisanat de la chéchia se porte bien aujourd'hui mais je me souviens, il y a plus de vingt ans ! que j'avais, dans cette même rubrique, sonné l'alarme à propos de la situation des artisans de ce couvre-chef, qui avaient perdu certains marchés (en Libye, au Sénégal...), le titre de cet appel désespéré était le suivant : «faites comme moi, achetez une chéchia pour sauver la corporation». Et cela avait marché car, du coup, on vit même la gent féminine porter des chéchias de toutes les couleurs, dans la rue ou lors de soirées de grande convivialité. Aujourd'hui, la révolution enclenchée par la jeunesse tunisienne a changé la donne vestimentaire du tout au tout et il n'est qu'à aller voir sur la grande avenue Habib Bourguiba, scène permanente des grands moments de la révolution du 14 janvier, avec ses bains de foules surprenants, pour s'en rendre compte. Et à propos de chapeaux, justement une nouvelle mode, qui ne dit pas encore son nom, navigue librement et quasi naturellement comme si tout cela allait de soi : Borsalino, béret noir, panama, casquette marine, toque, tube, sombrero, un chapeau à plumes... De véritables coups de chapeaux pour la révolution tunisienne et chapeaux bien bas pour la saluer d'avoir libéré la société de la dictature et de toutes les formes de censure d'un autre temps. On m'a raconté que l'arrivée brusque de ces couvre-chefs — souvent à bon prix — était due à certaines chapelleries d'Europe (la Belgique notamment) et d'Asie (la Chine qui rafle maintenant la plupart des marchés du monde, à cause de ses bas prix). Ces chapeaux dans toutes leurs diversités continuent à rythmer les quatre saisons de la révolution tunisienne. Hommes et femmes— jeunes et moins jeunes —, de toutes les conditions sociales, se les disputant pour aller en ville, au cinéma, au théâtre, au stade, dans les parcs et jardins, les restaurants populaires ou huppés du Grand-Tunis, à l'école ou dans les universités... Alors la bonne question serait de savoir comment le Tunisien et la Tunisienne veulent façonner ou remodeler leur propre identité? En tout cas, chapeau bien bas pour eux aussi...