L'Association des Amis du Belvédère est née en 1989 pour contrer un projet de percée du parc par une voie express. Aujourd'hui, cinq ans après la révolution, elle se mobilise pour les mêmes raisons. Reportage « Une route à quatre voix va emporter une partie du Belvédère ! ». Elle est la première à avoir lancé l'alerte, il y a près de dix jours, sur les réseaux sociaux, auprès de ses confrères et de ses compagnons de l'Association des amis du Belvédère. Une réaction compréhensible, quasi naturelle, de la part d'Imene Zaâfrane Zhioua (voir interview), architecte et enseignante à l'Institut supérieur des technologies de l'environnement, de l'urbanisme et du bâtiment (Isteub) qui a consacré plusieurs années de sa vie, dans le cadre d'un travail de troisième cycle, à reconstituer l'historique du parc du Belvédère. A traquer les éléments biographiques de son concepteur, l'architecte Joseph Laforcade, à chercher les premiers documents citant l'existence du parc dans les journaux et les archives du début du dix-neuvième siècle en France et en Tunisie, à analyser son style, ses plans, ses espèces végétales, son unicité dans cette terre d'Afrique du Nord... Imene Zaâfrane Zhioua nous sert de guide pour évaluer tout l'espace qui sera sacrifié, si le tracé du Plan d'aménagement urbain (PAU) de la commune de Tunis couvrant une tranche de l'espace du Belvédère, révisé à plusieurs reprises depuis 1991, était adopté par décret d'ici le mois de juillet 2016. Le plan a été approuvé en première lecture. Il est actuellement affiché jusqu'à la fin du mois de mars dans les arrondissements municipaux de Tunis pour consultation publique. Le projet charcutera le parc, emportera plusieurs de ses jalons Au volant de sa voiture, l'architecte contourne le carrefour situé face à l'hôtel Sheraton, sur les hauteurs du quartier Notre Dame (les hauteurs de l'ancien Hilton). C'est là où sera amorcée la nouvelle route, qui veut raccorder la Z4 et désengorger les embouteillages dans la capitale, notamment aux heures de grands flux. Elle arrive jusqu'à la première ceinture du Belvédère, qui donne à sa droite sur Jebel Lahmar. « La voie express de 40 mètres de large va forcément emporter ces pins centenaires et toutes ces jolies clairières, qui jouent sur le plein et le vide pour mettre en valeur la végétation. Elle va éliminer le poney club et des équipements sportifs de la ville de Tunis. Pire encore : elle va couper le Belvédère de son environnement urbain ». Nous arrivons à l'Allée Janin, du nom du fameux ingénieur français de la ville de Tunis, qui a eu en 1891 « une heureuse inspiration », selon les procès-verbaux du conseil municipal de l'époque, pour construire cet espace vert au cœur d'une cité en gestation après l'installation du protectorat français en Tunisie (1881). « A partir d'ici, la route va emporter toute la pépinière, tous ces anciens et fiers ficus et palmiers que vous voyez, le lac, une large bande du zoo et la mythique première porte en ferronnerie, précédemment classée. C'est une partie d'un joyau de la ville de Tunis, organiquement lié à son histoire et une tranche de notre mémoire collective qui sont aujourd'hui menacées de disparition », constate Imene Zaâfrane. Classer le site pour garantir sa pérennité Au local de l'Association des amis du Belvédère, nichée à deux pas de l'ancien Casino, actuelle messe des officiers, on ne décolère pas. La contre-offensive se prépare et se précise : une pétition contre la percée du Belvédère, une campagne de plaidoyer pour sensibiliser la société civile, une journée d'étude et de débat avec les urbanistes autour du sujet du parc, son évolution et sa valorisation, l'organisation d'une chaîne humaine autour du site du Belvédère. L'AAB a, d'autre part, envoyé il y a deux semaines un mémoire d'opposition au projet du nouveau PAU à la Municipalité de Tunis. « C'est un non-sens urbanistique ! Entreprendre une telle opération dans le seul poumon de Tunis ! », lance le président de l'AAB, Boubaker Houmane, géologue. Il rappelle les circonstances de la naissance de l'Association des amis du Belvédère en 1989 : la proposition des autorités d'un projet... similaire dans le cadre du même Plan d'aménagement urbain! Le gouvernement de l'époque y avait renoncé devant l'opposition déclarée des amoureux du parc. A la veille de la révolution, une opération immobilière de grande envergure à laquelle étaient mêlés des proches de Ben Ali ambitionnait de faire disparaitre la piscine du Belvédère et d'empiéter sur le périmètre vert qui l'entoure pour y « planter » du béton, des résidences et des immeubles. Les « prédateurs » rodant toujours autour de ce jardin de 113 hectares en plein centre-ville, l'Association organise en 2011 « la marche du Belvédère ». Pour le prémunir contre les possibles menaces, l'AAB réclame depuis l'année 2013 de classer le parc en tant que site culturel. Une idée que rend possible l'article 2 du Code du patrimoine. Cette proposition a été adoptée en décembre 2015 par le ministère de la Culture. La municipalité de Tunis demande alors au ministère de l'Equipement, de l'Habitat et de l'Aménagement du Territoire de lancer un appel d'offres avec concours international intitulé «Projet de revalorisation du parc du Belvédère et de ses alentours». « N'est-ce pas incohérent que deux mois après l'acceptation du classement du parc par le ministère de la Culture, un autre ministère décide de le percer ? On dirait que les structures du gouvernement fonctionnent indépendamment les unes des autres. Et pourquoi cette volonté de réactualiser un ancien plan dans un contexte dominé par les délégations spéciales ? », s'interroge l'urbaniste Khairallah Ben Hafaiedh, membre de l'AAB et cheville ouvrière du projet de classement du parc. Boubaker Houmane s'insurge : « Nous rejetons une telle procédure précipitée, manquant de transparence, exhumée du passé, non inclusive et anticonstitutionnelle qui n'intègre pas les mécanismes de la démocratie ouverte, stipulés dans l'article 139 de la Constitution. A moins d'un mois avant l'adoption du gouvernement du Plan d'aménagement urbain de la commune de Tunis, aucun débat n'a été organisé par les autorités pour expliquer ce projet. Ce n'est pas ainsi qu'on dessine les traits d'une ville participative ». Sur les réseaux sociaux et sur le Net, le cercle des amis du Belvédère, lui, n'arrête pas de s'élargir...