Aujourd'hui que les masques sont tombés, il est temps que l'on révise les désignations et les recrutements dont ont bénéficié les terroristes à la faveur de l'amnistie générale de février 2011 Qui se souvient encore de l'un des axes fondamentaux de la feuille de route du Dialogue national ayant porté le gouvernement de compétences apolitiques au pouvoir en janvier 2014 : la révision des milliers de désignations opérées sous les gouvernements de la Troïka I et II en 2012 et 2013 ? Mehdi Jomâa et ses ministres apolitiques ont géré les affaires courantes du pays à la mesure de leurs possibilités. Toutefois, ils ont fini par transférer le volumineux dossier des désignations au gouvernement Habib Essid formé à l'issue des élections législatives du 26 octobre 2014 remportées par les quatre partis: Nida Tounès, Ennahdha, l'UPL et Afek Tounès constituant la coalition gouvernementale actuelle. Sauf qu'avec la succession des événements qui ont secoué la scène nationale en 2015, notamment les attaques terroristes contre le musée du Bardo, l'hôtel Impérial à Sousse et le bus de la Garde présidentielle ainsi que l'effritement de Nida Tounès en deux partis se livrant la guerre quotidiennement, on ne parlait plus de la nécessité pour le gouvernement Essid de résoudre la question des désignations à revoir, dans la mesure où le gouvernement avait d'autres priorités. Et même si Habib Essid a opéré deux mouvements dans le corps des gouverneurs et des délégués qui n'ont pas satisfait tout le monde, en premier lieu parmi les partis politiques soutenant son gouvernement, rien n'a été fait au niveau de ces milliers de fonctionnaires recrutés à la faveur de l'amnistie générale proclamée par Mohamed Ghannouchi en février 2011 et dont beaucoup se sont révélés des daechistes avérés et aujourd'hui on découvre quotidiennement que tout en étant payés par l'Etat (certains ont même perçu des indemnisations conséquentes), ils participent aux opérations terroristes survenues à Kasserine, à Jendouba, etc. Lundi 7 mars, l'attaque terroriste perpétrée contre la ville de Ben Guerdane a fait tomber tous les masques et a dévoilé que parmi les assaillants daechistes abattus ou arrêtés par les forces armées et de sécurité nationale, il y avait bien des figures daechistes connues pour avoir bénéficié de l'amnistie générale de 2011 et de ses dividendes. Et les habitants de Ben Guerdane de reconnaître qu'ils les connaissent parfaitement et que ces «jihadistes takfiristes n'ont jamais renié leurs idées ou caché leurs appartenances». Les Tunisiens veulent tout savoir Aujourd'hui que tous les masques sont tombés, on demande que le dossier de recrutement des bénéficiaires de l'amnistie générale de février 2011 soit rouvert. Habib Essid, chef du gouvernement, n'a pas été long à accéder à cette demande populaire. Samedi dernier, il est allé à la rencontre des citoyens à Ben Guerdane pour leur annoncer une série de mesures de développement à caractère urgent. Par la même occasion, il a fait savoir que le dossier des amnistiés et recrutés par milliers dans l'administration (on parle de près de trente mille dont 90% sont d'appartenance nahdhaouie ou proches du parti de Montplaisir) sera révisé dans le sens de parer aux erreurs commises en 2012 et 2013 et dont on subit les conséquences désastreuses. On apprend, dans ce contexte, qu'il a été décidé, dans une première étape, de geler le recrutement de ceux qui attendent leur désignation parmi les bénéficiaires de l'amnistie générale et dont le nombre s'élève à près d'un millier d'amnistiés menant depuis quelques semaines des mouvements de protestation et des sit-in demandant à ce que le processus de leur intégration dans les postes qui leur sont promis soit accéléré. Certaines révélations précisent également qu'«outre l'évaluation du rendement des amnistiés, les autorités ont procédé récemment à une révision sécuritaire des dossiers de ces mêmes amnistiés, à la faveur du dévoilement du nombre de plus en plus croissant des éléments compromis dans les attaques terroristes parmi les bénéficiaires de l'amnistie générale. Certaines sources avancent le nombre de 200 cas». La question qui se pose le plus naturellement du monde est la suivante : le gouvernement a-t-il les moyens ou la volonté de pouvoir débarrasser l'administration de quelque trente mille recrutés l'ayant rejointe en 2012 et 2013 ? Comment va-t-on procéder pour «assainir nos administrations de toute personne sur laquelle pèse un soupçon d'appartenance à la nébuleuse daechiste»? Abdelkader Labbaoui, président de l'Union tunisienne pour le service public (une association de la société civile assurant le suivi de toutes les désignations au sein de l'administration), assure disposer de la solution. «La présidence du gouvernement est appelée à créer une commission neutre de révision des recrutements. La commission fonctionnera sur la base de critères objectifs et devra être composée de personnalités compétentes, intègres et objectives», souligne-t-il. Il ajoute : «la commission doit bénéficier du soutien total des trois présidences et ses membres doivent être protégés. Leur mission est très délicate dans la mesure où leur intervention va toucher toutes les administrations, y compris l'institution sécuritaire, à l'exception de l'armée». Le dernier mot reviendra à la justice Qui seront concernés par les décisions qu'aura à prendre la commission, à la création de laquelle appelle Abdelkader Labbaoui ? «Tous ceux dont la compromission sera établie doivent être sanctionnés comme le prévoit la loi. Seulement, dans les pays, de droit, et la Tunisie est l'un de ces pays, les gens concernés doivent avoir le droit d'ester devant la justice pour s'opposer aux décisions de l'administration au cas où ils s'estimeraient lésés», précise un juriste parlant sous le sceau de l'anonymat. Quant aux partis politiques, plus précisément ceux de la Troïka auxquels on impute la responsabilité d'avoir fait le nid du terrorisme par leur laxisme et leur laisser-aller, ils se contentent jusqu'ici de débiter leur discours habituel : «C'est Mohamed Ghannouchi qui a libéré les terroristes en 2011 et nous en payons aujourd'hui le prix». Et quand on leur rappelle leurs erreurs, ils répliquent machinalement que «les exclusionnistes sont de retour et que la guerre contre le terrorisme impose une véritable union nationale».