Par Mohamed JARRAYA* Le dernier bilan, des deux caisses sociales (Cnss et Cnrps), dressé par le ministre des Affaires sociales, faisant état de «situation catastrophique», a non seulement défrayé toutes les chroniques, mais a «soufflé un vent glacial» sur tous les adhérents sociaux (environ 4,7 millions de citoyens entre actifs et retraités). Un souci de plus pour le pauvre Tunisien qui n'arrête pas d'encaisser (accumuler) les malheurs et drames depuis 2011 : quel printemps de régal ! A vrai dire, cette situation remonte à plusieurs années avant 2011. Certains responsables avisés avaient tiré la sonnette d'alarme, mais aucune bonne suite radicale n'avait été donnée. Pire encore, à l'époque, certains dirigeants de ces caisses présentaient, à Ben Ali, des bilans positifs : une véritable mascarade... Nos partenaires stratégiques (UE, Banque européenne, Banque mondiale, FMI et autres) avaient formulé certaines recommandations, mais vainement. Nos «élites politiques» les avaient accusés de «diktat». D'après le ministre des Affaires sociales, le déficit des caisses est passé de 15% en 2011 à 59% en 2015. Ces déficits menacent la continuité des services sociaux au profit des adhérents (frais de soins, pensions de retraites, etc.). Les raisons profondes de cette situation ? Pour les deux caisses, les principales raisons des déficits sont : La prolongation de la moyenne de l'espérance de vie du Tunisien, de 45 à 75 ans L'octroi de pensions de retraites aux victimes de la dictature, dans le cadre du « fameux » dédommagement. Ces victimes n'ont jamais, ou pas assez, cotisé aux caisses ... Le manque de bonne gouvernance dans la gestion des ressources Le sureffectif (salariés administratifs) des caisses L'accumulation des dettes non recouvrées auprès de l'Etat (avances de trésorerie) et des entreprises publiques et privées (cotisations) Les augmentations imposées par les mouvements syndicaux (santé, enseignement, phosphate, sécurité, transport, etc.) depuis 2011, notamment La quasi-faillite des centaines d'entreprises confisquées : pertes de salaires et de cotisations sociales La montée des grèves et des arrêts de production dans les Epic (40% des heures de travail perdues annuellement) : pertes de salaires et de cotisations sociales Le nombre de cotisants actifs par retraité est tombé à 1,5 alors que le minimum est de 7. Il était de 3 en 2010. Ce manque de couverture s'est aggravé rapidement ces dernières années. A cause de l'évolution démographique, cet indice passerait à 1,25 d'ici 2050 (projections du Cres). Pour la Cnrps, deux raisons s'ajoutent : L'inadéquation entre les cotisations (15 ans maximum) et les pensions de retraites servies aux milliers de hauts cadres de l'Etat (ministres, secrétaires d'Etat, ambassadeurs, consuls, gouverneurs, etc.), estimées à 90% du dernier salaire perçu. Alors que le simple citoyen doit cotiser au moins 25 ans pour avoir droit à une pension de 80% de la moyenne de ses salaires pendant les 10 dernières années. Une belle équité sociale ... La faiblesse de la cotisation (15% contre 27% pour la Cnss). Pour la Cnss, beaucoup de fonds avaient été investis dans des entreprises et des biens fonciers (terrains notamment). Pendant ces 6 ans, beaucoup de ces entreprises sont tombées en quasi-faillite. Les terrains n'auront de valeur qu'une fois vendus. Or, la conjoncture économique actuelle ne permet ni de trouver l'acquéreur ni le bon prix. Ainsi, ces placements sont, pour le moment, non convertibles en liquidité pouvant sauver la caisse. Est-ce le spectre des « subprime » ! Ainsi, pour 100 DT de salaire brut perdu, les déficits directs sont de 15 DT pour la Cnrps et 27 DT pour la Cnss. Par expérience, en cas de difficultés, les entreprises commencent par arrêter le paiement des cotisations sociales. Ainsi, les impayés montent et réduisent les recettes des caisses. Des solutions possibles ? Chacune des parties du duel présentent ses solutions consacrant sa vision et ses objectifs. Le gouvernement propose une réforme paramétrique : Repousser l'âge de départ à la retraite de 5 ans, de 60 à 62 ou 65 ans Augmenter le taux de cotisation Réduire le taux de remplacement Comme d'habitude, c'est le salarié (maillon faible) qui est appelé à supporter la facture. L'effet des réformes paramétriques est négatif sur les variables macroéconomiques. Plus on augmente le taux de cotisation, ou on réduit le taux de remplacement, plus l'effet négatif est important. Par contre, ces réformes ont un effet positif sur le solde du système de retraite. Ainsi, pour les responsables, ces réformes sont inévitables pour rééquilibrer rapidement les finances du système de retraite. Les spéculations politiques et syndicales ont empiré la situation. Le dialogue est souvent mené à «bras de fer». C'est la rançon chère des gouvernements de coalition et du libéralisme syndical. La Tunisie n'est pas préparée et ne peut, de nos jours, supporter ces « tiraillements». L'Ugtt réclame à la fois une retraite plausible, avec le minimum de cotisation, le minimum d'âge et le maximum de services : le beurre et l'argent du beurre... A court de moyens, le gouvernement rame pour trouver une issue pour sauver les caisses avec le moins possible de «pots cassés». L'Utica fait la sourde oreille, pour le moment, tant qu'on n'envisage pas encore d'augmenter la cotisation patronale. Quid de toute fiscalité sociale. Les partis membres de la coalition au pouvoir tirent, chacun à sa manière et selon ses intérêts, les ficelles de cette affaire. Entre s'alarmer et miroiter des pseudo-solutions, chacun «joue» sa musique. A mon avis, les bonnes solutions sont les suivantes : Ne pas prolonger l'âge de la retraite pour laisser plus de chances aux nouveaux employés Encourager plus l'emploi des jeunes pour avoir plus de cotisants Mettre au même niveau les cotisations des deux caisses avec la règle 1/3 cotisation salariale, 2/3 cotisation patronale Céder les terrains et biens fonciers inutiles à l'AFH, l'AFI et promoteurs immobiliers au prix courant du marché. Les recettes serviront à réduire le déficit, et l'éventuel excédent sera placé en produits financiers sûrs (bons de trésor, emprunt national, etc.) Instaurer une dotation de 0,5% des intérêts bancaires au profit des caisses Envisager d'introduire un pilier par capitalisation sur un horizon de 20 ans. Il serait nécessaire pour consolider le système par répartition pour faire face au vieillissement de la population. Toute réforme se traduit par un coût qui sera d'autant plus important que la réforme est retardée. *(Expert en économie, président de l'Observatoire Tunisia Progress)