Répondant aux critiques et à toutes sortes de controverses n'épargnant ni sa personne ni l'instance qu'elle préside ces deux années durant, Sihem Ben Sedrine a tenu à mettre en avant le consensus national dont fait l'objet l'IVD A l'issue de deux ans dédiés à la création et à la mise en place de l'Instance vérité et dignité (IVD), chargée de conduire le processus national de justice transitionnelle, la présidente Sihem Ben Sedrine et son équipe ont organisé hier une conférence au siège à Tunis, réunissant les principaux organes de presse écrite, audiovisuels et agences. Un dossier de presse est distribué aux journalistes dans lequel figure essentiellement le rapport moral et financier. L'objet de cet événement médiatique, dans lequel se sont immiscés quelques agitateurs vindicatifs, est de présenter l'aboutissement de deux années de labeur consacrées au processus constitutif qui s'est avéré fort compliqué, également à la réception des dossiers des plaignants. Le 15 juin 2016, à minuit, en présence d'huissiers de justice, l'acte de clôture pour la réception des dossiers a été officiellement établi. D'où cette conférence tenue deux jours après, inaugurant une nouvelle étape du mécanisme enclenché voilà à peu près une année et demie. Des chiffres et des dossiers Ce sont les trois derniers jours avant la date butoir que la pression sur l'IVD est devenue trop forte, nécessitant l'ouverture de plus de 100 bureaux d'ordre sur l'ensemble du territoire. Rien que le 15 juin, dernier jour, pas moins de 5 mille dossiers y sont déposés. Bilan plus ou moins final, 65 mille dossiers sont soumis à l'Instance, dont 58 mille informatisés, les 7 mille restants sont en cours d'enregistrement manuel. Plus de 1.500 requêtes sont envoyées à distance via le web. De la totalité des dossiers, 13.300 plaignantes ont saisi l'Instance. Militants, politiques, organismes et associations, en plus des citoyens lambda, figurent dans ces listes. L'Ugtt a chargé une commission interne pour coordonner avec l'IVD et lui transmettre les données et archives nécessaires. La Ligue tunisienne des droits de l'Homme, l'Ordre des avocats, le Syndicat des journalistes, les Femmes démocrates, l'Association des magistrats, ainsi que les minorités juives, noires et amazighes qui ont subi toutes sortes de discrimination sur les différentes périodes de l'histoire, réclament leur droit à la justice et à la réparation Les familles politiques, yousséfistes, nationalistes, islamistes, la gauche avec l'ensemble de ses courants et sensibilités, du mouvement Perspectives jusqu'au Parti des travailleurs tunisiens, les familles et compagnons des martyrs Chorki Belaïd Et Mohmed Brahmi revendiquent leurs droits de savoir et à la justice. Plus de 30 régions ainsi que les familles des martyrs et des blessés de la révolution se présentent en victimes. Arbitrage et réparation Plusieurs membres de la famille des Rcdistes, le parti dissous de l'ancien régime, ont montré leur disposition de reconnaître leurs parts de responsabilité dans les atteintes aux droit humains et toutes sortes de violations perpétrées. Ils se sont dits prêts à reconnaître leurs torts, à les assumer, et à demander pardon. Ils considèrent, fait valoir Sihem Ben Sedrine, que le processus de la justice transitionnelle est la meilleure voie vers la réconciliation et la paix pour tous. Répondant aux critiques, et toutes sortes de controverses n'épargnant ni sa personne ni l'instance qu'elle préside ces deux années durant, Sihem Ben Sedrine a tenu à mettre en avant le consensus national dont fait l'objet l'IVD. Les forces politiques et sociales du pays, a-t-elle insisté, accordent au processus de justice transitionnelle le crédit nécessaire. La justice transitionnelle est inhérente à une transition démocratique réussie, c'est un acquis qui fait honneur à cette instance constitutionnelle, se plaît-elle à rappeler. Pour ce qui concerne le processus d'arbitrage et de réconciliation des figures de l'ancien régime qui a visé notamment l'homme d'affaires et gendre de l'ex-président Ben Ali, Slim Chiboub, d'autres personnes se sont inscrites dans le même processus, apprend-on, et dont les noms ne seraient révélés qu'après instruction de leurs dossiers. Il s'agit d'un processus de résolution de conflit entre l'Etat et la personne poursuivie essentiellement pour malversations, détournement de fonds publics. L'IVD, de par les compétences qui lui sont conférées, entre autres le pouvoir arbitral, est chargée de statuer. Conférence interrompue Seuls quelques journalistes ont pu intervenir avant que la séance ne soit levée à cause de sérieux troubles causés par un perturbateur visiblement connu de la maison, animant un sit-in mitoyen à l'instance, similaire, soit dit en passant, à tous les autres sièges encerclant les départements ministériels depuis des mois dans la capitale et ailleurs. Les questions portaient sur le montant des réparations que l'Etat sera obligé de verser, les noms des personnalités déposant un recours auprès du mécanisme d'arbitrage et réconciliation, les négociations avec le ministère de l'Intérieur quant à l'ouverture de ses archives, et la compétence des équipes relevant de l'IVD à mener des enquêtes compliquées. Tout au long de la conférence, un vidéoprojecteur faisait défiler les photos des plaignants dans les bureaux de l'instance. On y trouve, il est vrai, un échantillon panaché de personnalités politiques des plus anciennes aux plus récentes. Les derniers jours, déposer son dossier à l'IVD est devenu à la mode, dans l'air du temps. Pour un peu on penserait que tous les Tunisiens sont tentés de porter plainte les uns contre les autres. «Non, rétorque à cette interpellation de La Presse la présidente de l'IVD, l'Etat doit répondre de ses actes, pour avoir signé des conventions internationales, entre autres, et réparer les préjudices qu'il a fait subir à ses citoyens». Certes, mais cette citation de Montesquieu dans l'Esprit des lois invite à la méditation : «Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. Il faut donc que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir».