Artiste de la récupération, ferrailleur à l'origine, Hammadi Ben Neya est devenu en peu de temps parmi l'un des sculpteurs les plus en vue en Tunisie et à l'étranger.Après son exposition personnelle très réussie qui a eu lieu en avril à la galerie Alexandre Roubtzoff, il est passé aux journées méditerranéennes de l'art visuel à Hammamet. L'artiste est également attendu en Serbie et en Turquie avant la fin de l'année. Entretien. Comment vous avez opté pour cette matière dure et froide qui est le fer ? Ce n'était pas un hasard puisque à la base j'étais ferrailleur. Je passais la plupart de mon temps à l'intérieur de cette matière démembrée, usée et abandonnée. Une matière qui semble parfois fatiguée d'être usée toujours de la même manière et qui a envie de se rafraîchir, d'avoir une nouvelle vie,de renaître sous une forme beaucoup plus riante ou émotive. C'est bizarre, ou je dirais plutôt que c'est magique ! Lorsque les choses sont abandonnées, elles vous livrent des messages très discrets par leur forme... Comme si elles vous faisaient des clins d'œil... Je suis très attentif à ces clins d'œil et la matière m'interpelle. J'irais même jusqu'à dire que le contenu de la ferraille me murmure beaucoup d'histoires. Puisque je suis un artiste autodidacte, je ne suis pas entré directement dans la création. J'ai commencé d'abord par rassembler les objets qui avaient quelque chose à dire. Comme si quelqu'un rassemblait des mots prononcés par différentes langues pour construire une phrase intelligible et ensuite un texte. Un jour, j'ai mis cette matière à contribution et je lui ai donné un langage qui est celui de l'art. Ce sont mes amis sculpteurs qui, voyant que je maîtrise la technique de la soudure, m'ont poussé à faire le premier pas. Cela dit, je travaille aussi avec le bronze, l'inox, le cuivre, etc. Quelle est la matière qui vous donne le plus de fil à retordre ? Le bronze ! C'est une matière qui est très difficile à souder mais c'est aussi une matière très noble. Qu'est-ce qui donne le départ à l'œuvre chez vous ? Plusieurs de mes œuvres reposent sur l'actualité ou ce que je considère comme une réaction aux actualités. L'une de mes plus importantes sculptures par exemple m'a été inspirée par une affaire qui a défrayé la chronique à l'époque : la femme violée par deux agents de police. La grève des journalistes m'a également inspiré une belle sculpture d'un journaliste qui proteste. L'autre partie de mes œuvres est guidée par la matière. Ce sont des morceaux de ferraille qui m'attirent pour me raconter une histoire... Quels sont les sculptures les plus importantes pour vous ? Elles sont toutes importantes ! Mais je dirais plutôt les sculptures qui m'ont permis de passer des messages, comme celle de la femme violée par les deux agents de police par exemple ou celle où j'exprimais mon opinion sur la question du terrorisme. Pour moi, c'est à la fois une prise de position et une création artistique. Il y a beaucoup de présences féminines dans vos sculptures... La femme est ma seule source d'inspiration... Certains pensent que la sculpture est mieux armée pour passer le message que la peinture ? Je partage cette opinion quelque part parce que la sculpture présente un avantage visuel très important : elle est visible de tous les côtés, c'est une image en 3D si je puis m'exprimer ainsi. Un tableau aussi peut véhiculer de l'émotion, mais pour les sculpteurs comme moi, c'est une autre paire de manche : on travaille la matière dure et lourde, et on dialogue avec elle. On a l'impression qu'elle est plus volubile. Comment qualifierez-vous ce dialogue ? Je qualifie mon métier comme un dialogue très physique avec la matière... Et pour moi, c'est tellement physique et éprouvant que j'ai récolté une hernie discale... Je note cela pour dire que même si la matière nous obéit quelquefois, elle n'est pas souvent tendre avec nous... Les Tunisiens qui s'intéressent à l'arts, le sont plus par la peinture que par la sculpture... Effectivement ! Car la culture de la sculpture en Tunisie n'est pas encore assez développée. L'une de ces raisons est purement religieuse, puisque pour certaines mentalités, la sculpture est jugée comme une agression contre les préceptes religieux. La preuve, ce sont les réactions vis-à-vis des sculptures. La dernière est la réaction contre les sculptures de Iran Ouanès à La Marsa. Il n'y a pas eu également une politique qui instaure la culture de la sculpture en Tunisie, à l'instar de l'Egypte, de la Syrie ou de l'Irak où les sculptures sont dans les rues et où monsieur tout-le-monde peut vous nommer l'auteur d'une telle ou telle sculpture. Il y a de très belles sculptures qui sommeillent à la cave de Ksar Saïd. Heureusement que l'actuelle ministre de la culture semble avoir trouvé une solution pour préserver ces œuvres. Mais on reste toujours dans l'attente d'un musée national d'art contemporain et, personnellement, je ne désespère pas... Mais le musée reste la pièce maîtresse qui manque à l'art en Tunisie. Dernièrement, j'étais à Rabat et j'ai visité le musée d'art contemporain qui faisait une rétrospective de Giacometti. C'est le genre d'exposition qu'on peut organiser si on avait un musée national parallèlement aux expositions des œuvres tunisiennes sur toute l'année que les écoles de toute la république peuvent visiter