Depuis une bonne quinzaine d'années, le commerce de distribution connaît des transformations importantes et dont la portée risque d'être irréversible si rien n'est fait pour garantir un certain équilibre dans le marché. En effet, avec l'entrée en activité des hypermarchés au début des années 2000, le mode de consommation des Tunisiens a commencé à changer. Il est sans doute plus confortable de se balader avec un chariot à travers les rayons d'une grande surface et choisir parmi une gamme relativement assez variée de produits que d'aller chez l'épicier du coin et acheter au jour le jour de quoi subvenir à ses besoins. La prolifération des grandes surfaces, surtout en zones urbaines et de grande affluence, a sans doute apporté un coup de bonheur au consommateur, qui ne se contente plus de subvenir à ses besoins élémentaires, mais se permet un meilleur accès aux produits complémentaires. Cela a permis d'instaurer un nouveau climat de concurrence et par la force des choses à l'amélioration du rapport qualité/prix, surtout après l'entrée en accès libre de produits importés. Mais le revers de cette nouvelle donne, c'est que plusieurs détaillants et même des grossistes ont commencé à souffrir. Certains ont même disparu, au grand dam du consommateur, car au fait, « l'épicier du coin », bien qu'un peu plus cher, s'est avéré très utile tôt le matin ou tard le soir, lorsque les grandes surfaces sont fermées. Que s'est-il passé au juste ? En jouant sur l'économie d'échelle, les grandes surfaces se sont retrouvées très avantagées par rapport aux petits commerçants. En achetant de grandes quantités, ils ne sont pas obligés de passer par un grossiste pour s'approvisionner. Mieux encore, grâce à leur chiffre d'affaires, forcément élevé, ils jouissent d'une meilleure force de négociations, ce qui leur permet d'obtenir des remises conséquentes au niveau des usines. Tout cela leur permet de cumuler des marges bénéficiaires importantes, leur permettant de faire bénéficier le consommateur final de meilleurs avantages que le petit commerçant ne peut pas accorder. Remises systématiques par catégorie, ventes promotionnelles, gratuité en cas d'achat de quantités relativement élevées, sans oublier les points de fidélité, permettant de liquider certains produits en stock. De l'autre côté, l'épicier n'a pas trop évolué, à part quelques petits commerces qui se sont transformés en supérettes. Mais en règle générale, là où des supermarchés ont ouvert, les petits commerces ne trouvent plus leurs comptes. Et par voie de conséquence, les grossistes sont gravement touchés, certains d'entre eux ont fermé leur point de vente, d'autres ont changé de locaux pour réduire les frais de fonctionnement et, le plus important, c'est que rarement ces commerçants traditionnels se sont rassemblés pour avoir plus de poids... C'était pourtant une recommandation majeure du système depuis le lancement de sa « modernisation ». Au fait, l'idée au départ était de favoriser un rassemblement de ces petits commerçants en centrales d'achat, leur permettant de rivaliser avec la montée des grandes surfaces. Mais au final, c'est la mentalité familiale qui l'a emporté, d'où les grandes difficultés que connaissent les petits détaillants. D'où également le signal d'alerte que viennent de lancer les petits commerçants et les grossistes pour sauver leur gagne-pain. Certes, l'Etat ne va pas restaurer son protectionnisme à l'égard de ces opérateurs, mais son rôle de régulateur lui implique d'intervenir pour restaurer un certain équilibre, permettant à chacun d'exister. Réduire, par exemple, les horaires des grandes surfaces de 9h00 à 19h00 permettrait aux petits commerçants de respirer. Mieux encore, limiter leur ouverture jusqu'à 13h00 pendant les dimanches et les jours fériés permettrait une meilleure répartition horaire entre les deux modes de distribution. D'un autre côté, le patronat du commerce devrait trouver les mécanismes permettant de créer des centrales d'achat, auxquelles seront affiliés les petits commerçants, et par là de bénéficier de remises aussi importantes que les super et hypermarchés. Faire tout cela et espérer... Car de nos jours, les choses ont encore évolué. On assiste maintenant à une montée de la vente en ligne et à la livraison à domicile, donc zéro frais de loyer et beaucoup moins de charges fixes. Et, à moins que cela ne soit entaché d'arnaque, le consommateur est en passe d'être encore plus le roi de la situation...