On parle de plus en plus de députés qui ont fauté et dont on doit lever l'immunité pour qu'ils puissent comparaître devant la justice. Au palais du Bardo, on entretient le flou total Dans la longue histoire de l'institution parlementaire tunisienne depuis l'indépendance, il est des dates marquantes relatives, plus particulièrement, à la levée de l'immunité parlementaire afin qu'un député puisse comparaître devant la justice ou à la révocation pure et simple d'un parlementaire devenu gênant et incontrôlable et dont le parti qui l'a fait entrer au palais du Bardo voudrait se débarrasser. L'on se rappelle toujours la fameuse séance plénière tenue en 1965 pour lever l'immunité parlementaire dont bénéficiait feu Habib Achour, à l'époque secrétaire général de l'Ugtt, pour que la justice puisse le poursuivre dans la célèbre et triste affaire du loud de Kerkennah. On se souvient encore que seul feu Ahmed Tlili (pourtant évincé injustement en 1963 de la tête de l'Ugtt au profit du même Habib Achour sur ordre de Bourguiba) avait pris la défense de Achour pour soutenir que l'affaire était montée dans le but de punir Habib Achour qui était contre la dévaluation du dinar. On se souvient également du célèbre article 109 du règlement intérieur du Parlement qui stipulait que tout député qui était révoqué de son propre parti perdait automatiquement son siège à l'Assemblée nationale devenue en 1981 la Chambre des députés et en 2014 l'Assemblée des représentants du peuple (ARP). Et cet article qui a fait beaucoup de victimes parmi les personnalités destouriennes appartenant à la fraction dite démocratique au sein du PSD dans les années 70 du siècle dernier n'a été abrogé qu'en 1981 à l'issue des élections législatives du 1er novembre de la même année. Seulement et à l'instar des parlements dans le monde entier, la levée de l'immunité parlementaire pour motifs juridiques est toujours de mise et tout député ne peut comparaître devant la justice qu'à la condition que cette dernière demande au Parlement la levée de son immunité et qu'une séance plénière ou à huis clos accède à la requête de la justice. Moncef Sellami, Soufiène Toubal et les autres A la faveur des divisions qui caractérisent ces dernières semaines le paysage politique national dans la foulée de la guerre que tout le monde prétend mener contre la corruption et contre ceux qui se sentent tout puissants grâce au soutien dont ils bénéficient auprès des hautes sphères du pouvoir compromettant des députés présumés coupables, plusieurs affaires ont éclaté au grand jour. Ainsi, Moncef Sellami, le député nidaiste et directeur du quotidien Al Maghrib, est-il sur la liste de ceux dont on cherche à lever l'immunité en raison d'un article publié par le journal et considéré comme diffamatoire. Soufiène Toubal, le chef du groupe parlementaire nidaiste, est lui aussi accusé d'avoir reçu des pots-de-vin de l'ordre de 10.000 dinars de la part d'un militant nidaiste de base en contrepartie d'une promesse de faire recruter sa fille en tant que magistrate. Sameh Gobantini, députée nidaiste, est aussi dans le viseur de Chedli Ayari, gouverneur de la Banque centrale, qui voudrait la poursuivre en justice à la suite de sa déclaration l'accusant d'avoir fait perdre à l'Etat tunisien la somme de 120 millions de dinars en commettant une erreur de gestion en matière de restitution des dettes tunisiennes dans les délais impartis. Samia Abbou, la sulfureuse députée du Courant démocratique, est écoutée par la justice en tant que témoin (qui n'a rien vu et ne détient aucune preuve) dans des affaires de corruption impliquant ses collègues au palais du Bardo. Jusqu'ici, elle livre aux juges l'interrogeant «les données que j'ai entendues dans les couloirs de l'Assemblée des représentants du peuple», comme elle l'assure elle-même. Mais rien n'empêche les juges d'instruction de changer d'attitude envers Samia Abbou et de lui coller l'accusation de colportage de fausses rumeurs de nature à entraver l'action de l'institution parlementaire et de salir la réputation de ses collègues. Et en conséquence, le parquet pourrait demander la levée de son immunité afin qu'elle paye de ses écarts verbaux qui ne se comptent plus. Ons Hattab, la députée nidaiste, que certaines sources se disant très informées présentent comme la femme qui pourrait resusciter Nida Tounès de ses cendres, est-elle aussi dans l'œil du cyclone ? L'ancien président intérimaire de la République, Moncef Marzouki, a intenté un procès contre elle l'accusant d'avoir influencé les électeurs dans un bureau de vote dans la région de Kairouan à l'occasion de l'élection présidentielle de novembre 2014. Elle a déclaré : «Je suis prête à comparaître devant la justice et je ne suis pas très attachée à l'immunité parlementaire. Pour moi, l'affaire est purement politique». Cette position adoptée par Ons Hattab rejoint celles déjà exprimées par ses collègues Moncef Sellami et Sofiène Toubal qui ont demandé eux-mêmes que leur immunité soit levée, estimant que personne n'est au-dessus de la loi et que personne n'est en droit de salir leur réputation en multipliant les déclarations à leur encontre sans apporter une seule preuve. Au sein de l'ARP et comme toujours, on assiste au discours et à son contraire. Kalthoum Badreddine, députée nahdhaouie et présidente de la commission du règlement intérieur, de l'immunité et des lois parlementaires, assure que sa commission a été saisie le 17 octobre de requêtes demandant la levée de l'immunité de 10 députés, objet d'affaires en instance devant la justice. Quant à Mongi Harbaoui, député nidaiste et porte-parole officiel du bureau de l'ARP, il affirme que le bureau n'a été saisi d'aucune requête jusqu'ici. L'on se pose l'éternelle question : Quand nos députés vont-ils accorder leurs violons et arrêter ce jeu lassant de se démentir les uns les autres à longueur de journées ? Ce jeu qui n'intéresse plus personne nous rappelle malheureusement ce qu'a vécu la défunte Assemblée nationale constituante (ANC) quand les constituants ont bloqué purement et simplement la demande de levée de l'immunité du constituant cepériste Amor Chetoui et de la constituante et aujourd'hui députée du Courant démocratique Samia Abbou, poursuivie par Béji Caïd Essebsi, à l'époque président de Nida Tounès, pour l'avoir accusé d'être impliqué dans l'assassinat de Chokri Belaïd.