Avec l'avènement du staff de Zeïda Doghri née Khalsi, l'escrime tunisienne négocie un tournant qui peut se révéler décisif aussi bien au niveau des moyens qui lui sont dévolus que de son rayonnement à travers le pays. La première présidente de l'histoire de la FTE a plein de projets pour l'avenir. L'esprit entrepreneurial, la démarche pleine d'initiatives et le goût de la conquête, tout cela traduit l'empreinte de la femme d'affaires qui veut s'acquitter d'une dette envers le sport dans lequel baignaient ses années d'enfance et de jeunesse. Entretien avec une ancienne championne qui veut toujours apprendre et guerroyer sabre en main. Zeïda Doghri, pourquoi cette reprise avec l'escrime après toutes ces années d'éclipse ? J'ai voulu prendre du recul pour me consacrer à ma famille et à mon boulot. Mais depuis quelques années déjà, l'appel de l'escrime a été le plus fort. Certes, je n'assumais aucune charge ni à la FTE ni dans mon club, le CA, mais je suivais de très près les affaires de l'équipe nationale. Toutefois, je n'avais aucune intention de me présenter aux charges fédérales. Il faut aider l'escrime en tant que sport le plus titré, qui nous a valu de grandes satisfactions sur la scène internationale. Nous allons être dans la continuité du travail accompli par des générations entières de responsables, mais avec beaucoup de réformes que nous espérons pouvoir mettre en place. Vous n'allez pas construire à partir du néant, tout de même ? Non, mais nous avons beaucoup d'ambitions pour l'escrime nationale. Le nouveau bureau fédéral compte six membres sur douze qui ont pratiqué notre sport, contre deux seulement au bureau sortant. Nous sommes déjà les enfants de l'escrime. Autre particularité : la présence féminine remarquable avec cinq membres : Samia Marrouki, Imène Drissi, Takwa Sakma, Rim Boubakri et moi-même. Toute l'équipe fédérale va s'atteler à baliser les passerelles de la communication avec les clubs, chose qui a fait d'une certaine manière défaut. Vous êtes la première présidente de l'histoire de l'escrime tunisienne. Avec la première responsable de la «fédé» de tennis, Selma Mouelhi, vous êtes les seules présidentes d'une fédération sportive. Mais, d'ores et déjà, un tabou est en voie d'être chassé... Oui, et ces préjugés à l'endroit de la femme n'ont plus de place dans une société tunisienne où elle tient, à l'égal de l'homme, tous les leviers du pouvoir et participe d'égal à égal à la construction de la Tunisie nouvelle. En fait, je n'ai aucune ambition politique, je fais le sport pour le sport. Je veux protéger une discipline que j'ai pratiquée et appris à aimer contre les intrus. J'ai été sollicitée par le passé par d'anciens présidents fédéraux pour faire partie de leurs bureaux. Depuis quatre ans, je suis revenue de très près dans le giron de l'escrime, un sport en perpétuelle transformation à travers le monde, que ce soit au niveau du matériel ou des règlements. Quelles sont les difficultés auxquelles se trouve confrontée l'escrime? La première a trait au matériel et à l'équipement. Vous savez, le matériel est très coûteux : l'équipement d'un escrimeur peut coûter jusqu'à un millier de dinars (cuirasse, masque...). Une lame vaut 150 dinars. Certes, on peut se procurer du matériel made in China nettement moins coûteux, mais uniquement pour les entraînements, pas pour la compétition. J'ai été choquée par l'état de l'infrastructure dans laquelle se préparent nos athlètes. L'escrime ne dispose pas de salle fédérale. On emprunte une moitié de la salle de boxe, on fait comme on peut dans une salle du lycée sportif où, à chaque pluie, le parterre est inondé. Il y a actuellement un manque flagrant à ce niveau. Pourtant, la Tunisie était avant-gardiste en matière d'organisation des tournois internationaux. L'escrime doit être inscrite parmi les sports ciblés. Son salut passe par là. Donnez-nous une salle digne de ce nom, et nous ferons des miracles. Déjà, le 12 mai 2017, la Tunisie va abriter une étape de la coupe du monde de sabre féminin. Il y a aussi des régions qui manquent cruellement de moyens. Etre ciblé va permettre de disposer de fonds et de moyens beaucoup plus importants. Nous restons les premiers en Afrique malgré des moyens dérisoires. Le budget alloué à la préparation d'un champion sur lequel compte l'Egypte pour installer sa suprématie est de l'ordre d'un million de dinars. Notre budget ne dépasse pas 480 mille dinars, dont 80% vont vers l'élite. Que reste-t-il pour les clubs? Si l'on veut mettre à exécution un programme ambitieux pour l'escrime, et s'ouvrir sur les régions frontalières, il faut lever des fonds beaucoup plus importants. Je comprends parfaitement que la conjoncture actuelle du pays soit très délicate, et c'est pour cela que nous devons conjuguer nos efforts. Je ne veux pas avancer des promesses que je ne saurais tenir. Je reviens dans l'escrime par amour pour ce sport que j'ai pratiqué depuis mon plus jeune âge, en 1970-71, au sein du Club Africain. J'ai appartenu à l'équipe nationale entre 1975 et 1988. J'ai arrêté en 1990 pour me consacrer à ma famille. Même sans statut officiel, j'ai toujours été active dans ce sport. Déjà, entre 1984 et 1986, j'ai été vice-présidente de section au CA, aux côtés de Khaled Belkadhi. Combien de clubs sont affiliés à la FTE ? Treize clubs pour 600 licenciés. Je sais que c'est peu, ces chiffres ne peuvent pas correspondre à nos ambitions. Mais, déjà, comme cela, nous rencontrons de sérieuses difficultés pour relever un tas de défis inhérents à l'infrastructure, au matériel et à l'équipement des pratiquants, à la formation et au recyclage. Nous avons invité un maître d'armes français, Olivier Lambert, à animer du 5 au 9 décembre à Tunis un stage de formation dédié au fleuret. Et puis, si nous n'accordons pas la priorité à la formation des jeunes, c'est la mort lente de l'escrime. Il reste toutefois quelques signes de vitalité qui nous donnent du courage. Comme, par exemple, l'engouement des parents des jeunes escrimeurs à Monastir et à l'ASF qui servent, à mon avis, d'exemple. Et au niveau de l'élite et de la relève ? Inès Boubakri sert aujourd'hui d'exemple et de catalyseur, sa médaille olympique, ajoutée à la dimension internationale de Sarra et Azza Besbès, font aujourd'hui que la relève s'accroche, perce et promet de conserver la suprématie de la Tunisie à l'échelle arabe et continentale. Après le report pour 2018 des Jeux méditerranéens, deux échéances nous attendent : les championnats méditerranéens, le 27 janvier prochain à Marseille, et les championnats méditerranéens, le 27 janvier prochain à Marseille, et les championnats d'Afrique juniors, au mois de mars prochain en Côte d'Ivoire. Que manque-t-il pour promouvoir les jeunes talents ? Surtout des stages et la compétition internationale. Des maîtres d'armes capables d'encadrer comme il faut nos jeunes exigent en moyenne 1.500 euros par personne, plus logement et autres avantages. Farès Ferjani, 18 ans, qualifié aux derniers Jeux de Rio, numéro un mondial junior, Nesrine Gherib, une très bonne épéiste, Fatma Sethom, Aziz Métoui, installé à Paris, Zeïneb Ghedira, à Avignon, Farah Mahdi, 16 ans, et sa sœur Meriam, 9 ans, toutes deux inscrites dans un grand club à Lyon, les frères Hichem et Mohamed Samandi qui vont, j'en suis certaine, dominer la scène continentale, tous ces noms vont tôt ou tard prendre le relais. Et c'est de la bonne graine. Que comptez-vous faire pour assurer la meilleure représentation possible à l'échelle des instances internationales ? Nous avons été toujours présents. Salah Ferjani (arbitrage) et Ziad Feriani (règlements) figurent au sein des commissions de la Fédération internationale. Je brigue un poste au sein du bureau exécutif de la FIE présidé par le Russe Osmanov. Quatre Tunisiens vont se porter candidats aux commissions. Aux prochaines élections, nous avons de bonnes chances de renforcer la présence de notre escrime au sein de l'instance internationale. Enfin, n'êtes-vous pas découragée par l'ampleur de la tâche qui vous attend ? Aucunement. De nature optimiste, je sais qu'un splendide challenge nous attend, certes avec le peu de moyens dont nous disposons. Mais le fait est là, il n'y a pas plus transparent que notre liste élue dernièrement haut la main, par 27 voix contre 14. Nous avons de belles ambitions pour notre escrime.