Par Soufiane BEN FARHAT L'on ne saurait ne pas s'attarder sur l'irruption de François Fillon au premier tour de la primaire de la droite française en vue de l'élection présidentielle de 2017 Certes, de nombreux observateurs avertis y ont décelé une espèce d'exécution sur la place publique de Nicolas Sarkozy. Une mise à l'écart humiliante et brutale en fait. D'autant plus qu'elle intervient, non point dans le cadre d'une passe d'armes traditionnelle droite-gauche, mais au sein même de la famille politique droitière dont Sarkozy se veut le ténor par excellence et le héraut attitré. Nourrissant depuis 2012 un esprit de revanche à tout bout de champ, Nicolas Sarkozy a éprouvé à ses dépens un retour de flamme ravageur. Or, bien que forte et dure, la gifle était attendue d'une manière moins incisive via le candidat Alain Juppé. Dans son livre intitulé «Un président ne devrait pas dire ça», publié il y a un mois, François Hollande a jugé François Fillon incapable d'avoir la moindre chance d'être choisi par la famille politique droitière et centriste française : «Non pas parce qu'il n'a pas de qualités, il en a sans doute ; ni un mauvais programme, il a le programme le plus explicite ; non pas parce qu'il n'a pas de densité personnelle. Mais son rôle est tenu par Juppé. C'est-à-dire, pourquoi voter Fillon alors qu'il y a Juppé ?» Ce ne fut guère le cas. François Fillon, l'outsider, l'emporte haut la main. Il devance largement ses deux concurrents et se place en pole position de favori pour le second tour dimanche prochain face à un Juppé qui commence à douter. Sérieusement s'entend. Mais à bien y voir, François Fillon est, lui a aussi, dans l'air du temps (cf. notre article dans La Presse du 10 novembre 2016 «Donald Trump, dans l'air du temps»). Parce que, bien que drapé dans de somptueux costumes de haut commis de l'Etat, élégant et discret, François Fillon représente la revanche du pays profond, de la France rurale et conservatrice de l'ouest. Sa vision économique et sociale fait jubiler les conservateurs de tous bords. Qu'il s'agisse des heures de travail, de l'administration, des fonctionnaires, des retraites, des prisons, de l'islam, de la nationalité ou des minorités, il étaye un éventail de choix se situant entre ceux de la droite radicale conservatrice et de l'extrême droite xénophobe et souverainiste à outrance. François Fillon dans l'air du temps. Depuis quelque temps, en fait, les évolutions politiques mondiales témoignent d'un durcissement à droite. Çà et là, les recettes thatchériennes sur fond de frilosités politiques et replis identitaires se font jour. De la Grande-Bretagne du Brexit à la France de François Fillon, en passant par les Etats-Unis d'Amérique de Donald Trump et, à terme, de l'Allemagne d'Angela Merkel, candidate à un quatrième mandat de chancelière, le même phénomène se vérifie. Saignées à blanc, traumatisées par la mondialisation et le renchérissement du coût de la vie sur fond de monétarisme paupérisant et de consumérisme effréné, de larges franges des populations occidentales se radicalisent à droite. Les politiciens surfent volontiers sur cette vague. Et, comme toujours, à leurs yeux, la fin justifie les moyens. Quitte à chasser sur le territoire de l'extrême droite. Pour la France, il y a lieu de s'interroger sur la pérennité des valeurs jacobines de la bourgeoisie — et de la droite — française. Même si, historiquement, une frange de cette bourgeoisie a été tentée par les dérives nationalistes dans leurs variantes fascistes et pétainistes. En 1917, Pierre Loti avait publié un livre impressionnant intitulé «Quelques aspects du vertige mondial». Il y avait écrit : «Hélas! oui, à présent, nous le savons, nous que la Connaissance a déséquilibrés, nous le savons, qu'en dessous c'est le vide, le vide auquel il faut toujours logiquement et inexorablement aboutir, le vide qui est souverain de tout, le vide où tout tombe et où vertigineusement nous tombons sans espoir d'arrêt. Et, à certaines heures, si l'on s'y appesantit, cela devient presque une angoisse de se dire que jamais, jamais, ni nous-mêmes, ni nos restes, ni notre finale poussière, nous ne pourrons reposer en paix sur quelque chose de stable, parce que la stabilité n'existe nulle part et que nous sommes condamnés, après comme pendant la vie, à toujours rouler éperdument dans le vide où il fait noir». Et c'est tout dire.