Plus de 5 milliards de dinars sont investis dans les soins de santé de base sans qu'une grande majorité de citoyens n'en jouisse pleinement « Près de deux millions des Tunisiens n'ont aucune couverture sanitaire, alors que presque trois quarts de la population ont de grandes difficultés à bénéficier de soins de qualité dans nos hôpitaux. Et pourtant, l'on paye aussi cher des consultations médicales et continue à consommer assez de médicaments qui ne sont plus à la portée de tous ». Voilà ce qu'on a retenu du rapport sur le droit à la santé en Tunisie que l'Association tunisienne de défense du droit à la santé (Atdds) a tenu à présenter, hier, lors d'une conférence de presse, au siège du Ftdes. Edité en une cinquantaine de pages, ce rapport semble tomber à pic, au moment où le dernier scandale lié à l'affaire du nouveau-né de Sousse n'est pas encore digéré. Ce qui révèle, statistiques à l'appui, que certaines prestations de santé sont remises en cause. Chiffres et données ressortis dudit rapport en disent en effet long sur un secteur si vital, mais qui ne se porte pas bien. En prélude, le secrétaire général de ladite association, Dr Moncef Belhaj Yahya, est parti dans ses analyses d'un déjà vu : «Le droit à la santé pour tous». Un acquis qui est largement garanti par la nouvelle constitution (l'article 38) et même aussi adopté par toutes les conventions universelles des droits de l'Homme. Mais, il y a un hic : «On est face à une santé à deux vitesses», fait-il remarquer. Et de se poser, également, autant de questions sur l'écart existant entre la théorie et la pratique. Pourquoi l'application de la loi se heurte-t-elle à la réalité ? Qu'est-ce qui manque pour voir la constitution se traduire dans les faits ? «Toutefois, s'étonne-t-il, il y a plus de 5 milliards de dinars qui sont investis dans des soins de santé de base, sans qu'une grande majorité de citoyens n'en jouisse pleinement». Inégalité D'après Dr Belhaj Yahya, il y a plusieurs facteurs déterminants d'ordre aussi bien social que sanitaire : extrême pauvreté, analphabétisme (25% des femmes illettrées), manque d'hygiène de vie, eau potable de qualité médiocre, faible taux d'assainissement rural (40%) sont autant d'obstacles qui corsent l'accès à la santé. D'autant plus, ajoute-t-il, ce clivage en termes d'infrastructure de base n'a fait que creuser davantage les inégalités sociales en matière des soins nécessaires. Soit, argue-t-il en se référant aux chiffres du ministère de tutelle, 210 centres de santé de base à Tunis dont la moitié assure des consultations hebdomadaires, avec 89% de médecins spécialistes publics se concentrent dans le Sahel. Idem, «la carte sanitaire, aussi déficitaire soit-elle, ne couvre guère l'ensemble du territoire», relève-t-il, rappelant que la loi de 1991 exige qu'elle soit révisée avec chaque nouveau plan du développement. Encore une fois, le droit d'accès à la santé s'est trouvé bafoué. Pire, le ministère de tutelle n'a pas à son actif une future carte sanitaire, sur la base de laquelle les besoins des régions seront mieux identifiés, a-t-il affirmé. Contrairement à nos hôpitaux, le secteur privé semble avoir pignon sur rue. Avec 89 cliniques offrant plus de 4.750 lits, le taux d'occupation dépasse les 300%. Mais cette évolution exponentielle du secteur privé, enregistrée en 2016, est telle qu'elle fait de l'ombre sur les besoins pressants du secteur public en équipements et matériels lourds médicalisés (IRM, scanner, radio, salle de cathétérisme...). A contrario, les professionnels privés de la santé en disposent de plus de 70%. A ce niveau, une décision ministérielle a été prise en 2014, leur donnant ainsi une carte blanche. En retour, il y a, certes, des retombées sur la couverture sociale des ménages : «Les affiliés de la filière publique de la Cnam, qui sont pour l'essentiel à faible revenu, contribuent au financement des soins des adhérents à sa filière privée, généralement, bien lotis», lit-on dans le résumé du même rapport. La solution ? Le secrétaire général de l'Atdds plaide pour une réforme en profondeur du système qui soit en mesure de redistribuer les cartes, à même d'assurer une couverture équitable et globale. La privatisation n'est pas la solution Toujours selon le rapport, l'apparition des maladies non transmissibles (diabète, cardiovasculaire, hépatites...), la cherté des dépenses des soins, ainsi que la rareté des médicaments dans les pharmacies internes de nos hôpitaux demeurent, par ailleurs, la cause majeure de la dégradation des prestations sanitaires. S'y ajoute le fardeau de la corruption qui n'a cessé de ronger ce secteur, et dans une large mesure frapper de plein fouet le droit à la santé. Face à ces problèmes, M. Belhaj Yahya ne voit pas dans la privatisation la solution appropriée pour avoir des soins de bonne qualité. Tant et si bien que le secteur public devrait retrouver sa place sur la première ligne de santé, et ce, à la faveur d'une stratégie nationale susceptible de concrétiser les recommandations de la conférence nationale tenue en septembre 2014, suite au dialogue sociétal sur la santé entamé, deux ans plus tôt. Or, déplore-t-il, cette seconde étape du dialogue est restée, jusqu'alors, coincée. Sans pour autant parler de l'ultime phase relative au suivi et à l'évaluation. Pour le président de l'Atdds, Dr Belgacem Sabri, l'essentiel est de relancer le dialogue sur la base «d'une démocratie sanitaire participative». Passant en revue les prochaines activités de cette association, créée en 2012, il a annoncé qu'un colloque régional sur la couverture sanitaire globale est prévu au cours de cette année. Sur le même thème, une conférence européenne sera organisée à l'intention des Tunisiens établis à l'étranger.