Résistance des ressources humaines, refus de fusion des rédactions papier et web, faiblesse des investissements et des réseaux retardent la transition digitale des médias tunisiens Dans le monde, la transition digitale — un anglicisme pour évoquer les bouleversements numériques — en favorisant un usage de l'information de plus en plus éclaté et individualisé, a transformé les modes de consommation des médias. De leur fabrication également en impactant leur contenu. Qu'en est-il de la Tunisie ? Comment réagissent les médias tunisiens face à la transition numérique ? Quels sont les médias locaux qui ont réussi cette mue ? Quelles sont les raisons du retard des autres à ce niveau ? Ces interrogations et d'autres encore ont été évoquées lors du colloque organisé les 1er et 2 mars par le Centre africain de perfectionnement des journalistes et communicateurs (Capjc) en partenariat avec la Fondation Friedrich-Naumann pour la liberté et avec le soutien du ministère des Technologies, de la communication et de l'Economie numérique. Plusieurs responsables des médias nationaux, ainsi que des experts dans le domaine des technologies de l'information et de la communication y ont pris part. Ce colloque sur le thème « Les médias tunisiens face à la transition numérique » s'inscrit dans le cadre des activités développées par le Capjc Digital Lab, un dispositif mis en place pour développer l'innovation technologique dans les médias. Un contenu light et partageable De prime abord, plusieurs défis et obstacles s'érigent devant les opérateurs tunisiens intéressés par ce nouvel écosystème des médias, dont « la faiblesse persistante des débits et de l'infrastructure des réseaux », souligne Taoufik Halila, président de la Chambre nationale des intégrateurs des réseaux télécoms. Plus de six millions de Tunisiens utilisent quotidiennement Internet. Le trafic des Tunisiens sur la Toile est consacré à 80% aux échanges sur le réseau Facebook et à 20% pour les recherches, sur Google notamment (les chiffres s'inversent lorsqu'il s'agit de l'Europe et des Etats-Unis). Dans ce contexte spécifique, la demande reste tâtonnante, même si les jeunes ont très vite adopté la culture du multi-écran, tablettes, smartphones, applications... Dans les rédactions de la presse écrite, les patrons, qui ont opté pour une news room unique intégrant les deux univers, le web et le papier, comme à Dar Essabah, par exemple, se heurtent à des résistances de leurs collaborateurs qui, par déficit d'information ou de formation, sont réticents au changement. Le principe de la « convergence », qui a fait ses preuves dans les pays développés ces dernières années, ne voit encore pas le jour sous nos cieux. Les journaux tunisiens sont loin du « digital first », à savoir quand le numérique prime sur les autres supports. A la radio Mosaïque FM, on consolide surtout la distribution de la production maison sur les réseaux sociaux, Facebook et Twitter. Mohamed Salah Mbarek, social media consultant à Mosaïque FM, définit en ces termes les normes du contenu numérique : « Il doit être light, partageable à souhait et digital friend ». La TAP en pleine refonte Dans les médias publics, les priorités sont ailleurs. D'autre part, par manque de moyens et à cause d'une prise de décision alourdie par le passage à travers une pluralité de circuits administratifs, cette évolution se fait très lentement et à petites touches. « Nous introduisons la haute définition (HD) le mois d'avril prochain, ainsi que des applications sur téléphone portable dans les semaines qui viennent », annonce Elyes Jarraya, directeur de la communication à la télévision tunisienne. Le rythme est différent à l'agence Tunis-Afrique Presse (TAP), où une stratégie a été mise en place pour la numérisation de plusieurs produits de l'agence, désormais vendus à la carte, dont un million de photos, 12.000 dossiers journalistiques et 2.500 biographies de personnalités tunisiennes politiques, culturelles et artistiques. Un patrimoine que la TAP met à la disposition de ses clients depuis qu'elle a entamé sa transition digitale « en douceur », affirme sa présidente-directrice générale, Hamida El Bour. Les vidéos et les enregistrements audio que produisent désormais les journalistes sont les nouveaux contenus proposés par l'agence. Pour Hamida El Bour, ces bouleversements sont « une chance pour s'inscrire dans une formidable opportunité de développement et acquérir une plus grande attractivité ».