Se tourner vers un artisanat moderne, avec des produits économiques et sociaux harmonieux et rentables. Ce qui permet, dans cinq ans, de pouvoir alléger le fardeau de l'endettement (35 mille artisans engagés dans des crédits depuis plus de 15 ans) et pallier le faible taux de rendement et de manque à gagner en termes d'exportation (moins de 2% actuellement) En dépit des salons, foires et rencontres d'affaires en Tunisie comme à l'étranger, le secteur de l'artisanat n'a pas pu sortir de sa crise éternelle qui l'a frappé de plein fouet, depuis bien des années. Et les politiques de promotion, opérées au fil des gouvernements post et avant la révolution, n'ont été qu'une fausse note ayant entraîné des mesures aussi improvisées que temporaires. Jusqu'à ce jour, ce secteur à l'identité typiquement tunisienne n'a pas, semble-t-il, retrouvé son éclat d'antan. Pas plus tard qu'hier, la ministre du Tourisme et de l'Artisanat vient d'annoncer la mise en place d'un « plan national de son développement 2017-2021». Ce dernier devrait avoir l'aval du gouvernement qui aura, lors d'un prochain Conseil ministériel, à trancher sur sa faisabilité et puis sa réalisation. La directrice générale de l'Office national de l'artisanat (ONA), Mme Asma Madhioub, n'a pas dit grand-chose sur ce point, soulignant qu'un tel plan quinquennal est de nature à réanimer le secteur, restructurer la profession et permettre aux artisans de repartir du bon pied. Cette relance étant dans la perspective de promouvoir l'image du produit artisanal, accroître sa part du marché et gagner l'enjeu de l'exportation. L'artisan en vedette A l'ouverture du séminaire dédié au secteur, Mme Salma Elloumi, ministre de tutelle, a insisté sur la conjugaison des efforts des différents intervenants dans la mise en œuvre des orientations stratégiques de ce plan, à même de faire de l'artisanat un véritable pilier du développement à l'échelle nationale et régionale. Il s'agit, à ses dires, d'un secteur qui ne manque pas de points forts, à bien des égards. Ce privilège s'illustre essentiellement par son potentiel humain, générant quelque 300 mille postes d'emploi au total. Sa participation au PIB à hauteur de 2%, son apport en matière d'investissement et d'exportation, la revalorisation des ressources naturelles et culturelles, sont autant de raisons qui poussent à sa réforme globale. L'objectif consiste à placer haut la barre des ambitions : « Pour un artisanat moderne, inscrit dans un ensemble économique et social cohérent, avec une identité forte, sous-tendue par des valeurs, des traditions et orienté vers la qualité et la créativité.. ». Ce plan d'action futur repose sur cinq axes fédérateurs, dont chacun gravite autour d'une série de procédures de taille, le tout établi dans un calendrier chronologique bien déterminé. Premièrement, le développement du cadre institutionnel, ce qui signifie la redéfinition des missions et rôles des institutions publiques, des structures professionnelles (fédération et syndicats), mise à jour des référentiels juridiques et organisationnels du secteur (statut de l'artisanat, reconnaissance et classification des artisans ), couverture et sécurité sociales, cadre normatif, propriété intellectuelle et mécanismes de financement mieux adaptés au secteur. Le développement des connaissances et des compétences vient en second lieu, l'ultime but étant de se focaliser sur la mise à niveau du secteur. Troisièmement, la promotion des entreprises et investissements, avec un nouvel esprit d'encadrement, d'accompagnement et d'appui technique à de nouveaux artisans. Il sera également question de revoir les espaces dédiés à l'artisanat, tels que les zones de production, les cités artisanales et le retour des magasins recommandés. Quatrièmement, place à la qualité et à la commercialisation, deux bêtes noires de l'artisanat tunisien. Sur ce plan, il y a lieu d'élaborer un système de labellisation des produits, créer des « bazars de l'artisanat », adopter une nouvelle politique de marketing du marché, repenser les réseaux de distribution, développer des dispositifs de régulation d'approvisionnement en matières premières et réfléchir à des concours nationaux, régionaux et sectoriels. Le dernier axe s'intéresse à l'information et à la communication, en tant que vecteur de rayonnement à une plus large échelle. C'est que le produit artisanal cherche à être mieux connu et vendu. En fait, le renforcement de l'observatoire national de l'artisanat et la création de musées national et régionaux du secteur et du patrimoine permettront de redorer son blason et préserver son identité typiquement tunisienne. Ambitions et réserves De son côté, M. Ahmed Gdoura, chef du bureau d'études, à qui a été confiée la conception du plan national de développement de l'artisanat d'ici 2021, est rentré dans les détails, mettant en avant un objectif primordial : se tourner vers un artisanat moderne, avec des produits économiques et sociaux harmonieux et rentables. Ce qui permet, dans cinq ans, de pouvoir alléger le fardeau de l'endettement (35 mille artisans engagés dans des crédits depuis plus de 15 ans), du faible taux de rendement et du manque à gagner en termes d'exportation (moins de 2% actuellement). Cette situation exige de parer au plus urgent. Il a proposé, à cet effet, six mesures indispensables que l'on doit mettre en œuvre au cours de cette année : « exonération des dettes cumulées, interdiction des importations des produits d'artisanat et leur commercialisation localement, l'intégration des diplômés dans les ateliers artisanaux, signature de conventions entre artisans et producteurs de produits d'artisanat, plan régional spécifique aux quatre régions du sud (Kébili, Tataouine, Gabès, Médenine) avec un coût de 5 millions de dinars sur cinq ans et rétablissement de la confiance auprès des artisans ». Et d'ajouter que pour réaliser ce plan, il importe de constituer un comité national de pilotage, de suivi et de coordination. Une fois réalisé dans les règles de l'art, ce plan est perçu comme une planche de salut. Mais, sera-t-il en mesure de sortir 300 mille artisans d'une crise endémique ? Pour M. Salah Amamou, président de la Fédération nationale de l'artisanat (Fena), relevant de l'Utica, rien n'est garanti jusque-là. Car, selon lui, un tel plan semble trop général. « On ne peut pas donner un chèque en blanc », riposte-t-il. Et de rappeler qu'il y a 27 ans que des plans similaires ont été opérés, sans venir à bout du problème. « Nous misons sur l'application des décisions du Conseil ministériel propre au secteur : création d'une structure d'approvisionnement des artisans en matières premières et commercialisation de leurs produits, rattachement de la formation professionnelle dans le domaine de l'Atfp à l'ONA, restructuration de l'Office de l'artisanat, remplacement des commissariats par des directions régionales dans les 24 gouvernorats, ainsi qu'une nouvelle vision d'accompagnement et d'encadrement au profit des artisan ». D'ici jusqu'à ce que les choses se clarifient, M. Ammaou continue à nourrir des réserves sur le contenu du plan dont les coûts de réalisation s'élèvent, selon la ministre, à plus de 50 millions de dinars.