Par Soufiane Ben Farhat Le Président Obama est loin de camper les triomphalistes. Rompu aux arcanes de la politique, il sait que les échelles du constat et de la représentation diffèrent. Aux Etats-Unis d'Amérique plus qu'ailleurs, le credo de l'establishment est une chose et l'état de l'opinion en est une autre. Lors d'une rencontre avec des téléspectateurs organisée par CNBC, le Président américain a été on ne peut plus clair: "Même si des économistes peuvent dire que la récession s'est officiellement achevée l'an dernier, à l'évidence, pour des millions de personnes qui sont toujours privées d'emploi, elle est toujours tout à fait réelle. Mon objectif ici n'est pas de tenter de vous convaincre que tout est à la bonne place, ce n'est pas le cas. C'est pour cela que je me suis porté à la présidence. Mais ce que je veux vous dire, c'est que nous allons dans la bonne direction". Ce disant, il a les yeux rivés sur les élections législatives de mi-mandat, le 2 novembre. Des élections si cruciales qu'elles pourraient priver les démocrates de majorité au Congrès. En fait, l'opposition républicaine est aux aguets, sur le qui-vive. Elle compte instrumentaliser à fond les incertitudes économiques pour renverser la majorité à la Chambre des représentants où les 435 sièges seront renouvelés. Au sénat, 37 des 100 sièges seront en lice. C'est de bonne guerre dira-t-on. Dans un pays, qui plus est, connu pour son bipartisme légendaire et particulièrement tranché. Tous les deux ans, les passes d'armes électorales y sont âprement disputées. Et les élections de mi-mandat déterminent dans une assez pertinente mesure le sort de l'élection présidentielle. Sans pour autant endosser le costume grisâtre de la sinistrose, Obama tente de tempérer les ardeurs enjouées des sorties de crise. Dans un pays où l'alchimie des statistiques fausse les sentiments dominants, le Président américain sait qu'il marche sur des œufs. En effet, les manitous de Wall Street et autres gourous de Harvard n'ont pas trouvé mieux que d'échafauder un concept pour le moins paradoxal, sinon douteux: la reprise sans emploi. Autrement dit, on annonce à cor et à cri la croissance tout en éprouvant à son corps défendant les affres de la crise, dont les pertes d'emplois et le chômage constituent le pire des constats, au quotidien. Le discours d'Obama n'est certainement pas pour plaire aux républicains. Eux si impatients d'en découdre dans les joutes électorales avec le locataire de la Maison-Blanche et son camp. En fait, les républicains sont en manque de nouveaux leaders et d'idées-forces. La déconfiture des néoconservateurs dans les sables ensanglantés d'Irak et les marécages meurtriers d'Afghanistan a sclérosé l'aile marchante du Grand Old Party. La vieille garde y est toujours aux commandes, certes, mais à l'image du général de l'armée morte. Raison pour laquelle le Parti républicain tente de se redessiner une nouvelle vigueur, une espèce de nouvelle voix porteuse, fût-elle dans l'immédiat un simple effet d'annonce. Candidat malheureux à l'élection présidentielle de 2008, le sénateur républicain John McCain semble avoir trouvé la parade. Il a jugé lundi dernier que le mouvement conservateur du "Tea Party" pose des questions auxquelles les grands partis doivent répondre. Autrement, prévient-il, une troisième force émergera aux Etats-Unis. Le Tea Party est en fait une organisation politique conservatrice assez brumeuse. Elle a séduit jusqu'ici une partie de l'électorat américain. Sa thématique favorite est une attaque en règle contre les dépenses publiques mobilisées par l'administration démocrate pour venir à la rescousse de l'économie. Et ladite séduction n'est point simplement affective. Des représentants du "Tea Party" ont même remporté les primaires républicaines et s'apprêtent à affronter des candidats démocrates lors des législatives de mi-mandat. A l'entendre, McCain rencontre souvent des électeurs du Tea Party. Il avoue partager leurs inquiétudes sur le chômage, les dépenses publiques et la sécurité aux frontières. "Si aucun parti ne s'adapte à ces réalités, alors je pense que nous verrons naître un mouvement indépendant d'une taille conséquente", a-t-il fait valoir. En d'autres termes, c'est l'aubaine des républicains. Leur pain béni pour une régénération tant convoitée et à point nommé de surcroît. La donne économique étant ce qu'elle est, l'affrontement électoral américain de mi-mandat semble avoir une portée psychologique. Le Président Obama et le sénateur McCain y souscrivent, chacun à sa façon. C'est pourquoi ils surfent sur les aires plus ou moins soyeuses ou rugueuses des états d'âme. Et si ceux-ci fluctuent eu égard aux aléas de la conjoncture, les deux camps s'y insinuent à la manière des fins escrimeurs. Après tout, l'essentiel n'est pas de dresser le constat de la ruine largement répandue et forcément admise comme telle. L'enjeu c'est d'en faire porter le chapeau au contradicteur d'en face. C'est-à-dire de recourir aux invraisemblables astuces de la politique politicienne. Parce que, précisément, aux Etats-Unis d'Amérique plus qu'ailleurs, le credo de l'establishment est une chose et l'état de l'opinion en est une autre.