Une harmonie désuète et sereine, des meubles qu'il avait créés ou auxquels il avait rendu une âme, des objets, précieux ou dérisoires, des livres souvent feuilletés : nous sommes dans l'atelier de Ali Bellagha, celui qu'une baguette magique a transporté de la rue du Pacha à Sidi Bou Saïd, dans la galerie du Violon Bleu. Sa tasse de café est à moitié entamée. La zazoua de cuivre qu'il affectionnait semble encore chaude. Sur la grande table de travail où on le trouvait penché dès l'aube, des croquis, des citations, des réflexions, des jeux de mots qu'il se plaisait à décliner. Tout autour, une atmosphère, une harmonie désuète et sereine, des meubles qu'il avait créés ou auxquels il avait rendu une âme, des objets, précieux ou dérisoires, des livres souvent feuilletés : nous sommes dans l'atelier de Ali Bellagha, celui qu'une baguette magique a transporté de la rue du Pacha à Sidi Bou Saïd, dans la galerie du Violon Bleu. Ce n'est point là profanation, mais hommage : Si Ali repose en paix dans le cimetière tout proche, et la maison qu'il destinait à devenir musée est à quelques mètres. L'atelier reconstitué par la galeriste Essia Hamdi, qui a longtemps côtoyé le maître, est émouvant de fidélité. Aux côtés d'œuvres peintes ou sculptées qu'elle a réunies en un magnifique ensemble après une longue quête, et qu'elle refuse de vendre avant de donner sa juste place dans le panthéon des artistes à Ali Bellagha, elle a retrouvé, dans ses collections personnelles, ou celles d'amis communs, tout ce qui faisait que ce lieu était différent : une armoire de mosquée où il cachait de précieux manuscrits, une chaise en bois tourné à laquelle il avait donné la juste hauteur, et qu'il avait accepté de reproduire pour ses amis, une collection d'opalines et de verres de Murano dont il avait été le premier à lancer la mode, le fameux miroir au fronton peint de motifs polychromes emblématique de son style, ou encore le jasmin d'argent, gracieux symbole d'une Tunisie parfumée, qui est devenu le must en matière de cadeaux. A travers ces objets, cette atmosphère, l'atelier palpite de souvenirs pour ceux qui l'ont connu. Pour les autres, il est temps de se souvenir que Ali Bellagha est un très grand artiste, un des plus créatifs, inventifs, mais aussi des plus fidèles à une filiation, à une tradition esthétique qu'il n'avait de cesse de mettre en valeur. «Je prends la relève», aimait-il à dire. Aujourd'hui, d'autres l'ont fait pour lui.