Les céramiques exposées jusqu'au 15 mai à la galerie de Borj Kallel sont nées dans la matrice du symposium international qui s'est tenu du 25 avril au 3 mai. Le 3 mai, c'était le vernissage de l'exposition, dans l'ambiance festive propre à l'aboutissement heureux d'une aventure, tant il est vrai que la certitude est loin d'être acquise à l'avance quand il s'agit de l'art de la céramique, quel que soit le degré de maîtrise technique du céramiste. L'alchimie de l'argile et du feu lors de la cuisson est, de l'avis des connaisseurs, souvent imprévisible et parfois déroutante. Le résultat est donc assez aléatoire. C'est ce qui explique le suspense, l'excitation muette, le trouble à peine voilé accompagnant la «cérémonie» d'extraction des pièces des entrailles incandescentes du four, laquelle précédait le «rite», quasi solennel, de l'enfumage qu'on imagine assorti d'incantations secrètes. Jusque-là, c'est l'attente, peut-être l'angoisse comme cela transparaissait sur les visages fermés des «artisans» affairés à couvrir les objets sortis du four dans de la sciure et à éteindre les flammes. La délivrance, la vraie, ils n'allaient la connaître qu'après le nettoyage. C'est à partir de ce moment qu'ils redeviennent des artistes, comblés, passablement satisfaits ou secrètement déçus. La céramique relève de la magie, serait-on tenté de croire, tant le processus de la conception, de la construction et de la procréation, est tributaire de la connivence entre la matière argileuse et l'artiste, d'un jeu subtile fait de ruses, d'astuces, de manœuvres, de variations dans les dosages, tant la matière est sournoise, parfois machiavélique. C'est là qu'interviennent l'expérience, le savoir-faire, le flair et une bonne dose d'apanage mystérieux, hors des frontières du rationnel, d'un sens inné de l'innovation et de l'originalité. Cela dit, quand bien même le céramiste serait doué de pouvoirs occultes, de talent de thaumaturge, la recherche incessante, l'apprentissage et l'expérience seraient la clé de voûte de toute maîtrise, particulièrement dans cet art soumis, de nature, à l'exigence de l'innovation. C'est précisément la vocation des symposiums et autres résidences artistiques, à l'instar de celui de Borj Kallel, initié par l'Association des amis des arts plastiques, dont les céramistes présents sont unanimes à saluer le rôle didactique et cognitif : «Ce symposium est un mini-carrefour des civilisations, si j'ose dire, en ce sens qu'il réunit des Tunisiens, pour la plupart des académiciens, un Egyptien et un Turc. Il a le moindre mérite de favoriser l'échange de connaissances, d'astuces, d'expériences. Les échanges sont toujours féconds lors de pareilles rencontres, que ce soit sur le plan relationnel ou artistique. Même s'il est vrai que chaque artiste a ses propres idées, son propre génie créatif et son cachet, les nouvelles idées, les nouvelles trouvailles sont toujours les bienvenues, pour ne pas dire qu'elles sont absolument indispensables tant il est vrai que les sources d'inspiration sont intarissables et que le domaine de la céramique ne saura épuiser ses incommensurables ressources», souligne Abdessalem Charfi. A son tour, Mongi Wali renchérit : «L'occasion nous est offerte par Borj Kallel et l'Association des amis des arts plastiques à Sfax pour travailler ensemble. C'est une expérience majeure dans la mesure où l'on peut profiter de l'expérience des autres, du point de vue technique et esthétique. L'enrichissement se fait au fur et à mesure de l'œuvre de création. Il y a un échange de points de vue, d'expériences, etc. Même si l'apport personnel reste le même, cela nous aide à nous développer». Propos confirmés par tous les artistes approchés, en l'occurrence, Belhassen Kechaou, Fethia Saïdani, Amal Khemakhem, Haïtham Mustapha Hidaya, Selattin Peksen, Arwa Ben Ismaïl et Houda Kharrat, qui jugent l'expérience concluante, voire exaltante. La cérémonie de vernissage, marquée par une prestation musicale d'un amateur d'arts plastiques, Adnène Ammar, médecin de son état, et luthiste de la troupe de Borj Kallel, a dévoilé la vitalité du symposium et donné à voir une gamme variée d'œuvres dont le dénominateur commun est la technique du raku, avec une exception pour les pièces de Fethia Saïdani et de Akram Boujnah qui ont opté pour la technique de l'obvara. L'exposition offre au regard des réalisations d'une beauté admirable, aux couleurs irisées et chatoyantes. Les émaux sont pour la plupart à lustre métallique, ce qui leur confère un charme tout particulier. En somme, «un legs précieux pour l'Association des amis des arts plastiques mais qui risquerait de devenir à la longue encombrant, Borj Kallel regorgeant désormais des œuvres d'art laissés par les artistes», souligne Samia Turki, secrétaire générale adjointe de l'association. Il serait utile de mentionner que le mérite du symposium de Sfax est également de promouvoir la céramique à Sfax et de lui donner l'opportunité d'acquérir ses lettres de noblesse, à l'instar des autres arts plastiques, mieux répandus dans la région, même s'il est vrai qu'elle a enfanté des maîtres dans cet art, comme le précise le plasticien Salah Ben Amor : «De grands céramistes, comme Mohamed Yangui et Hechmi Jmel, sont originaires de la région ainsi que d'autres. La céramique, est-il besoin de le rappeler, est très ancienne en Tunisie, en tant que pratique utilitaire, connue particulièrement dans les région de Jerba, Nabeul et Sejnène. En tant que céramique d'art, elle remonte aux frères Chamla. D'ailleurs, tous les artistes tunisiens, comme Hatim El Mekki et Zoubeir Turki, ont fait de la céramique. Mais c'était une autre forme d'art, celle des panneaux. Depuis peu, les artistes font des structures et des compositions en céramique, dans le genre abstrait, utilisant des techniques venues du Japon comme le raku ou d'Europe de l'Est comme l'obvara». L.A. signale enfin que l'un des moments forts de la cérémonie de vernissage de l'exposition de céramique, placée sous le thème annuel d'«Ancrage méditerranéen», a concerné l'annonce par Aïda Zahaf, présidente de l'Association des amis des arts plastiques, du projet d'organisation, en octobre 2018, d'un nouveau festival artistique d'envergure africaine. «Quant à la clôture des manifestations sous le nom d'Ancrage méditerranéen, elle est programmée pour la période du 28 juin au 2 juillet 2017», précise-t-elle.