Par Khaled TEBOURBI Les canicules précoces de mai ont quand même ceci de bon :elles annoncent la saison des spectacles. Cette saison, c'est le festival de la Médina qui inaugure la série. Ramadan s'éloigne du «cycle d'été». Pas de «doublons», donc, avec la programmation festivalière. C'est beaucoup plus commode pour tout le monde, journalistes en premier. Mais la vraie bonne nouvelle, c'est le théâtre municipal qui reprend son activité. Après restauration. Il en aura connu quatre en un peu plus d'un siècle. La première en 1909, avec démolition et transformation : on est passé des 800 et quelques places initiales, aux mille quatre cents actuelles réparties en orchestres, mezzanines, balcon et galerie. La deuxième en 1911, avec l'aménagement de la grande salle. La troisième en 2001 à l'occasion du centenaire. La dernière, à peine «close», engagée en mars 2016 et qui, de l'avis de tous les professionnels, a «pesé de tout un vide», et contrarié de nombreux projets. Chose qui frappe : ces arrêts forcés de la «bonbonnière» (appellation au vu de la forme») ont, à chaque fois, causé les mêmes ennuis : pas d'espaces de remplacement, des retards dans la programmation, dans la création, etc., etc. Dans son excellent «Regards sur la musique, le chant et le spectacle, dans la Tunisie du XXe siècle», Mohamed Garfi évoque l'essentiel de ce point. Il rappelle d'abord à la profusion et à la richesse des espaces artistiques au profit de la population européenne, italienne d'abord (premier tiers du XIXe), française de protectorat, ensuite, dès 1881. Mais Garfi cite aussi le témoignage des élites locales qui ne manquaient jamais de déplorer le désintérêt des «populations et des quartiers arabes» pour tout ce qui est espace,lieu ou édifice de la culture. L'image «suggérée» : pendant que le «Tunis colonial» grouillait de théâtres et recevait les artistes du monde, le «Tunis indigène» sommeillait au son du phonographe, dans l'exiguïté des «cafés enfumés». Scénario ancien,mais scénario non encore tout à fait démenti. Avons-nous construit un seul grand théatre dans nos quartiers populaires ? Possédons-nous un seul auditorium,un seul opéra ? Nos théâtres antiques de plein air ? Oui , bien sûr, mais nous savons tous que nous n'en faisons que des divertissements de foules, d'un usage naturellement «écourté». Dans l'ouvrage précité de Mohamed Garfi, il est rapporté qu'après l'abandon définitif du théâtre «Rossini», et pendant les travaux du municipal, les auteurs arrêtaient, quasiment, d'écrire, les producteurs ne programmaient plus de pièces nouvelles ; les gens du théâtre musical ne trouvaient plus où se produire. Cette même situation a été vécue,endurée,soufferte, sous nos regards pratiquement un siècle après. Toutes les manifestations artistiques, les grandes y compris, ont été priées de «chercher ailleurs». En attendant la «fameuse» Cité des Arts (la planche de salut ? Le godot attendu ?), on a fini par tout faire endosser au «malheureux» palais des congrès (avec «besaces» et «crevasses») depuis les fêtes «d'amicales» aux festivals sdf, aux discours à «l'adresse de la nation». Pourquoi cette pénurie ? Et pourquoi s'y résigner ? Les politiciens ont une réponse : le manque d'argent. Soit, mais pourquoi la culture seule devrait manquer d'argent ? Pourquoi devrait-elle, seule, «chercher ailleurs ? «Se retrouver livrée à elle-même ?» Ben Ali à qui on proposait de construire un théâtre dans chaque région a répondu en «despote sincère» : «vous voulez quoi au fait ? que je donne des armes au peuple ? (propos authentifiés !) Nos élus de la révolution observent,eux,prudence. On leur a appris que traiter de culture (c'est-à-dire de connaissance,de conscience et d'intelligence des gens) ne doit être que simple «affaire de mots». Sophisme, pas mieux. Comme de laisser des Arts sans pilier, sans bâtisse, sans édifice, sans logis, et de proclamer (encore authentique !) qu'«il suffit d'une appropriation symbolique des lieux» (!?!).