Les protestataires investissent la rue à Tataouine et se heurtent aux forces de l'ordre. Imed Hammami retourne jeudi prochain dans la région pour assurer le suivi des mesures déjà annoncées. Les analystes et les hommes politiques clament que l'heure de la transition économique a sonné L'irréparable s'est malheureusement produit à Tataouine à la faveur des événements qui se déroulent dans la localité d'El Kamour où les sit-inneurs, qui ont refusé toutes les propositions faites par le gouvernement, sont passés à l'action pour tenter de fermer la vanne de la société pétrolière sur place, en dépit de l'intervention des soldats qui ont tiré en l'air pour les empêcher d'accomplir leur acte. Hier, la ville de Tataouine a vécu une journée de colère, de manifestations et de protestation en signe de soutien aux sit-inneurs d'El Kamour. Malheureusement, les événements ont mal tourné puisqu'on a enregistré la mort d'un manifestant et la blessure d'un autre, alors que les districts de la sûreté et de la garde nationale ont été pris d'assaut par les protestataires qui ont brûlé plusieurs voitures de police et ont tenté d'envahir la fourrière municipale. A El Kamour, on apprend que des heurts ont opposé les forces de l'ordre aux protestataires, ce qui a causé des blessures parmi les manifestants et les policiers. La situation ayant empiré dans la région, les réactions se sont multipliées à l'échelle régionale et centrale. Au palais du Bardo, la commission parlementaire de sécurité et de défense présidée par le député Abdellatif Mekki a décidé de tenir une réunion d'urgence avec les ministres de l'Intérieur et de la Défense. «Le traitement de cette question doit se faire sur la base d'informations précises recueillies auprès des deux ministres. Nous nous informons auprès des réseaux sociaux et des correspondants des radios, sauf que nous voulons avoir des informations officielles», tient-il à souligner. De son côté, Imed Hammami, ministre de la Formation professionnelle et de l'Emploi, insiste sur une radio privée sur la poursuite du dialogue avec les protestataires à Tataouine et annonce : «Je retourne dans la région, le jeudi 25 mai, pour assurer le suivi des décisions déjà annoncées, dont en premier lieu le démarrage des opérations de recrutement des jeunes dans les sociétés pétrolières et au sein de la Société de l'environnement». Du côté de l'Ugtt, on appelle les protestataires d'El Kamour à éviter «les affrontements avec l'armée» et on exhorte également les manifestants à Tataouine «à la retenue et à ne pas recourir à la violence». L'Etat de droit, un projet encore lointain Maintenant que la situation sur le terrain risque d'exploser à tout moment même si les correspondants régionaux assurent qu'un calme précaire règne dans la région, la question qui se pose d'elle-même est la suivante : que faut-il faire pour contenir la crise, et pour que les actes de violence n'atteignent pas d'autres régions ? Une autre question : que doivent faire les partis politiques, qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition, pour que la situation ne s'embrase pas davantage ? Contacté par La Presse, l'analyste Amine Mahfoudh approche le problème du côté «de la perte de confiance des citoyens en la classe politique actuelle, qu'elle soit au pouvoir ou dans l'opposition. Les réponses qu'on attend depuis la révolution tardent à venir, et malheureusement, nos partis politiques n'ont pas le courage qu'il faut pour nous révéler les réalités». Il ajoute : «Aujourd'hui, s'il y a des solutions à la crise qui a éclaté à Tataouine, ce ne sont pas ces politiciens qui pourront les fournir. La parole doit être donnée aux économistes qui ont la lourde charge de faire réussir la transition économique. D'autre part, et même si la transition politique est sur le point de réussir, il faut admettre que l'Etat de droit est encore un projet lointain. Je me demande que font les partis politiques en ce temps de crise qui ne nous surprend pas puisqu'il était prévu que le modèle de développement mis en œuvre depuis des décennies et qu'on applique aujourd'hui ne pouvait mener le pays qu'à l'impasse. Près de sept années après la révolution, nos partis politiques nous donnent la preuve qu'ils ne savent pas encadrer les gens dans la rue et qu'ils n'ont aucune influence sur ceux qui y font la loi». Rupture de confiance entre les Tunisiens et la classe politique Abdelhamid Jelassi, membre du Conseil de la choura d'Ennahdha, précise : «Nous pouvons aujourd'hui contenir la tension qui sévit à Tataouine mais que pouvons-nous faire si la situation explose dans d'autres régions ? Pour moi, le grand problème est bien cette rupture de confiance entre les Tunisiens et la classe politique dans sa totalité. L'étape par laquelle passe maintenant notre pays me rappelle l'été 2013. La donne issue des élections de fin 2014 a réalisé beaucoup d'acquis. Sauf, la question que je me pose est la suivante : l'alliance Nida Tounès-Ennahdha a-t-elle encore les moyens de se poursuivre ? En d'autres termes, n'est-il pas temps de revoir ce consensus politique qui règne dans le pays depuis les élections de fin 2014 ?». Et Abdelhamid Jelassi de nuancer davantage son analyse : «Nida Tounès ne se comporte pas comme le parti qui a gagné les élections et s'enlise dans ses problèmes internes, alors qu'Ennahdha ne se comporte pas avec son allié avec la franchise et la fermeté qu'il faut. De son côté, l'Ugtt est appelée à suivre une démarche syndicale nationale qui va de pair avec les impératifs de la transition économique et des grandes réformes. L'opposition se doit elle aussi de quitter le carré de la contestation pour intégrer celui de l'édification. J'appelle à un dialogue économique et social qui sera sanctionné par une feuille de route comprenant les grandes réformes à entreprendre avec un calendrier d'exécution précis et détaillé». Qui aura la responsabilité de concrétiser la feuille de route en question ? «C'est le dialogue lui-même qui répondra à cette question. Les participants décideront si Youssef Chahed aura à assumer cette responsabilité ou si l'on optera pour une autre formule du genre gouvernement de compétences qui s'engageront à ne pas participer aux élections de 2019», conclut Jelassi.