De notre envoyé spécial aux Pays-Bas, Soufiane BEN FARHAT Sur les 113 pays auscultés à la loupe, sur une échelle de performances de zéro à un, les pays du Nord tiennent le haut du pavé et ceux du Sud traînent au bas de l'échelle. La Tunisie se situe au 58e rang. Les vieilles traditions ont la peau dure A La Haye, par moments cet été, le ciel crachote et le vent roule sec. Les mouettes gémissent au-dessus de la ville paisible accumulant neuf siècles d'architecture plutôt harmonieuse. Partout, des façades taillées au scalpel et, en arrière-fond, le murmure de la mer. L'ancienne ville des canaux, la ville royale, allie les styles baroque, néo-renaissance et expressionniste. Avec majesté. Telle une vieille reine qui garde de beaux restes. Mais La Haye est aussi le symbole mondial de la paix et de la justice. C'est ici que siègent la Cour internationale de justice, la Cour pénale internationale, Europol et Eurojust. Et c'est ici que le World Justice Forum a tenu ses assises du 10 au 13 juillet 2017. Les rencontres entre spécialistes, passionnés et invétérés curieux y sont fécondes. L'échange est philosophique, à la limite du métaphysique. Ratisse large. A l'instar des délégués au Forum, venus d'une centaine de pays. Et l'on s'interroge. La loi, la règle de droit sont, par essence, conventionnelles, même si elles obéissent à des normes universelles ou plutôt universalisantes. C'est pourquoi elles ne sont guère les mêmes, partout. Seuls les principes généraux du droit les unissent un tant soit peu. Et encore. La mondialisation équivaut à la globalisation des normes. Fâcheusement le plus souvent. Parce qu'ici comme ailleurs, il y a rapports de force et intérêts. N'empêche, des lueurs d'espoir existent, défoncent les lieux communs, cultivent l'optimisme de la volonté qui n'exclut pas pour autant le pessimisme de l'intelligence. Diverses pratiques légales, constitutionnelles et judiciaires sont passées au peigne fin. À l'aune de la mondialisation, d'Internet et des réseaux sociaux, des derégulations tous azimuts, des nouvelles instances de régulation et des néo-régulateurs. Plénières et focus groupes se superposent, s'enchevêtrent. Et c'est l'occasion privilégiée d'y présenter le Rule of Law Index 2016. Une étude exhaustive regroupant 113 pays. On y mesure le degré de suprématie des lois, de la justice et des droits fondamentaux. Soit 9 grands facteurs et indices chapeautant 47 sous-facteurs. Les 9 grands facteurs ont trait aux contraintes dues aux pouvoirs gouvernementaux, l'absence de corruption, l'open gov, les droits fondamentaux, l'ordre et la sécurité, les instances de régulation, la justice civile, la justice criminelle et la justice informelle. Sur les 113 pays auscultés à la loupe, sur une échelle de performances de zéro à un, les pays du Nord tiennent le haut du pavé et ceux du Sud traînent au bas de l'échelle. Les vieilles traditions ont la peau dure. Les dix meilleurs sont le Danemark, la Norvège, la Finlande, la Suède, les Pays-Bas, l'Allemagne, l'Autriche, la Nouvelle-Zélande, Singapour et la Grande-Bretagne. Les moins performants, voire catastrophiques, sont la Bolivie, l'Ouganda, le Pakistan, l'Ethiopie, le Zimbabwe, le Cameroun, l'Egypte, l'Afghanistan, le Cambodge et le Venezuela. La Tunisie se situe au 58e rang, sur 113 pays. Notre score combiné est de 0,53 et nous nous situons au 3e rang sur les 7 pays composant notre groupe régional. Nos meilleurs scores se situent au niveau de la transition légale du pouvoir (0,74), de la liberté des associations (0,74), du contrôle législatif du gouvernement, (0,73), de la liberté d'expression (0,72) et de l'absence de crimes (0,72). Nos pires scores ont trait à l'inviolabilité de l'intimité des droits fondamentaux (0,33), à la discrimination en matière de justice criminelle (0,34), à l'efficience et la mise en vigueur de la justice civile (0,34), aux délais en matière de régulation (0,36), à l'efficience du système correctionnel (0,36), et à la corruption judiciaire (0,40), parlementaire (0,40) et en matière de justice civile (0,40). Bilan quantitativement moyen en somme, mais qualitativement désastreux. Cela en dit long aussi sur la particularité de notre système post-révolution, riche en matière de libertés individuelles et publiques, indigent en matière de droits civils, économiques et sociaux. Paradoxalement. La Haye est une ville pleine de grisaille ces deux jours mais son ambiance est toujours douillette et chaleureuse, délicate et raffinée. Des boutiques d'artisans y amoncellent de véritables trésors cachés. ‘T Goude Hooft est la plus ancienne auberge de La Haye, datant de 1423. On y déguste volontiers un café succulent, tout en pensant à la formidable ambiance de Hammamet, à ses plages uniques et à sa luminosité à nulle autre égale. Et c'est alors que me presse l'injonction du Jules Supervielle, poète et écrivain franco-uruguayen : «Voyageur, voyageur, accepte le retour, Il n'est plus place en toi pour de nouveaux visages»...