Vingt-cinq dirigeants de l'Ugtt se rendent aujourd'hui en Syrie pour «réaffirmer le soutien de la centrale ouvrière au peuple syrien dans son combat contre le terrorisme». La décision de se rendre en Syrie résulte d'une recommandation du congrès tenu en janvier dernier. A propos de ce déplacement, Bouali M'barki, SG adjoint de l'Ugtt, assure qu'il y a eu coordination avec les autorités tunisiennes Aujourd'hui, mercredi 26 juillet, une délégation de l'Ugtt comprenant vingt-cinq dirigeants syndicalistes se rendra en Syrie pour «réaffirmer, souligne Noureddine Taboubi, secrétaire général de la centrale ouvrière, le soutien de l'organisation au peuple syrien dans son combat contre le terrorisme. Notre décision d'aller en Syrie est l'application d'une recommandation adoptée lors du congrès national tenu fin janvier 2017». Et pour devancer ceux qui vont se demander si la visite des syndicalistes à Damas est en relation avec le rétablissement par la Tunisie de ses relations diplomatiques avec la Syrie, il précise : «La reprise des relations diplomatiques ne relève pas des prérogatives de l'Ugtt mais plutôt des institutions de l'Etat qui incarnent le pouvoir législatif et exécutif. L'Ugtt n'interfère pas dans ce dossier». Voilà qui est clair et précis : les syndicalistes iront à Damas pour dire aux Syriens tout leur soutien au gouvernement syrien dans sa guerre contre les terroristes qui ont détruit les principales villes syriennes mais ils n'évoqueront pas la question relative à la réouverture des ambassades syrienne à Tunis et tunisienne à Damas. Et à comprendre la déclaration de Noureddine Taboubi qui assure que l'Ugtt a coordonné avec les autorités syriennes pour assurer la sécurité de la délégation, on peut déduire que les syndicalistes ne parleront pas aussi des jihadistes tunisiens emprisonnés par l'armée syrienne, ni des conditions de leur retour en Tunisie ou de leur transfert dans les prisons tunisiennes et de leur jugement par-devant la justice tunisienne sur la base de la loi antiterrosite de 2015. Pour résumer et toujours en analysant la déclaration de Noureddine Taboubi, on peut affirmer sans que personne ne puisse nous accuser d'avoir déformé ses propos que les 25 syndicalistes formant la délégation de l'Ugtt ira à Damas les mains vides et retournera en Tunisie les mains vides, c'est-à-dire qu'ils n'ont aucune proposition à soumettre au gouvernement syrien ni aucune demande à lui exprimer. Et l'on se demande pourquoi déplacer une délégation de 25 syndicalistes à Damas et consentir des dépenses qui pourraient atteindre au moins 50 mille dinars à raison de deux mille dinars de frais de voyage et de résidence par personne, alors qu'on peut se contenter d'un bon communiqué pour affirmer le soutien ininterrompu de l'Ugtt au peuple syrien et son combat juste contre les terroristes de tout acabit ? La diplomatie parallèle revient au galop Sauf que les observateurs voient les choses sous un autre angle, font les recoupements entre les déclarations de Noureddine Taboubi, d'une part, et celles de ses lieutenants les plus médiatisés dont en premier lieu Bouali M'barki, M. sagesse, pondération et dialogue ininterrompu avec tout le monde, et se posent la question à la mode, celle du timing. En plus clair, pourquoi les syndicalistes se rendent-ils en Syrie, quelques jours à peine après le désaveu subi au Parlement par la pétition appelant le président de la République, Béji Caïd Essebsi, à user de ses prérogatives constitutionnelles pour rétablir les relations diplomatiques de notre pays avec la Syrie et aussi pour concrétiser l'une parmi ses promesses fondamentales quand il briguait la présidence de la République en novembre 2014 face à Moncef Marzouki, le président intérimaire, qui a rompu ces mêmes relations en «signe de soutien au peuple syrien», disait-il en 2012 ? Faut-il rappeler que la pétition parlementaire tombée faute de nombre suffisant de votants est l'œuvre des partis auxquels appartiennent les députés qui ont déjà rencontré Bachar Al Assad (Machrou Tounès, le Courant démocratique, le Front populaire) au début de l'année 2017 et que le président syrien leur a promis de trouver une solution à l'affaire des jeunes Tunisiens emprisonnés pour actes terroristes à condition que les autorités tunisiennes dialoguent avec la Syrie. Malheureusement, les bonnes intentions de Damas ont été ignorées par le gouvernement tunisien et quand les mêmes députés ont recouru au Parlement pour faire pression sur la présidence de la République, Nida Tounès et Ennahdha se sont ligués pour que l'initiative échoue. Et même si certains parmi les auteurs de cette initiative cherchent à ce qu'elle soit soumise de nouveau au vote des députés en invoquant des erreurs commises intentionnellement par le bureau de l'ARP, rares sont ceux qui croient que l'initiative a encore des chances de passer. On estime, en effet, que si l'Ugtt est entrée en scène, les députés n'ont plus à intervenir. Et ceux qui soutiennent que l'Ugtt n'ira pas faire du tourisme politique et militant en Syrie savent de quoi ils parlent, et quand on lit les déclarations publiées mardi 25 juillet par Bouali M'barki au quotidien Al Maghreb, on saisit que les syndicalistes iront en Syrie pour rouvrir le dossier des relations diplomatiques rompues depuis 2012 et celui des jihadistes tunisiens dont la Syrie veut se débarrasser. Bouali M'barki souligne, en effet, que «les syndicalistes ont informé les autorités de leur visite en Syrie et ont coordonné avec elles». Coordonner est le terme le plus en vogue ces derniers temps au sein du paysage politique et civil national. Pour faire passer un projet de loi, il faut coordonner. Pour faire tomber un autre projet de loi, il faut aussi coordonner jusque dans les couloirs du palais du Bardo quelques minutes même avant que la sonnerie n'appelle à deux ou trois reprises à intégrer l'hémicycle pour voter. Les observateurs qui analysent à tête froide les petites phrases de Bouali M'barki pensent que l'Ugtt ne s'engage pas dans une affaire sans recevoir d'assurances selon lesquelles ses propositions ou les solutions qu'elle parviendra à arracher auprès de ses interlocuteurs nationaux ou étrangers seront prises en considération par le gouvernement. On rappelle, dans ce contexte, l'accord signé à El-Kamour entre le gouvernement et les protestataires, sous la supervision bienveillante de Noureddine Taboubi et avec ses assurances que les dispositions contenues dans l'accord seront concrétisées dans les délais prévus. Ceux qui dénonçaient la diplomatie parallèle, la diplomatie partisane ou la diplomatie populaire ont du pain sur la planche pour découvrir le terme qu'il faut afin de qualifier ce que va faire l'Ugtt en Syrie. En attendant, ils peuvent se rappeler le conseil savant de Bouali M'barki : «Avant de parler de l'Ugtt, il faut connaître son histoire et sa géographie».