Le chômage et l'emploi de qualité ne sont pas un problème propre à la Tunisie. Un nouveau rapport de l'Organisation internationale du travail (OIT) montre que le phénomène prend de l'ampleur dans le monde, malgré une reprise fragile et des prévisions de croissance constamment révisées à la baisse. «La croissance économique reste décevante et les déficits de travail décent demeurent considérables. La croissance de l'économie mondiale a atteint en 2016 son plus bas niveau depuis six ans, 3,1%, bien au-dessous des projections faites un an plus tôt», souligne le nouveau rapport de l'OIT intitulé «Emploi et questions sociales dans le monde», tout en précisant qu'à l'avenir, «l'économie mondiale devrait, selon les prévisions, enregistrer une progression modeste en 2017 (3,4%) et en 2018 (3,6%)». Toutefois, comme le souligne ce rapport, les prévisions de croissance pour 2017 n'ont cessé d'être révisées à la baisse ces dernières années (de plus de 4,6% en 2012 à 3,4 % en 2016) et de grandes incertitudes continuent d'entourer l'économie mondiale. Les résultats décevants de 2016 et les perspectives d'évolution inférieures à la tendance pour 2017 soulèvent des inquiétudes sur la capacité de l'économie à : créer des emplois en nombre suffisant, améliorer la qualité des emplois existants et assurer une redistribution équitable des fruits de la croissance. Partout dans le monde, les pays sont confrontés à un double défi: réparer les dégâts causés par la crise et créer des emplois de qualité pour les personnes qui arrivent sur le marché du travail. Le chômage augmente Premièrement, le nombre de chômeurs devrait croître de 3,4 millions en 2017. Le nombre de demandeurs d'emploi et le taux de chômage devraient demeurer élevés à court terme, alors que la population active continue d'augmenter. D'après les prévisions, le taux de chômage dans le monde devrait légèrement augmenter en 2017, pour s'établir à 5,8 % (contre 5,7% en 2016) – et le nombre de chômeurs croître de 3,4 millions (portant le chômage total à un peu plus de 201 millions en 2017). Si l'on s'attend à ce que le taux de chômage reste inchangé en 2018, la croissance de la population active (c'est-à-dire les personnes qui recherchent un emploi) sera plus rapide que celle des emplois, ce qui se traduira par 2,7 millions de chômeurs supplémentaires dans le monde. La hausse du taux de chômage et du nombre de demandeurs d'emploi en 2017 proviendra essentiellement de la dégradation de la situation du marché du travail dans les pays émergents (les effets de la récession profonde qu'ont connue plusieurs d'entre eux en 2016 continueront à se faire sentir sur le marché du travail en 2017). De fait, entre 2016 et 2017, le nombre de chômeurs devrait s'accroître dans les pays émergents d'environ 3,6 millions (et le taux de chômage progresser, passant de 5,6% en 2016 à 5,7% en 2017). Les perspectives sont particulièrement préoccupantes en Amérique latine et dans les Caraïbes, où le taux de chômage devrait augmenter de 0,3 point de pourcentage en 2017 pour atteindre 8,4% — du fait notamment de la hausse des demandeurs d'emploi au Brésil. Le nombre de chômeurs devrait en revanche reculer en 2017 dans les pays développés (de 670.000), portant le taux de chômage à 6,2% (contre 6,3% en 2016). En Europe du Nord, du Sud et de l'Ouest, les niveaux et les taux de chômage vont poursuivre leur baisse, mais les progrès marqueront le pas, et le chômage structurel montre des signes d'aggravation. Il en va de même au Canada et aux Etats-Unis. Ainsi, tant en Europe qu'en Amérique du Nord, le chômage de longue durée reste élevé par rapport à son niveau avant la crise et il a même augmenté récemment en Europe, en dépit d'un taux de chômage en baisse. De fait, dans l'UE-28, la part des personnes au chômage depuis douze mois ou plus a atteint 47,8% au deuxième trimestre de 2016, contre 44,5% à la même période en 2012. En outre, au cours de la même période, plus des deux tiers des chômeurs de longue durée – soit 6 millions de personnes – étaient au chômage depuis plus de deux ans. Les pays en développement devraient aussi voir le nombre de chômeurs augmenter en 2017 (de 450.000), et le taux de chômage tourner autour de 5,5% en 2017 et 2018. Pour de nombreux pays émergents et en développement, toutefois, la préoccupation majeure reste le problème chronique de la mauvaise qualité de l'emploi – dont témoignent les fortes proportions de travailleurs pour leur propre compte et de travailleurs familiaux non rémunérés (qui donnent ensemble la mesure de l'emploi vulnérable) et le taux de pauvreté au travail. Emplois vulnérables Deuxièmement, l'emploi vulnérable – qui touche 1,4 milliard de travailleurs dans le monde – reste très répandu. Les travailleurs occupant des emplois vulnérables sont généralement sujets à une grande précarité, du fait qu'ils ont souvent un accès limité aux régimes contributifs de protection sociale, ce qui est moins le cas des travailleurs salariés. On ne s'attend toutefois qu'à une modeste amélioration dans les prochaines années : le taux d'emploi vulnérable ne devrait pas reculer de plus de 0,2 point de pourcentage par an au cours des deux ans qui viennent, alors qu'il a baissé en moyenne de 0,5 point de pourcentage par an entre 2000 et 2010. Dans ces conditions, l'emploi vulnérable devrait encore représenter plus de 42% de l'emploi total en 2017, ce qui équivaut à environ 1,4 milliard de personnes dans le monde. De fait, l'emploi vulnérable est le lot de près d'un travailleur sur deux dans les pays émergents et même de près de quatre travailleurs sur cinq dans les pays en développement. Le nombre de travailleurs occupant un emploi vulnérable devrait, dès lors, augmenter de 11 millions par an dans le monde. Les deux régions les plus touchées sont l'Asie du Sud et l'Afrique subsaharienne. Réduction de la pauvreté Troisièmement, la réduction de la pauvreté au travail ralentit, compromettant la réalisation des objectifs de développement durable. La pauvreté au travail est restée un problème en 2016, puisque près de la moitié des travailleurs en Asie du Sud et près des deux tiers en Afrique subsaharienne vivent dans la pauvreté extrême ou modérée (c'est-à-dire avec moins de 3,10 dollars. par jour en parité de pouvoir d'achat). Le taux de travailleurs pauvres n'a cessé d'augmenter au cours des dernières décennies et cette évolution à la baisse devrait se poursuivre en 2017. Dans les pays émergents et en développement, la proportion de travailleurs vivant dans la pauvreté extrême ou modérée devrait reculer de 29,4 % en 2016 à 28,7 % en 2017. Cependant, les progrès en matière de réduction du taux de pauvreté au travail marquent le pas. Le nombre absolu de travailleurs pauvres a lui aussi diminué ces dernières années, mais il baisse également aujourd'hui à un rythme moins soutenu, et il est même reparti à la hausse dans les pays en développement. Si le taux et le nombre de travailleurs pauvres ont rapidement décliné dans les pays émergents, les progrès dans les pays en développement ont été trop lents pour suivre le rythme de la croissance de l'emploi. En conséquence, au cours des deux prochaines années, les rangs des travailleurs gagnant moins de 3,10 dollars par jour devraient grossir de quelque 3 millions par an dans ce groupe de pays. Enfin, les chances restent inégales et le mécontentement social persiste. Cet ensemble de tendances sociales et sur le marché du travail s'explique par les disparités, souvent très marquées, entre différents groupes démographiques. Les inégalités des chances entre les sexes sur le marché du travail, qui se manifestent de façon persistante dans plusieurs domaines, sont une préoccupation majeure. Inégalités Ainsi, en Afrique du Nord, les femmes actives auront deux fois plus de risques que les hommes d'être au chômage en 2017, constate le rapport. Le contraste est particulièrement marqué dans les Etats arabes, où les femmes étaient plus de deux fois plus susceptibles d'être au chômage que les hommes, avec un écart dépassant 12 points de pourcentage. Les femmes sont aussi systématiquement surreprésentées dans l'emploi vulnérable en Afrique, en Asie-Pacifique et dans les Etats arabes. Ainsi, en Asie du Sud, près de 82% d'entre elles occupaient un emploi vulnérable en 2016, contre un peu plus de 72% des hommes. Les inégalités entre hommes et femmes sur le marché du travail se manifestent aussi par des différences de rémunération. Comme le souligne le récent Rapport mondial sur les salaires 2016/17 du BIT, les écarts de salaire horaire, qui atteignent jusqu'à 40 % (par exemple en Azerbaïdjan et au Bénin), persistent, en dépit des progrès accomplis par un certain nombre de pays en matière de législation sur l'égalité de rémunération. Le rapport examine également les risques de troubles sociaux et d'émigration, étroitement liés à ce phénomène.