Par Mohamed MEDDEB Et voilà qu'un quotidien de la place nous apprend,le 24 septembre, qu'une énième usine est sérieusement menacée de fermeture à cause d'un sit-in de demandeurs d'emploi ! Et pas n'importe quelle usine : Tifert, une usine tuniso-indienne d'engrais comptant 640 employés encore en expansion, n'est qu'à 33% de ses pleines capacités de production, pour un marché garanti et de grande capacité, le marché indien, sa fermeture causera des pertes sèches de 569 mille dollars/ jour et impactera bien sûr les activités d'extraction de phosphate, doit rembourser des prêts s'élevant à 300 millions de dollars, à la Banque européenne d'investissement (BEI) et à la Banque islamique de projets. L'Etat tunisien est co-garant de ces prêts et déjà sommé de payer 234 millions de dollars, la menace d'insécurité concerne la plupart des entreprises de la zone industrielle à Skhira. Utilisant des produits chimiques comme matières premières, l'absence ou la réduction des effectifs de contrôle dans ces usines d'importants risques sécuritaires et serait à lui seul un motif de leur fermeture. Le sit-in observé par des demandeurs d'emploi depuis le 17 septembre, bloquant les accès à la zone industrielle, n'entrave pas seulement le bon fonctionnement de Tifert, mais aussi le mouvement de transport de marchandises et de matières premières ainsi que celui des bus de transport du personnel des deux sociétés du Groupe chimique tunisien, en plus de Tankmed et de la Trapsa, des entreprises qui emploient plusieurs milliers de Tunisiens. Devant cette situation, on ne peut que rappeler pour la énième fois des évidences, mais que l'Etat et nos responsables hésitent encore à prendre au sérieux, ce qui est en lui-même un grand manquement à leur devoir envers le pays. Les plus hautes autorités du pays ont bien déclaré depuis le mois de mai écoulé, haut et fort, que toutes les mesures seront prises pour protéger les sites de production et qu'il ne sera plus tolérer de prendre les quelques ressources du pays et les sites de production en otage. Et tenant à leurs promesses, ces autorités ont même promulgué, aux différents niveaux appropriés, les textes définissant ces sites de production ainsi que les modalités d'application de ces mesures. Bien sûr, tout cela en pleine conformité avec la loi. Malheureusement, on attend toujours la mise en œuvre de ces mesures !!! Beaucoup d'efforts semblent être déployés pour attirer les investisseurs étrangers, la Conférence 2020, un nouveau code d'investissement et autres tentatives, mais sans résultats probants. Cet échec à mobiliser les investisseurs, malgré la bonne volonté, est particulièrement dû à l'absence d'un environnement favorable aux activités économiques, une administration efficace, un climat sécuritaire et social serein, donc un Etat dont l'action se fait bien sentir dès qu'il faut faire respecter la loi. Par ailleurs, il aurait été beaucoup plus réaliste et plus sage que l'Etat commence un jour par retenir les opérateurs économiques qui ont déjà pris des risques et investi dans notre pays. Tous les gouvernements d'après 2011 se sont avérés incapables de garantir le fonctionnement normal des entreprises publiques ou semi-publiques, la CPG et par conséquent les ICM de Ghannouch, Petrofac, El Kamour et pas seulement, et ce, sans compter les nombreux cas d'entreprises privées fermées et délocalisées. Quant à cette incapacité flagrante de l'Etat à faire respecter la loi, elle est le résultat du délitement continu de son autorité qui, dans les faits, n'est que l'absence de volonté de la part des représentants de l'Etat d'assumer entièrement leurs responsabilités c'est à dire appliquer la loi et rien que cela. L'application de la loi dans ce cadre, et contrairement à ce que certains s'efforcent d'insinuer, n'a strictement aucun rapport ni avec l'atteinte aux droits de l'homme ni avec la liberté d'expression ou de manifestation pacifique ni autre acquis de la Révolution. A mon avis, cette volonté se trouve neutralisée par des calculs et intérêts politiques de court terme sans relation aucune avec l'intérêt national dont ces mêmes responsables ne cessent de se targuer. La gravité de la situation financière et économique, donc la situation générale du pays, n'échappe plus à personne. Peut-être certains ne réalisent pas encore le degré de gravité de cette situation. De nombreux experts affirment sans hésitation qu'elle est beaucoup plus critique qu'on ne le déclare officiellement. L'application de la loi pour l'intérêt du pays exige un minimum de sens du devoir de la part de ceux qui ont accepté des postes de responsabilité,de prendre son courage à deux mains en ne considérant que l'intérêt du pays, et agir même si c'est aux dépens des intérêts de son propre parti, oui c'est cela «la prévalence de la Patrie sur les Partis» ! Aux différents protagonistes, directement concernés par le phénomène de blocage des entreprises et sites de production, je voudrais attirer leur attention sur ce qui suit : A Monsieur le Chef du gouvernement et ses ministres: Selon les règles de la démocratie, vous êtes dans vos postes, d'une certaine manière, par la volonté du peuple. Vous avez accepté ces fonctions, vous devez donc assumer les responsabilités qui en découlent. Vous n'avez pas le droit de vous y soustraire. Sachant que la responsabilité a toujours deux faces d'égale importance car, contrairement à ce qui est généralement répandu, on n'est pas responsable seulement de ce qu'on fait, mais également de ce qu'on a manqué de faire alors qu'on devait agir. Votre mérite consiste à accomplir votre devoir envers le pays, en votre âme et conscience,ce qui peut aller à l'encontre de vos intérêts particuliers et orientations de votre parti politique ou de vos électeurs mêmes. Débarrassez-vous donc de toute contrainte et obligation envers quiconque, sauf celle de bien servir le pays. Cela ne dépend que de votre conviction des valeurs de citoyenneté et de responsabilité. Ce n'est pas un choix, c'est un devoir pour sauver ce qui reste de l'autorité de l'Etat, s'il en reste encore quelque chose ! N'hésitez pas à appliquer la loi pour ne plus tolérer à quiconque et pour quelque motif que ce soit d'empêcher autrui de travailler et par là paralyser le fonctionnement d'une entreprise ou d'une administration.Bloquer les accès menant à une entreprise, c'est aussi forcer son arrêt. Cela n'a rien avoir avec les droits de grève,les libertés d'expression et de manifestation pacifique. Et si vous vous sentez incapable d'assumer pleinement vos responsabilités, renoncez-y et laissez-les à ceux qui sont prêts à le faire. MM. les ministres concernés, le pire que vous risquez en cas d'application de la loi, c'est perdre votre poste actuel suite à de fortes pressions. Et alors ? C'est quoi un Ministre incapable d'appliquer la loi ? Un politique figurant, sans autorité, incapable d'instaurer la sécurité dans le pays alors que c'est bien sa raison d'être dans cette fonction ? Faites arbitrer votre conscience ! Par ailleurs, un Gouvernement ne doit jamais avancer des promesses sachant pertinemment qu'il ne pourra pas tenir parce qu'elles dépassent ses moyens, car ainsi,il perdra sa crédibilité, son vrai capital, auprès de tout le monde, à l'intérieur comme à l'extérieur. Enfin, pouvez-vous nous expliquer, M. le Chef du Gouvernement, pourquoi n'appliquez-vous pas les mesures que votre Gouvernement même a décidées et annoncées pour faire face à de tels dépassements illégaux et protéger les sites de production ? A la direction de l'Ugtt : Il est vrai que de nombreuses actions de blocage de sites de production du type en question sont menées par des citoyens non affiliés à votre organisation et dans ce cas, votre responsabilité peut sembler non engagée. Eh bien pas tout à fait ! Car dans de tel cas,il est vrai que votre responsabilité directe de « Syndicat » n'est pas en jeu, seulement votre statut de grande Organisation Nationale à compétence générale et supra gouvernementale,comme vous l'avez toujours très fortement réclamé, ce statut donc vous impose une conduite plus engagée et plus responsable : D'abord ne pas appuyer de tels agissements tant qu'ils sont hors la loi, même pas par le silence, plutôt il vous incombe de les dénoncer publiquement, dénoncer les agissements je ne parle pas des demandes ; Ensuite ne pas, publiquement, désavouer la décision du Gouvernement de faire intervenir les forces de sécurité pour appliquer la loi et rétablir la situation normale. Car de tels désaveux, non seulement affaiblissent l'action de l'Etat mais renforcent celle de ceux en infraction et les encourage,ainsi que beaucoup d'autres dans d'autres régions du pays,à des surenchères sans fin et au bras de fer. Le pays, et d'ailleurs personne, n'a rien à gagner quand le Gouvernement se plie aux exigences irrationnelles des sit-inneurs, tout simplement parce qu'il y est contraint. Aux sit-inneurs : Toute demande d'emploi est compréhensible et légitime, mais sachez qu'elle ne justifie nullement le blocage de sites de production et la menace de leur fermeture avec tout ce que cela entraîne à long terme, et pour leurs employés et pour le pays entier, y compris vous-mêmes et votre entourage. Vous pouvez avoir recours à tous types de protestation, tant que c'est pacifique, donc légal. Contrairement aux apparences, un bras de fer illégal n'est pas plus fructueux que les procédés de protestation légaux, car généralement, il ne mène qu'à des promesses que l'Etat ne peut tenir puisqu'elles dépassent ses moyens. Donc, agissez dans un cadre légal. Ne vous laissez pas influencer et exploiter par certains partis politiques ou autres organisations pour de basses besognes. Aux élites politiques,toutes tendances confondues : De grâce, arrêtez vos déclarations qui se limitent à exprimer votre compréhension de la légitimité «machrouiaa» des demandes de tout sit-inneur, tout le monde est bien conscient de cela, mais le problème n'est pas là. Votre rôle de politiciens va au-delà de telles déclarations ambiguës. Il s'étend à l'encadrement politique des citoyens dont notamment les sit-inneurs pour leur expliquer ce qui est possible de ce qui ne l'est pas, les éclairer sur l'ordre des priorités du pays et décourager les bras de fer et les débordements violents, et finalement nuisibles à tout le monde. Faites revenir tout le monde à la case des négociations crédibles, constructives et optimistes. Cela demande de vous élever au-dessus des considérations partisanes qui ne sont pas forcément bénéfiques au pays. En outre, il faut bien saisir que paralyser l'action du Gouvernement, à long terme, ne joue pas nécessairement en votre faveur car c'est aussi paralyser le pays dont les retombées néfastes n'épargnent personne ! Qui veut un Etat encore plus faible que l'actuel ? Encore sans vision claire pour sortir le pays du marasme économique, sans plan pour repêcher les caisses sociales, la caisse de compensation, les banques publiques, pour réformer l'éducation, la santé, sans feuille de route pour arrêter la descente aux enfers en termes de dettes publiques... Cela on l'a compris, est très sérieux pour nos politiques, alors au moins arrêtez de contribuer au délitement de l'autorité de l'Etat ! L'autorité d'un Etat de droit bien sûr ! Que Dieu préserve la Tunisie.