Visite guidée dans les circuits en chantier de Dream City. En avant-première d'une ouverture annoncée pour le 4 octobre. Reportage Directeur du festival de danse de Marseille, en quête d'expériences et de pratiques culturelles sortant des sentiers battus et des circuits limités à l'institutionnel, le dramaturge belge Jan Goossens est le directeur artistique de Dream City 2017, qui se déroulera du 4 au 8 octobre. Il découvre ce festival d'art contemporain, fondé en 2007 par Sofiane et Selma Ouissi, en 2014. «Ce qui m'a à la fois interpellé et passionné à Dream City c'est que les artistes travaillent en dialogue avec la cité sur deux pôles : la proximité et la durée. Ils y passent du temps, échangent avec la population et écoutent les fragilités et les rêves d'un territoire. Cette méthodologie est rare en Europe, où l'art reste cloisonné dans les espaces conventionnels», déclare Jan Goossens au Palais Kheireddine, en introduction d'une visite guidée dans les circuits de quelques œuvres de Dream City. Une déambulation dans la médina organisée, il y a deux jours, par l'équipe du festival en présence de Sofiane Ouissi. Une visite programmée en avant-première, à l'intention d'un groupe de journalistes. Parce que les projets de ce festival d'arts contemporains dans la ville sont dynamiques, vivants, mouvants et changeants au rythme des communautés qui les entourent, leur marque de fabrique est l'évolution constante. A part «Contre Jour» de Héla Amar, une installation pratiquement fin prête, les journalistes ont découvert des travaux en développement (works in progress) que recueillent des sites et des lieux puissants, chargés d'une histoire millénaire. L'artiste comme partenaire d'une cité en mouvement Au Palais Kheireddine, sur la Place du tribunal, le chantier provoqué par l'installation «Tafkik» (déconstruction), de Sonia Kallel, va bon train. L'artiste est en train d'installer un musée de la chachia (le bonnet tunisien) dans les pièces du palais. Son souci majeur : comment préserver un savoir-faire en péril avec la rupture de la chaîne de transmission de cette pratique et le vieillissement de ses derniers artisans? Cette exploration d'un métier en déperdition, elle l'a faite avec des enfants de la Médina et en tournant dans tout le pays pour reconstituer toute la chaîne de fabrication du bonnet traditionnel local. Au Palais Kheireddine, des écrans sont suspendus aux murs. «Chaque salle racontera une étape de production de la chachia. Les vidéos ont été réfléchies avec les enfants», souligne Sonia Kallel. La jeune femme avait auparavant travaillé sur les soyeux de la médina lors d'une précédente édition de Dream City. Elle propose cette fois-ci, au gré de quatre années de travail non-stop sur ce projet, des idées inédites pour réinventer un patrimoine. «C'est là où l'artiste est un véritable partenaire de la cité. Il porte un programme et ne veut pas que les politiques soient les seuls à intervenir sur les métiers de la ville», insiste Sofiane Ouissi. Lorsque l'art devient structurant pour les communautés fragiles Au vieux Palais Ben Ayed, à proximité de Bab Jedid, c'est le collectif «Corps citoyen» qui continue ses répétitions autour d'« El Aers » (Le mariage), un projet de recherche artistique pluridisciplinaire visant la création d'une nouvelle narration concernant la liberté de circulation entre les deux rives de la Méditerranée. On cherche à célébrer ici un récit différent sur le voyage et les migrations basé sur un nouveau lexique, une nouvelle manière de toucher l'imaginaire. Encore une fois, l'art se frotte à la fois à la politique, à la sociologie et à l'anthropologie. En fait des marques de fabrique de l'art contemporain. Un peu plus loin, à Tourbet El Bey, viennent à la rencontre des journalistes l'artiste égyptienne Laila Soliman et l'artiste belge Ruud Gielens. Leila Soliman est elle aussi de retour à Dream City. Son musée de la torture à l'ancienne Bibliothèque nationale d'El Attarine avait été très remarqué à la dernière session du festival. C'est avec un projet sur les super héros que les enfants en difficulté inventent pour braver la réalité qu'elle investit cet endroit impressionnant, là où gisent les derniers beys de Tunis. Le duo de créateurs poursuit son travail. Car le temps presse. Il ne reste qu'une semaine avant l'ouverture des rencontres artistiques. Dans la rue Jemaâ Ezzitouna, il faut bien chercher pour trouver une oukala (habitat collectif pour clientèle démunie) aux chambres exiguës et aux couloirs filiformes, abandonnée depuis des lustres. S'étalent sur deux étages, une cave obscure et des chambres lumineuses, le lieu illustre bien l'idée du clair-obscur développé par l'artiste Héla Amar dans «Contre jour». Héla Amar qui avait exploré précédemment l'univers carcéral tunisien, continue à développer une réflexion sur l'enfermement et son antipode la liberté. «Contre jour» est un magnifique travail pluridisciplinaire, photo, vidéo, installations...mené avec beaucoup de doigté, comme sait le faire cette artiste d'une extrême sensibilité, qu'est Héla Amar. «En poussant les artistes à aller à la rencontre de la médina et de ses populations, nous les avons sortis de leur zone de confort. Ils se sont immergés dans la réalité et ont découvert à quel point l'art peut devenir structurant pour des communautés, notamment les plus fragiles d'entre elles. Dream City est un laboratoire réflexif. Des clones du festival sont nés au Liban et au Maroc ces dernières années. A notre bonheur», témoigne Sofiane Ouissi.