Pour des questions de commodité, de plus en plus de couples font «corps» à part. Il ou elle ronfle comme un turbomoteur et cela devient insupportable, il ou elle regarde la télé jusqu'à une heure très tardive, il ou elle ne supporte pas la clim, il ou elle tire toute la couette, etc. Pour éviter les disputes et les tensions, certains couples ont choisi de faire «chambre à part». Selon une étude américaine, 62 % des couples font chambre à part. Si des couples avouent sans honte faire chambre à part, d'autres sont plus discrets sur la question. Se réveiller 3 à 4 fois par nuit à cause des ronflements, ce qu'on appelle communément «la petite musique de nuit», ou parce que l'un des partenaires ne cesse de se retourner dans son lit toutes les 2 minutes peut devenir agaçant à la longue. Pour éviter les tensions dès le réveil qui peuvent altérer l'humeur et donc le couple, la solution est de s'offrir un lit à part. Pour les relations intimes chacun invite l'autre dans sa chambre. Le phénomène commence à se développer en Tunisie même s'il n'est pas monnaie courante. La majorité des couples sont encore attachés au symbole du lit conjugal. Certains conjoints s'endorment devant la télé et prennent cela comme prétexte pour ne pas partager le lit conjugal. Ceux qui rentrent tard d'une soirée dorment souvent sur un canapé sous prétexte également de ne pas réveiller leur douce moitié. Est-ce la fin de la vie de couple ? Ce phénomène n'est-il pas annonciateur de la fin du couple ? Dormir ensemble est-ce une contrainte ou une nécessité ? «Le lit n'est pas un simple meuble mais le lieu où se créent des liens affectifs et durables qui sont des moments privilégiés dont l'importance est capitale dans la vie d'un couple. Faire chambre à part, c'est s'éloigner quelque part, même si l'intention est de se rapprocher», explique un psychologue. « Nous avons fait chambre à part une année après le mariage. Cela est arrivé spontanément. De par son travail, mon mari rentre tard le soir et pour ne pas me déranger, il dort dans la salle de séjour. J'ai alors décidé de lui aménager une chambre à part pour qu'il puisse dormir à l'aise», raconte Essia. «Le soir où il s'est endormi devant la télé sans rejoindre le lit conjugal, j'ai dramatisé. J'y ai vu une disparition du désir. J'ai tout de suite pensé à une trahison. Je n'ai pas du tout accepté le fait qu'il dort ailleurs. Mais plus tard quand mes deux enfants ont grandi, je l'ai chassé du lit mais c'est lui qui ne voulait plus le quitter», avoue Sihem. Même si cela donne l'air d'être de vieux couples à la dérive, les chambres séparées gagnent de plus en plus de terrain et se présentent comme un mode de vie revendiqué, et ce, malgré l'incompréhension de l'entourage. Ce phénomène est l'illustration d'une nouvelle tendance qui est l'individualisation de la vie privée. Si on ne mange pas forcément ensemble à cause des horaires de travail et qu'on ne regarde pas les mêmes émissions de télé et qu'on consulte internet à toute heure du jour et de la nuit, il est évident que le mode de vie a changé et qu'on ne vit pas au même rythme que son conjoint. Chambre à part = confort Or, le lit conjugal reste dans l'imaginaire des gens l'une des preuves de l'existence et de l'entente d'un couple. Dans son livre, « Un lit pour deux, la tendre guerre», le sociologue français Jean-Claude Kaufmann révèle que le lit séparé était pratiqué autrefois dans l'aristocratie et que, de nos jours, la tendance s'affirme dans tous les milieux. «Au début du couple, les liens sont très fusionnels, on dort enlacés. Avec le temps, cela devient difficile, on a mal au bras, on a trop chaud, etc. Faire chambre à part, c'est choisir le confort», estime-t-il. La vie trépidante en serait-elle la cause ? Généralement, la séparation des couples dans des lits ou chambres à part a lieu vers l'âge de 50-60 ans lorsque la vie sexuelle et sentimentale refroidit et comme le dit Jean-Claude Kaufmann : « Quand l'amour n'est plus, c'est le lit qui le dit ». Le lit est ainsi le révélateur de l'état de santé sentimentale et sexuelle du couple. Dormir à deux implique tout un apprentissage et un contrôle de soi. Au début de leur vie conjugale, le couple rêve de ne faire qu'un avec l'être aimé, puis avec le temps, il songe plutôt à son confort personnel. D'après les témoignages que nous avons récoltés, ce sont les femmes qui sont à l'origine de la demande de chambre séparée, en voie de banalisation chez les couples ayant dépassé la cinquantaine. Cela se produit après un certain nombre d'années de vie commune, alors que les agacements et petits inconforts se multiplient, et que le départ des enfants libère une chambre. Mais le sujet reste tabou parce qu'une symbolique du lit est inscrite dans les mentalités. Le lit représente un modèle de perfection voire une norme sacrée. Or, aujourd'hui, les mentalités ont changé et dormir séparément n'a rien à voir avec l'éloignement des sentiments de l'un envers l'autre. Selon la religion musulmane, dormir avec son époux dans un même lit fait partie de «al-'ichratou bi al-ma'rouf » (vie conjugale fondée sur la bienfaisance mutuelle). Par conséquent, dormir séparément va à l'encontre de cela, et est une preuve de l'éloignement réel (dans le fond et la forme) des deux époux. Le seul cas, où il n'y pas de mal à faire chambre à part : en présence d'un défaut (naturel) chez l'époux ou l'épouse qui rend très difficile la possibilité de dormir à proximité du conjoint.