Comme chaque année à l'occasion de l'examen de la loi de finances, c'est la question de la "justice fiscale" qui refait surface. Chez les Tunisiens, le sentiment de payer à la place des évadés fiscaux est exacerbé par une méconnaissance de l'usage que fait l'Etat de leurs impôts. Pour cette année, le gouvernement a choisi la franchise et n'y est pas allé par quatre chemins: le contribuable, quel qu'il soit, devra mettre la main à la poche pour tenter de "maintenir les équilibres des comptes publics". Déposé à l'Assemblée il y a deux semaine, le projet a enfin été dévoilé, article par article, et les ambitions du gouvernement ont été clarifiés en six points: la stimulation des investissements et de l'épargne, l'élargissement de la base fiscale, la lutte contre l'évasion fiscale et la contrebande, la jugulation du déficit de la balance commerciale, la préservation des équilibres financiers de l'Etat ainsi que le soutien de certains secteurs en difficulté. Perçue par l'opposition et l'opinion publique comme une loi qui risque de détériorer davantage le pouvoir d'achat de la classe moyenne, la LF ne contient pas en fait que des taxes. Elle comporte en effet certains avantages fiscaux qui visent notamment à favoriser la création d'entreprises à booster l'emploi, à discriminer positivement certaines régions et à sauver certains artisans et travailleurs du secteur du tourisme de la banqueroute. Mais comme chaque année, c'est la question de la "justice fiscale" qui refait surface. Chez les Tunisiens, le sentiment de payer à la place des évadés fiscaux est exacerbé par une méconnaissance de l'usage que fait l'Etat de leurs impôts. Certains corps de métiers, comme les médecins et les avocats, parviennent encore à se dérober de l'impôt et refusent toute réforme. Sans parler de ce chiffre alarmant de 2.600 millions de dinars d'évasion fiscale révélée par l'Association des économistes tunisiens. « Contrairement aux idées reçues, le secteur informel n'est responsable que de 400 millions de dinars d'évasion, nous explique l'économiste Mohamed Haddar. Selon notre étude, le secteur informel ne représente en réalité que 30% ». Mais il n'en demeure pas moins vrai que d'année en année, l'étau se resserre autour de ceux qui rechignent à payer leurs impôts. Le projet de loi de finances, qui devra être adopté au plus tard le 10 décembre, prévoit pas moins de 11 mesures dites de "lutte contre l'évasion fiscale", dont un suivi du respect des conditions d'octroi des avantages fiscaux, la hausse des pénalités de retard ou encore l'alourdissement des peines de prison pour les évadées fiscaux, qui passent d'une peine maximale de trois ans à des peines de 3 à 5 années d'emprisonnement. Même si les approches sont différentes, chez Keynes et chez les néoclassiques, l'épargne est égale à l'investissement et les deux sont nécessaires à la prospérité économique. Du coup, le gouvernement a choisi de tenter de les booster les deux à la fois. Afin d'encourager les créations de projets, le projet de loi prévoit une exonération fiscale, pendant trois ans, pour les entreprises créées entre 2018 et 2019. Pour les PME se trouvant en difficulté, l'Etat se propose de les aider à se restructurer, notamment en prévoyant des plans de rééchelonnement de leurs dettes. Selon leurs secteurs d'activité et leurs chiffres d'affaires, les PME bénéficieront même d'une baisse d'impôt de 25 à 20%. Dans le but de soutenir l'emploi dans les zones de développement régional, c'est désormais l'Etat qui paiera les cotisations patronales des salariés embauchés entre 2018 et 2020. Le montant à retrancher de la base imposable sur les comptes d'épargne pour investissement, se verra rehausser de 20.000 à 50.000 dinars. Deux autres mesures prévues (en faveur de l'assurance vie) visent également à encourager l'épargne à moyen et long terme. Le PLF entend aussi extirper certaines professions en perte de vitesse, et qui connaissent d'énormes difficultés, à l'instar du secteur de la presse écrite, pour qui l'Etat s'engage à prendre en charge les cotisations patronales. Préserver les emplois, dans un secteur qui a perdu pas moins de 10% de son chiffre d'affaires en 7 ans. Les artisans aussi, sensiblement touchés par la crise, verront leurs ardoises accumulées auprès de l'Office national de l'artisanat, tout bonnement effacées. Ils seront ainsi remis en selle et pourront prétendre à de nouveaux crédits pour faire face à la disette. La disette, c'est justement l'angoisse de la majorité des Tunisiens, c'est-à-dire la classe moyenne. Avec des augmentations tous azimuts, les ménages tunisiens pourraient voir des dinars et des millimes pousser comme des champignons, non pas dans leurs fiches de paie, mais bien sur leurs factures. La taxe sur la valeur ajoutée sera probablement augmentée d'un point (toutes catégories confondues), la facture de téléphone portable, l'internet et les frais de toutes sortes d'opérations seront augmentés. Pour l'anecdote, même les frais relatifs à l'obtention d'un prêt seront réévalués à la hausse. A titre d'exemple, la taxe sur la recharge téléphonique passera de 100 millimes pour 1 dinars; à 140 millimes pour un dinar. Ces ménages qui auront à payer tout cela n'échapperont toutefois pas à l'impôt de solidarité que paieront salariés et entreprises (même celles qui bénéficient d'exonération). Le porte-monnaie en berne, les Tunisiens risquent de devoir se serrer la ceinture, tout comme l'Etat d'ailleurs. Avec à peu près 22 millions de dinars, les dépenses de gestion représentent l'essentiel des dépenses. L'enveloppe allouée au développement s'établit à 5,121 millions de dinars. Le gouvernement de Youssef Chahed espère la réalisation d'un taux de croissance de 3%.