Par Samira DAMI 159 films, entre courts et longs métrages de fiction et documentaires, toutes sections confondues, c'est là la modeste moisson de la 28e édition des JCC (Journées cinématographiques de Carthage) dont le clap a été donné hier. Ainsi, le nombre de films programmés aux JCC lors de cette édition a été revu à la baisse en raison d'un parti pris de Néjib Ayed, directeur de cette édition. L'ouverture a été, ainsi, assurée par un long métrage palestinien, «Ecrire sur la neige» de Rashid Maâskaraoui. Cela en dépit du vœu d'une bonne partie des professionnels du cinéma de voir cette édition s'ouvrir avec un film tunisien, étant donné l'abondance, cette année, de notre moisson cinématographique. Puisque 41 courts métrages et 37 longs métrages de fictions et documentaires ont été soumis pour une éventuelle sélection aux JCC. Mais la direction de cette édition en a voulu et décidé autrement, privant le public tunisien de fêter son propre cinéma au coup d'envoi de cette manifestation arabo-africaine. Au final, sur les 51 films de 27 pays arabes et africains qui figurent en compétition officielle tous genres confondus, courts et longs métrages de fiction et documentaires, 10 sont tunisiens, soit un taux de 19,60%. Outre la compétition, la sélection officielle hors-compétition décline 8 opus entre longs et courts métrages de fiction et documentaires, soit 4 longs métrages et 4 courts-métrages provenant tous du monde arabe. Et l'absence de films d'Afrique noire dans cette section s'avère incompréhensible. Dans cette section, le Syrien Samer Ajouri a retiré son court-métrage «Al Waled wa Al Bahr» (l'enfant et la mer) même s'il figure encore sur le site. Ce retrait est dû, selon le réalisateur, à la présence en compétition officielle du long métrage de fiction «Matar Homs» (La pluie de Homs) de son concitoyen Joud Saïd qu'il accuse «d'être un propagandiste à la solde du régime de Bachar Al Assad». (sic) Enfin, deux séances spéciales sont, également, prévues dans cette sélection officielle hors-compétition : «El Jaïda» de Salma Baccar et «La rumeur de l'eau» de Taïeb Louhichi, en guise d'hommage et de reconnaissance à deux figures de notre cinéma. Pas de vision Focalisons-nous, maintenant, sur les sections parallèles, six en tout : «Regard sur le cinéma tunisien» où figurent 22 films produits entre 2016 et 2017 dont l'un remonte même à 2013 : «Même pas mal» de Nadia El Fani... Cette section, dans son ensemble, ne reflète aucune vision ni critères apparents de sélection puisqu'y figurent certains films aussi plats que médiocres, ne méritant pas leur place dans un festival dit «engagé» telles les JCC. Citons, seulement, à titre d'exemple: l'insipide «Woh» d'Ismahane Lahmar. La section «Cinéma du monde», qui devrait, elle, se focaliser, comme son nom l'indique, sur des films provenant du monde entier, est en fait, à la lumière des 16 longs métrages programmés, quasi exclusivement tournée vers l'Europe. Dans cette section, le public des JCC aura le loisir de découvrir respectivement la «Palme d'or» et le «Grand prix» de «Cannes 2017», «The square» du Suédois Ruben Östlund et «120 battements par minute» du Français Robin Campillo. Autre film important : «L'Autre côté de l'espoir» (Toivon Tuolla Puollen) du grand cinéaste finlandais Aki Kaurismäki. Pour le reste, cette section comporte plusieurs premières œuvres plus ou moins intéressantes, et parfois même inabouties pour certaines d'entre elles, dont «Petit Paysan» du Français Hubert Charuel et «Resina» de l'Italien Renzo Carbonera. Les sections «Le cinéma d'Amérique latine» et «Le cinéma d'Asie» répondent au parti pris du «retour aux fondamentaux des JCC» déjà amorcé en 2012 par le directeur de la 24e édition des JCC, Mohamed Médiouni, qui s'en est tenu à l'esprit des pionniers fondateurs du festival loin des paillettes et du bling-bling. Toutefois, cette édition marque, en plus, cette volonté «de faire la part belle aux cinématographies d'Asie et d'Amérique latine, extrêmement vivantes». Oui... mais. Mais à notre grand étonnement, la section «Le cinéma d'Amérique latine» nous a paru si maigre et si chétive avec au programme quatre coproductions entre le Mexique, l'Argentine, le Brésil et l'Uruguay, réalisées entre 2014 et 2017. La section «Le cinéma d'Asie», elle, comporte, encore heureux, 10 films produits entre 2015 et 2017, et provenant d'Afghanistan, Bangladesh, Chine, Géorgie, Turquie, Japon et Kirghizstan et dont la plupart sont des premières œuvres. Ces films sont certes à découvrir, mais il n'existe nulle trace de grosses pointures du cinéma asiatique tels Johnie To, Takeshi Kitano, Kim Jee Woon, Wong Kar Wai et nous en passons. Enfin, «La section parallèle» se décline en quatre «Focus» sur les cinémas algérien (12 films), sud-coréen (7 films), sud-africain (10 films) et argentin (9 films). A l'instar des autres sections parallèles, «Focus» ne véhicule pas une réelle vision reflétant soit une thématique ou une époque ou encore l'évolution d'une cinématographie à partir des pionniers jusqu'aux plus jeunes cinéastes. La section «Carthage ciné-promesses» a été réduite cette année à sept petits films du monde arabe dont trois tunisiens. Peu de promesses donc! Du côté des professionnels, cette édition, comme les précédentes, propose aux jeunes producteurs et cinéastes africains et arabes des opportunités d'échange de coproduction et de développement en les accompagnant financièrement. D'où les deux ateliers «Le Producer Network» et «Takmil». Pour les étudiants en cinéma et les jeunes cinéastes tunisiens, deux master-class sont prévus avec le cinéaste japonais Katsuya Tomita et le réalisateur, scénariste, producteur et enseignant burkinabé, Gaston Kaboré. Côté réflexion, la tradition est zappée car il n'y a pas de colloque en vue. Encore heureux que des débats autour des films en compétition sont prévus à l'espace «L'Etoile du Nord». Polémiques Déjà, avant même l'ouverture de cette 28e édition, des remous polémiques ont émergé d'abord à propos du retrait de deux films tunisiens : «Tunis by night» de Lyès Baccar, produit par Mohamed Ali Ben Hamra, lesquels ont préféré, pour cause de litige avec la direction du festival et après l'avoir soumis à la commission de sélection des films tunisiens, le retirer en vue d'une participation garantie, en compétition au Festival international du Caire. Idem pour le long métrage «Benzine» de Sarra Abidi qui, après le Festival de «Namur» en Belgique, participera également en compétition au Festival de Dubaï. Autre polémique : plusieurs cinéphiles et activistes tunisiens ont décidé de boycotter la 28e édition en raison de la sélection en compétition officielle du long-métrage «L'insulte» du Libanais Ziad Doueri, accusé de normalisation avec l'entité sioniste. Des activistes de «La campagne tunisienne du boycott et de l'opposition à la normalisation avec l'entité sioniste» ont, de ce fait, envoyé et publié une lettre ouverte au directeur des JCC l'exhortant, en substance, à annuler la programmation et la projection du film, tout en revendiquant l'interdiction de tous les prochains films du réalisateur aux JCC, en rappelant que «L'insulte» a été interdit à Ramallah et a été largement contesté au Liban. Il est reproché, notamment, au cinéaste libanais d'avoir séjourné pendant douze mois à Tel-Aviv et d'avoir collaboré avec des acteurs, techniciens et producteurs israéliens afin de produire, en 2012, son long-métrage «Sadma» (L'attentat) qui a été fêté par l'ennemi pas pour ses qualités artistiques, mais pour son contenu favorisant la normalisation. D'où, selon les activistes qui ont appelé au boycott, «la décision de la Ligue arabe d'interdire "Sadma" aussi bien au Liban que dans le reste du monde arabe». La direction des JCC entendra-t-elle cet appel insistant contre la normalisation? Les prochains jours nous le diront.