Nous en sommes à notre troisième et ultime épisode de notre dossier consacré au gaz de schiste, cette énergie qui a suscité une grande polémique partout dans le monde, là où il est question de se rabattre sur ce gaz, pour combler le déficit en hydrocarbures. Les experts en la matière mettent en garde les décideurs contre les risques à encourir par les pays tentés d'exploiter leurs richesses en gaz de schiste, à savoir la contamination des nappes phréatiques et l'appauvrissement en eau potable. En Tunisie, l'on verra clair après la finalisation des études en cours L'enquête dont on a précédemment parlé, initiée par l'ex-ministre de l'Energie, des Mines et de l'Energie renouvelable, Mme Héla Cheïkhrouhou, avait pour but de rassembler le maximum d'éléments d'information fiables possibles sur les caractéristiques géologiques des bassins ciblés dont principalement celui de Ghédamès, au sud de la Tunisie. Cette enquête est destinée aussi à guider les décideurs sur la faisabilité des futurs projets gaziers. L'étude stratégique vise la connaissance des caractéristiques géologiques de notre sous-sol et l'estimation des besoins en eau pour l'exploitation éventuelle de tels forages. Ceci sans négliger l'impact environnemental, tant mis à l'index par nos activistes écologiques. Nos ressources hydriques d'abord ! A préciser que le gouvernement a eu à intégrer dans son budget au titre de l'année 2017 une bonne enveloppe atteignant une trentaine de millions d'euros pour accélérer le développement des infrastructures gazières dans notre pays. Il nous a été donné d'apprendre, en outre, que les autorités publiques compétentes n'entendent pas sacrifier leurs réserves en eau potable pour mener à bien des opérations de fracturation hydraulique que nécessiterait l'extraction du gaz de schiste des roches mères. De même, les autorités ne sont pas prêtes à autoriser qu'on tape dans les nappes phréatiques exploitées dans l'agriculture et se permettre aussi d'exposer ces nappes au risque de pollution par les rejets en adjuvants chimiques, occasionnés par les opérations de fracturation des roches contenant le gaz de schiste. Vers une technique alternative Pour épargner les nappes phréatiques et nos réserves en eau potable, l'on songerait à se rabattre sur une technique alternative, à savoir l'utilisation de l'eau de mer dessalée. Dans chaque puits fracturé, le fluide de fracturation sert à transporter les agents de désorption dans les fissures. Ledit fluide est composé de 90% d'eau, 9% de sable pour maintenir les fractures ouvertes et faciliter le drainage du sable et 1% d'additifs chimiques destinés à tuer les bactéries, faciliter le passage du sable et accroître la productivité du puits. Un potentiel énorme Le géophysicien tunisien, Mohamed Gasmi, indique que les potentialités pétrolières et gazifières en Tunisie sont en continuelle régression. D'après lui, la Tunisie possède deux formations significatives pour le pétrole et le gaz de schiste dans le sud du pays. Le même scientifique révèle que la Tunisie possède 651 milliards de mètres cubes de gaz de schiste techniquement extractibles et 1,5 milliard de barils de mètres cubes de pétrole de schiste, également exploitables. Il s'agit au total d'un potentiel de l'ordre de 150 milliards de dollars ! Des ressources pétrolières en régression Pour un pays si inquiet de sa pauvreté en énergie, l'alternative du gaz de schiste est on ne peut plus alléchante. L'on nous dit que la production de la Tunisie d'hydrocarbures est en nette régression progressive. Elle a chuté d'un pic de 120.000 barils/jour dans les années 1985-1990, à seulement 67.000 barils/jour en 2012 ! Cette production a encore chuté à 57.000 barils/jour avec la réalisation de deux forages pétroliers seulement en 2014, contre 14 forages en 2013. Tandis qu'en 2015, aucun nouveau permis n'a été accordé. D'après le Pr Mohamed Gasmi, les gaz de schiste en Tunisie sont concentrés surtout dans la région du Sahel, dans le Sud tunisien et également dans la région de Kairouan. L'eau est un droit humain Le même expert estime qu'il est très important de mettre des normes pour les permis d'exploration. D'après la version officielle, dit-il, jusqu'ici on n'a accordé que des permis d'exploration et non pas des permis d'exploitation. D'autre part, la résolution de l'assemblée des Nations unies du mois d'août 2010 énonce que «l'accès à l'eau propre et sécurisée est un droit humain essentiel pour la pleine appréciation du droit à la vie. Une conseillère auprès des Nations unies a eu à déclarer que «nos gouvernements devraient tenir compte de quatre grands principes pour l'utilisation de l'eau» : l'eau est un droit humain. L'eau est un héritage commun. L'eau a ses droits. L'eau peut nous apprendre à vivre ensemble. Un droit bafoué Or, selon certains experts, «l'industrie des gaz de schiste bafoue ce droit à une eau propre et sécurisée et ne peut offrir de garantie contre la pollution des nappes phréatiques». Selon les mêmes experts, tout forage provoquera nécessairement, non seulement un manque de ressources hydriques des riverains, mais aussi une contamination des nappes souterraines, à la fois renouvelables et non renouvelables. Une nappe condamnée à l'épuisement Selon le Pr Mohamed Gasmi, en cas d'extraction de gaz de schiste en Tunisie, l'on sera obligé de recourir à la nappe conventionnelle intercalaire partagée par la Tunisie, la Libye et l'Algérie. L'expert prénommé souligne que la Libye a déjà exploité intensivement cette nappe pour le projet si cher à Moammer El Gaddafi, baptisé la «Rivière Verte» (Ennaher El Kébir). Tandis que l'Algérie alimente ses hauts plateaux, pour l'irrigation de l'agriculture à partir de cette nappe. «Malheureusement, souligne le Pr Gasmi, cette source est une nappe fossile qui ne s'alimente pas. Donc, son exploitation aboutira irréversiblement à l'épuisement». Des accidents sanitaires déplorables Côté enjeux sanitaires découlant de l'extraction des gaz de schiste, ils sont loin d'être négligeables. Selon le même expert, «plusieurs accidents de santé ont été déclarés en Amérique, par exemple. Les habitants proches des sites d'extraction des gaz de schiste souffrent de brûlures de la peau, des yeux et de la gorge. Ils souffrent aussi de maux de tête accrus à cause des gaz qu'ils respirent. En Allemagne, l'on a acheté le silence des riverains des sites d'extraction de ces gaz pour pouvoir exploiter certains forages sans accrocs ni grabuges. Des indemnités substantielles ont été accordées aux intéressés». Cela dit, en Tunisie, les officiels devraient associer la société civile et des équipes d'écologistes dans tous les travaux et démarches visant l'exploitation du moindre forage. Sachant que le bien-être et la santé du citoyen tunisien sont loin d'être négociables.