Par M'hamed JAIBI Trouvaille onusienne inspirée de l'expérience sud-africaine de sortie de l'apartheid, la justice transitionnelle est un concept généreux de réconciliation et de normalisation qui vient au secours des pays au sortir d'une situation de non-droit ou de justice aux ordres devenue caduque. Or la Tunisie, malgré l'autoritarisme de son régime politique sous Ben Ali, n'a jamais été un pays de non-droit ou de justice totalement aux ordres. Une institution publique aspirant à la souveraineté Notre justice a, au contraire, fonctionné en institution publique aspirant à la souveraineté depuis l'avènement de la dynastie husseïnite, puis sous le protectorat français et enfin après l'indépendance du pays et l'unification des justices religieuse et civile opérée par Ahmed Mestiri, ministre de la Justice sous Bouguiba. Et aucun changement majeur n'a affecté le cours de la justice sous Ben Ali, à l'exception des procès politiques ou ayant trait à la liberté d'expression, de manifestation, d'association, de presse ou d'organisation. Mais l'influence étouffante de la famille Trabelsi-Ben Ali a fini par incurver l'échine de l'institution judiciaire au service de maints intérêts illégaux. Une justice opérationnelle polluée par des «agents» A la date du 14 janvier 2011, notre justice était ainsi, pour l'essentiel, opérationnelle. Sauf que le Conseil supérieur de la magistrature était nommé et présidé par le président de la République. Un trait commun avec la France, par exemple. Et, comme divers autres pays de par le monde, nous avions quelques magistrats pourris, avec donc, comme dans bien des régimes autoritaires ou dictatoriaux, des juges aux ordres. Des magistrats très minoritaires et désormais montrés du doigt, à la suite d'une victoire historique, lors d'un congrès national de l'Association des magistrats tunisiens, d'une liste de magistrats militant pour l'indépendance de la Justice avec à sa tête Ahmed Erahmouni et Kalthoum Kennou. Un «Bureau légitime» durement réprimé qui bravera le régime jusqu'à la révolution. Trois justices parallèles Cette réalité aurait dû inspirer une sortie de crise tout à fait différente de cette instance de justice transitionnelle qui vient doubler une justice institutionnelle reconduite au vu de ses ressources intrinsèques et de son militantisme indépendantiste, et triplant une justice de coulisses à deux ou trois vitesses qui a régenté le paysage économique et le monde des affaires post-révolution, rançonnant les uns, blanchissant les autres et favorisant un nouvel équilibre sous le signe d'une omerta qui stabilise par un silence solidaire impliquant un nouveau réseautage que partagent des opérateurs récupérés de l'ancien régime et les courtiers, financiers et commerçants du nouveau régime, celui couvert alors par la Troïka. L'IVD, qui est la création de l'ANC sous la direction de la Troïka, est ainsi désormais, après les élections de 2014, un accident de l'histoire à oublier ou à dépasser d'urgence, sauf que Sihem Ben Sédrine s'accroche à son statut de bombe à retardement destinée à remettre en cause tout ce qui s'est passé en Tunisie depuis le 1er juin 1955, depuis le retour triomphal de Bourguiba en libérateur du pays. L'IVD à l'œuvre L'action de l'IVD s'est caractérisée par le spectacle d'auditions tendant à accabler les régimes de Bourguiba et de Ben Ali sans donner la parole aux accusés, les hommes et femmes de ces régimes. Sachant que l'Instance s'est activée à mettre des bâtons dans les roues de la justice et à attiser les rancœurs. Alors que sa fonction devait être de favoriser la réconciliation par l'analyse objective de ce qui s'était passé réellement et l'expression publique du repentir des coupables. Rien de tout cela chez Sihem Ben Sédrine, puisque le jugement est prononcé d'avance et qu'il est et doit être sans recours. Opposante virulente malmenée par Ben Ali, cette politicienne qui n'est ni magistrate ni juriste ne peut jouer un rôle d'arbitre en vue d'une réconciliation historique devant panser, voire cicatriser, les blessures et crimes du passé. Pour une vraie réconciliation Seul un examen de conscience des uns et des autres pourrait, aujourd'hui, sauver la situation de blocage total dans laquelle s'est embourbée l'IVD. Alors que le pays exige et attend que la justice transitionnelle soit rendue, au lieu de s'agripper à ce rôle dévalorisant de bombe à retardement, la présidente de l'Isie pourrait fort bien remettre sa montre personnelle à l'heure des transformations mondiales qui sautent aux yeux. Les deux pays qui appuyaient la Troïka sont à couteaux tirés et une nouvelle alliance comportant Ennahdha contrôle l'Assemblée et le gouvernement. Tout bouge ! Qui aurait imaginé que le Hamas lâcherait le pouvoir à Gaza ?