Par Abdel Aziz HALI Le leader Habib Bourguiba mérite bien le prix Mandela, mais pour l'image du grand homme d'Etat qu'il était, sa place n'est guère dans ce palmarès avec des personnalités aussi controversées L'Institut Mandela a décerné, avant-hier, son Prix spécial du Combattant Suprême Mandela au feu président Habib Bourguiba « à titre posthume en reconnaissance de sa vision de la paix mondiale et de son action pionnière en faveur d'une Tunisie souveraine et moderne et en faveur de la libération de l'Afrique », lit-on dans le communiqué de presse du « Think Tank » (laboratoire d'idées), basé à Paris et présidé par le Rwandais Dr Paul Kananura. La nouvelle a été saluée avec beaucoup d'enthousiasme sur les réseaux sociaux tant que le premier président de la République tunisienne jouit jusqu'à nos jours d'un grand capital de sympathie. Dans l'euphorie post-annonce de la distinction, la curiosité journalistique nous a laissés jeter un simple coup d'œil sur les autres lauréats dans les autres catégories. Et à notre surprise générale quelques noms ont fini par nous laisser pantois. En effet, pour le prix Mandela de la démocratie, le comité de l'Institut a décerné son « award » au président kényan, fraîchement élu, Uhuru Kenyatta. Un président qui a défrayé la chronique ces derniers mois surtout après que son rival, l'opposant Raila Odinga, l'a accusé d'avoir falsifié la présidentielle du 8 août 2017. Des accusations confirmées par la décision de la Cour suprême kenyane qui a invalidé le scrutin pour « inégalités et irrégularités » des résultats. Un fait unique dans le Continent africain qui a provoqué dans la foulée une crise politique majeure dans ce pays en le précipitant dans un chaos généralisé surtout après l'appel du boycott du Second round de la présidentielle par Odinga. D'ailleurs, le président kényan n'est pas dans son premier coup d'éclat. Le maître de Nairobi avait déjà été accusé de « crimes de guerre » suite aux violences post-électorales de décembre 2007 et appelé à comparaître devant la Cour pénale internationale de La Haye en 2014. Paradoxalement, pour le prix Mandela de l'audace, le jury a mis sur un pied d'égalité la Cour suprême kenyane et les forces armées zimbabwéennes qui ont orchestré un coup de force anti-Mugabe et propulsé leur général Constantino Chiwenga au poste de vice-président de la République. Drôle d'ex aequo et quelle audace en gratifiant des militaires putschistes. Pour le prix Mandela de la sécurité, c'est le président tchadien, Idriss Déby Itno: un dictateur notoire qui dirige, depuis 27 ans, de main de fer l'un des pays les plus pauvres au monde. Tant pis pour les droits de l'Homme et pour l'alternance politique au Tchad tant que M. Déby Itno joue bien son rôle du gendarme du Sahel en étant le fer de lance de la lutte antijihadiste. Enfin pour le prix Mandela du courage, l'heureux élu n'est autre que Pierre Nkurunziza, président du Burundi. Encore un dictateur très violent qui sème la terreur dans un pays plongé dans une dynamique génocidaire, selon la Fédération internationale des droits de l'Homme (Fidh). Devant un tel casting, la question qui se pose est la suivante: la Tunisie doit-elle se réjouir d'une telle distinction ? Certainement pas ! Certes, le président Habib Bourguiba mérite, en tant qu'homme visionnaire — ne serait-ce que pour son discours le 3 mars 1965 devant les réfugiés palestiniens du Camp d'Aria (Jéricho) — voire un prix Nobel de la paix à titre posthume, mais pour l'image de l'homme d'Etat qu'il fut, sa place n'est guère dans ce palmarès avec de telles personnalités aussi controversées. Tout est dit et rien à ajouter.