«L'homme à la pipe» ou «Bearzot», comme on se plaisait à l'appeler quand il était entraîneur, c'est bien évidemment de Abdelwaheb Lahmar qu'il s'agit, cet attaquant et meneur de jeu de gloire du Stade Tunisien et de l'équipe nationale des années 60. Aujourd'hui, il est l'invité de notre rubrique «Souvenirs, souvenirs» pour nous faire part des moments inoubliables de son parcours de footballeur et d'entraîneur. Né à mi-chemin entre Bab Jedid et Bab Souika, exactement à Bab Mnara, au mois de mars 1944, Abdelwaheb Lahmar n'a jamais été attiré par l'un des deux ogres tunisois de football : l'EST et le CA. Mais c'est plutôt le club du Bardo qui a toujours fait chavirer son cœur. Il faut dire qu'après avoir passé une petite année à la «Jeunesse Sportive Métouienne» (1959-1960), il a vite rejoint le Stade Tunisien dès 1960 pour y faire une belle aventure jusqu'en 1967, c'est-à-dire jusqu'à la grande manifestation sportive des Jeux méditerranéens organisés à Tunis la même année. Sept bonnes années au cours desquelles le milieu de terrain et chasseur de buts stadiste avait fait étalage de son arsenal d'attaquant d'exception que les vieux férus de football en Tunisie ne sont pas près d'oublier. Mais pourquoi une si courte carrière? Et Abdelwaheb de répondre : «C'est ma nature. Je suis fait comme ça. Je veux toujours changer de décor. D'ailleurs, après ma belle et, relativement, brève carrière de 4 ou 5 ans au Stade Tunisien, j'ai fait un saut en Algérie. En effet, au cours des Jeux méditerranéens, j'ai été approché par l'équipe algérienne de l'USM Bel Abbès, avec laquelle j'ai fait un court bail de deux années dont je garde des souvenirs exquis. Là-bas, j'étais traité comme un prince à tous les niveaux : argent, succès et surtout relations humaines très chaleureuses. Mieux encore, j'ai eu l'opportunité de continuer à porter les couleurs du Stade Tunisien, puisque celles de l'USM Bel Abbès étaient celles du drapeau algérien. C'était pour moi la meilleure façon de ne pas couper les ponts avec mon équipe du cœur». Meilleur buteur en 1967 Pour donner une idée sur ce footballeur d'exception à nos lecteurs, il faudrait souligner qu'il était doté d'une remarquable vision de jeu qui lui permettait de servir des «caviars» à ses coéquipiers en plus du fait qu'il était lui aussi un buteur historique. En témoigne son titre de meilleur buteur remporté haut la main en 1967 avec quatorze buts tout en laissant derrière lui deux autres monstres sacrés du football tunisien de tous les temps, en l'occurrence feu Tahar Chaïbi (CA) et Mongi Dalhoum (CSS). Avouez que ce n'était pas une mince affaire. Et bien qu'un peu frêle, ce joueur avait des qualités athlétiques et non des moindres. C'est qu'en 1964, il a remporté le titre de champion universitaire des 1.500 mètres. «Outre le titre de meilleur buteur, j'ai eu l'honneur de remporter le championnat de Tunisie en 1965 et la coupe de Tunisie en 1966. C'était du temps où la "Baklawa" était la meilleure équipe de Tunisie avec son palmarès impressionnant qui attisait le feu de la jalousie chez ses rivaux le CA, l'EST et l'ESS en particulier». Un but contre l'Armée Rouge soviétique Parmi les souvenirs inoubliables de Abdelwaheb Lahmar, il y a sa participation à plusieurs événements avec l'équipe nationale. «En effet, j'ai plein de souvenirs avec la sélection nationale. Il y a de beaux et quelques mauvais souvenirs. Parmi ces derniers, je peux citer notre cuisante défaite au stade Chedly-Zouiten contre le Ghana dans le cadre de la finale de la coupe d'Afrique des nations organisée chez nous en 1965. C'était la grande désillusion pour tous les Tunisiens. Mais je garde en mémoire des moments hauts en couleur. Par exemple, mon but marqué à Moscou contre l'équipe soviétique de l'Armée Rouge avec laquelle on a croisé le fer en guise de préparation des Jeux méditerranéens de 1967. Ce match fut remporté par l'Armée Rouge (2-1). Mon premier match avec les seniors du Stade Tunisien à l'âge de 18 ans, en 1962 contre le CA, reste aussi un moment fort de ma carrière». Troisième degré En plus de sa belle, mais courte carrière de footballeur, Abdelwaheb Lahmar était également professeur d'éducation physique et détenteur du troisième degré. «Oui, j'ai toujours été major de ma promotion au terme de mes stages de formation en tant qu'entraîneur de football. Seulement, je n'ai jamais cherché à monnayer mon diplôme de troisième degré. Je suis un peu spécial car pas ambitieux du tout, en plus du fait que j'appréhendais outre mesure le mot "limogeage". C'est pour cette raison que je n'ai entraîné que de petits clubs pour être loin des lumières et pour être maître de mon destin. Et même lorsque j'ai été appelé à la rescousse au Stade Tunisien pour remplacer Nikodimov (1989) et Amor Dhib (1995), ma seule condition était que j'entraîne bénévolement jusqu'à ce que les dirigeants du ST trouvent un autre entraîneur». Honoré par Bel Abbès Tout au long de notre sympathique entretien avec Abdelwaheb Lahmar, cet homme n'a pas tari d'éloges sur ses amis algériens qu'il a connus lors de son passage à Bel Abbès. «Ce qui compte dans la vie, c'est la chaleur humaine et les bonnes relations. A Bel Abbès, j'ai connu de vrais hommes. D'ailleurs, les gens de ce club ne m'ont jamais oublié de leur côté. Pas plus loin qu'en 2016, ils m'ont invité, aux festivités du quatre-vingtième anniversaire de l'USM Bel Abbès, tout en me payant le billet d'avion et le séjour avec tous les honneurs qui vont avec. C'était formidable». Et dire que Abdelwaheb Lahmar n'a passé qu'une seule saison là-bas, au terme de laquelle il avait terminé troisième meilleur buteur du championnat d'Algérie. Mais, encore une fois, «nul n'est prophète en son pays», reste l'expression qui nous caractérise le mieux.