Au niveau de l'ensemble des barrages, le total des apports en eau sur la période du 1er septembre au 12 janvier est moins élevé que celui de l'année dernière. Malgré les précipitations qui ont été enregistrées au cours des trois derniers mois, les quantités n'ont pas été suffisantes pour alimenter les barrages qui restent en dessous de leur capacité annuelle. Les apports en eau sur la période allant du 1er septembre au 12 janvier dénotent un déficit important comparés à ceux de l'année dernière au cours de la même période, selon Dr Raoudha Gafrej, professeur universitaire à l'Institut supérieur des sciences biologiques appliquées de Tunis et experte en gestion des ressources en eau. Les apports en eau du barrage de Sidi Salem représentent 47% de ceux enregistrés l'année dernière au cours de la même période alors que ceux du barrage de Sidi El Barrak, le deuxième barrage le plus important du pays, correspondent à 43% de la moyenne enregistrée au cours de la période allant de septembre à janvier. Toujours selon le professeur Gafrej, les quantités enregistrées au niveau des barrages gérés par la Sonede et qui servent, à la fois, à l'irrigation des terres et à alimenter le réseau en eau potable sont également en dessous de la moyenne des apports en eau de l'année dernière. Les quantités en eau pour les barrages de Béni Mtir, Kesseb, Nebhana,Sidi Saâd et Lebna au Cap Bon représentent respectivement 62%, 44%, 13%, 13% et 21% des moyennes des apports en eau de l'année dernière. «Au niveau de l'ensemble des barrages, le total des apports en eau sur la période du 1er septembre au 12 janvier est moins élevé que celui de l'année dernière au niveau de l'ensemble des barrages du pays, note le Pr Gafrej. Les apports en eau pour les barrages du nord représentent 41% de la moyenne de l'année dernière. Ceux des barrages du centre représentent 13% et ceux du Cap Bon 29%». Ressources hydriques : le Nord mieux nanti que le Sud Les ressources en eau de la Tunisie ne proviennent pas seulement des barrages. Plus importantes dans le nord et le centre que dans le sud, elles incluent également les eaux de surface et les eaux souterraines. Ce sont particulièrement les régions du Nord qui sont les mieux loties, concentrant à elles seules 80% des ressources en eau du pays. 42% des eaux souterraines se trouvent dans le sud du pays réparties entre la Libye et l'Algérie. La répartition inéquitable des ressources en eau sur tout le pays a fait que la politique de la gestion des ressources en eau est axée essentiellement sur le transfert des eaux du Nord vers le Cap Bon, le Centre et le Sahel et notamment vers les zones qui souffrent le plus du manque d'eau, à savoir, le Grand Tunis, Nabeul, Sousse, Monastir, Mahdia, Sfax, Sidi Bouzid, Médenine et Gafsa, a observé Raoudha Gafrej. «Le potentiel en eau renouvelable de la Tunisie est d'environ 4.265 millions de m3 dont 63% sont les eaux de surface pouvant être stockées dans les barrages, barrages collinaires et lacs collinaires et les autres ouvrages de conservation des eaux et du sol. En tenant compte de la population tunisienne de 2014, le potentiel en eau renouvelable par personne, appelé aussi « dotation », est actuellement de 388 m3/hab/an, soit largement loin du seuil de la pénurie d'eau absolue qui est de 500 m3/hab/an. Cette situation par contre est très ancienne et date de plus de 25 ans». Toujours selon l'experte de la gestion des ressources en eau, le manque d'eau au niveau des barrages observé ces dernières années est dû aux conditions climatiques défavorables, résultat du changement climatique, et qui se sont traduites par une faible pluviométrie et une légère élévation des températures par rapport aux normales saisonnières, ce qui a eu pour conséquence l'évaporation de l'eau. Surexploitation des nappes Les aménagements qui ont été réalisés au niveau des bassins versants afin d'atténuer les répercussions des changements climatiques n'ont pu empêcher ni l'érosion ni les envasements au fond des barrages responsables de la perte de 25 millions de m3 par an. Si la pluviométrie ne s'améliore pas au cours des prochaines années, note Mme Gafrej, les apports en eau dans les barrages vont continuer à baisser, ce qui va se répercuter directement sur l'alimentation en eau potable et en eau d'irrigation. Ces facteurs environnementaux conjugués aux défaillances qui caractérisent la gestion des ressources en eau en Tunisie risquent de devenir une menace potentielle pour l'alimentation en eau potable et en eau d'irrigation d'après l'experte en gestion des ressources en eau. En effet, l'état vétuste des conduites au niveau de certains points du réseau dû au vieillissement — ce qui explique les travaux d'entretien effectués périodiquement par la Sonede et qui sont à l'origine des coupures d'eau — est responsable des pertes considérables observées au niveau du réseau de la Sonede. Conséquence : le manque d'eau généré par ces pertes conduit à une surexploitation des nappes souterraines et à leur salinisation, ce qui risque de se répercuter sur la qualité de l'eau. «La situation est alarmante au niveau de Kasserine, de Kairouan, de Sidi Bouzid, Kébili où l'exploitation dépasse les 400% pour certaines nappes, relève Mme Gafrej. Quant aux pertes au niveau des réseaux d'irrigation, ils dépassent 50% puisque 67% des périmètres ont plus de 25 ans. Au niveau de l'eau potable et surtout celle gérée par les GDA, les pertes peuvent dépasser les 30%», poursuit l'enseignante universitaire qui envisage des scénarios futurs aussi pessimistes les uns que les autres. En effet, selon l'enseignante universitaire, si les ressources en eau dans les barrages continuent à faiblir et si les pertes se poursuivent, la menace qui pèse sur l'approvisionnement en eau dans tous le pays s'accentuera davantage. «La période estivale risquera, alors, de connaître des restrictions au niveau de l'irrigation et de l'eau potable. Au cours de l'été prochain, il est probable qu'on puisse manquer d'eau dans les robinets dans la majorité des villes du pays et particulièrement au niveau des étages supérieurs des bâtiments, non pas à cause des coupures de la SONEDE mais à cause du stress hydrique et donc de l'insuffisance de la pression dans les réseaux et surtout en raison des piquages illicites pour l'usage d'irrigation».