Par Mohamed ABDELLAOUI Sept ans après la « Révolution » du 17 décembre 2010-14 janvier 2011, les bourrasques alternent toujours avec les orages, sous un ciel chaotique tunisien. Et les Tunisiens, les moins nantis d'entre eux, ne savant plus à quel saint se vouer, réalisent aujourd'hui et plus que jamais, qu'ils nagent en eaux troubles. Passé les réjouissances des fêtes et la transe collective, les moins dubitatifs se posent des questions dans le style : aurait-on pêché en s'insurgeant un jour pour changer les conditions d'un peuple autrefois « réprimé », aujourd'hui « affamé »? De la chose politique à la vie économique en passant par les affaires sociales, le pays semble avoir atteint le creux de la vague, et c'est un euphémisme. Commençons par la politique, « cet art de tromper les gens », selon la définition de la philosophe politique germano-américaine Annah Arendt ! La dernière réunion des signataires du document de Carthage (définissant les priorités du gouvernement d'union nationale) serait, à ce titre, révélatrice de sens. Prenant l'allure d'une cellule de crise, cette réunion a laissé entendre des voix éparses. Elle a, de surcroît, donné à voir des acteurs politiques et des parties sociales se regardant en chiens de faïence, en raison d'une grande discorde. Une grande divergence quant au modèle de développement ainsi qu'à la manière de gérer la crise économique et financière dont souffre le pays. Entre une attitude rattachant les dernières mesures douloureuses (hausse des prix de certains produits de consommation) aux déséquilibres financiers de l'Etat et une position défendant les pauvres et les classes populaires vulnérables, les repères semblent de plus en plus brouillés. Mais économistes et experts financiers crient à la mauvaise gouvernance, disant avoir fait des propositions pour le sauvetage économique. Or, ils se sont rendu compte qu'ils ont prêché dans le désert, du fait d'un jeu politique dont on rebat, continuellement, précipitamment et sans retenus aucune, les cartes. A ces experts économistes déçus par le rendement de leurs gouvernants, on peut ajouter que gouverner la Tunisie ou encore gouverner en Tunisie tient, désormais, de l'irréalisable, depuis qu'a été érigée cette règle de cohabitation au pouvoir. Laquelle cohabitation au pouvoir empêche de prendre des décisions à rebrousse-poil du populisme ambiant. Pour ce qui est de l'économie dont a dit un jour qu'elle sera le juge de paix de la transformation tunisienne, inutile de répéter ce qui a été dit et redit. Il suffit d'évoquer quelques chiffres illustrant le déclin. La dette publique de la Tunisie a, en effet, atteint, fin novembre 2017, 69,5% du PIB contre 61,4% en novembre 2016 et 61,9% pour toute l'année 2016, d'après la Brochure de la dette publique, récemment publiée par le ministère des finances sur son site web. Ce niveau de la dette limite les possibilités de sauvetage de l'économie, a alerté l'économiste Ezzeddine Saïdane, dans des déclarations à la presse. L'encours de la dette publique est passé,lui, de 55.921,5 MD (millions de dinars) pour toute l'année 2016 à 67 256,5 MD en novembre 2017. Et la dette extérieure s'est établie en novembre 2017 à 46.803,7 MD (48,35% du PIB). Le pays ne va pas non plus mieux sur le plan social. Le Taux de chômage est toujours de plus de 15 %, le taux de pauvreté se situe au même niveau, les prestations de santé fournies et l'éducation laissent à désirer et la grogne des Tunisiens s'entend partout. La triste réalité est que nombre des calamités résultent de cet affairisme sans bornes d'une classe politique qui s'est discréditée par ses attitudes aussi changeantes que la météo, aux dépens de l'intérêt supérieur de la patrie. Ces Tunisiens qui entonnent souvent l'hymne national, en signe de loyauté à la mère nourricière, réalisent-t-ils, du reste, que le suicide sera collectif, si l'on tarde encore à sauver la barque? Sauver la barque passe, faut-il rappeler, par une politique privilégiant une communication à la fois réaliste et intelligente et un modèle de gouvernance allant de pair avec les profonds changements qu'a connus le pays ces dernières années. La Tunisie a, aujourd'hui, besoin d'hommes forts et de grandes idées. Des hommes forts capables de définir les grands axes sur lesquels devrait-on se concentrer pour jeter les fondements de la relève. Cuba, le Chili (pays de l'Amérique latine) et Singapour (pays asiatique) autrefois semblables à la Tunisie avaient placé l'homme au cœur de leurs projets de société, en misant sur l'éducation et la recherche scientifique. Et ils ont gagné le pari.