Par Samira DAMI Le rapport final des travaux de la commission chargée de la réforme du cinéma tunisien est, actuellement, entre les mains de la direction juridique du ministère des Affaires culturelles et du Cnci (Centre national du cinéma et de l'image). Cette commission, dont les travaux ont été achevés en septembre 2017, a soumis au ministère de tutelle et au Cnci une proposition de restructuration du cinéma tunisien à tous les niveaux de la chaîne de production. Ainsi, après 9 mois de réflexion et d'échanges avec les professionnels, la commission — composée de 5 membres, Mounir Baâziz, réalisateur, Habib Belhedi, producteur, Mahmoud Abdelbar, réalisateur et enseignant, Chama Ben Chaâbane et Mohamed Amine Khalfaoui, juristes — a proposé un nouveau code du cinéma tunisien. On se focalisera ici, dans un premier temps, sur les départements de l'aide à la production, les commissions ainsi que les sources et moyens de financement. En attendant, dans un 2e temps, d'aborder l'exploitation, la distribution, l'institution de la production ainsi que les festivals et les cartes professionnelles. «La grande nouveauté de cette réforme, sa colonne vertébrale, selon Habib Belhedi, c'est la création d'un registre national du cinéma». Dans ce serveur-registre, géré par le Cnci, les professionnels enregistrent tout ce qui a trait à leur production, de l'idée du film, base du scénario, jusqu'à l'étape de la conservation et de l'archivage à la cinémathèque, en passant par le tournage, la distribution et l'exploitation. Le registre-serveur constitue ainsi une banque d'idées et d'informations sur toutes les productions tunisiennes. Le Cnci fournit un code aux ayants droit qui peuvent le communiquer à leurs collaborateurs et partenaires. Ce registre comporte, également, tous les enregistrements des dates de tournage, les actes de cession de droits, les contrats des équipes artistiques et techniques des films et autres. L'autorisation de tournage sera supprimée et remplacée par la quittance d'enregistrement du tournage dans le registre, la constitution disposant que la création ne peut être soumise à aucun assentiment, ni autorisation. Les actes des opérations de distribution et d'exploitation des films doivent être déposés sur le registre trois semaines avant la sortie du film sur les écrans. Toutes les salles de cinéma pouvant demander les films qui, après exploitation, sont conservés à la cinémathèque avec le même code sous lequel ils ont été inscrits sur le serveur-registre. Voilà qui permettrait, selon Habib Belhedi, d'enrayer les lenteurs administratives. L'enregistrement de toutes les informations et données sur le registre s'effectue par internet de toutes les régions du pays. Le Cnci ayant la prérogative de répondre à toutes les demandes par courrier. Production et subventions L'aide à la création et à la production comptera deux collèges. Selon cette proposition de la commission, le premier collège sera consacré aux jeunes qui réalisent leurs premiers films (courts ainsi que le 1er et le 2e longs-métrages). 25% de l'enveloppe de l'aide à la production seront consacrés à ce collège. Le deuxième collège est consacré aux cinéastes qui réalisent leur 3e long-métrage et plus. Les 75% restants de l'ensemble de l'enveloppe de l'aide à la production sont réservés à ce 2e collège. Afin d'encourager la production du genre documentaire, une enveloppe spéciale lui sera dédiée. La réforme proposée prévoit que les commissions d'aide au cinéma soient au nombre de quatre et qu'elles se réunissent deux fois par an à dates fixes. D'abord, la commission d'aide à la création et à la production qui procédera en deux étapes : la lecture et la sélection des projets. Une fois les projets retenus, ils pourraient être soit éligibles à la production, soit à une aide à l'écriture. Les candidats bénéficieraient d'un encadrement dans des ateliers d'écriture à l'échelle nationale ou internationale afin d'améliorer leur scénario. Durant la 2e étape, la commission sera ouverte aux réalisateurs et aux producteurs qui auront la latitude de rencontrer et de discuter de leur projet avec ses membres. Les subventions des scénarios retenus seront accordées selon la faisabilité du film. Cette commission se réunit, par ailleurs, trois fois par an à dates fixes, pour l'achat des films autofinancés. La 2e commission d'aide a trait à l'infrastructure du cinéma et du marché national, il s'agit, autrement dit, d'octroyer une aide financière à l'exploitation et à la distribution. La 3e commission d'aide est consacrée à la culture cinématographique ainsi qu'aux manifestations et aux festivals. Enfin, la 4e commission d'aide concerne les arts numériques et futuristes. Concernant l'octroi des aides, les producteurs pourraient demander soit une aide à la production, soit une avance sur recettes. Si le producteur obtient une aide à la production, il devra en retour faire profiter le contribuable à travers l'exploitation du film dans toutes les maisons de la culture du pays, 300 en tout, soit 1.000 projections, un mois après la sortie nationale du film. Cela afin d'ancrer la tradition de la pratique et de la culture cinématographique. Le producteur doit, également, fournir un rapport sur la vente internationale des films subventionnés. Si le producteur obtient une avance sur recettes, le ministère de tutelle achètera les droits de 1.000 projections destinées aux maisons de la culture. L'Etat bénéficiera également d'un pourcentage sur les ventes du film à l'étranger. Le producteur ayant obtenu une avance sur recettes peut bénéficier d'une rallonge de 25% du montant de l'aide totale octroyée au film. Enfin, un contrôle en amont et en aval doit être effectué sur toutes les productions ayant obtenu des aides. Un taux de 10% de l'aide à la création et à la production sera accordé aux films arabes et africains, à condition que la subvention soit dépensée dans nos murs. Sources et moyens de financement La commission chargée de la réforme a répertorié plusieurs sources et moyens de financement dont pourrait bénéficier le cinéma tunisien. Concernant les subventions étatiques accordées pour les longs-métrages, la commission suggère que le montant de l'aide s'élève, désormais, à 800 mille dinars. Autres sources de financement : l'internet (G3 et G4), des lignes de crédits bancaires sans intérêt destinées aussi bien à l'infrastructure qu'à la production et à la distribution, un montant accordé par les télés publiques. Cela, outre le prélèvement de pourcentages sur le fonds d'aide à la création littéraire et artistique, les spots publicitaires audiovisuels, le droit artistique et littéraire (l'Otdav), la billetterie unique (6%) et les recettes du registre-serveur. Cela sans compter la création d'autres ressources, tel le fonds de garantir pour les grands projets culturels dont essentiellement le cinéma. De plus, et en prévision de la décentralisation, la commission de la réforme du cinéma propose la contribution financière des régions et des municipalités. Enfin, la commission de la réforme suggère que sur 10 films étrangers distribués, le distributeur accorde une avance sur recette de 30 mille dinars à un long-métrage et que sur 20 films étrangers distribués, le distributeur avance 50 mille dinars. Ces grandes lignes de la réforme, notamment dans le domaine de la production, une fois retenues, constitueront le nouveau cadre juridique et réglementaire du cinéma tunisien.