Doc à Tunis, Al Kalimat et Danse à Tunis sont des labels pour qualifier Sihem Belkodja, chorégraphe passionnée de danse et actrice culturelle qui nous a accordé cet entretien où elle parle de ses projets en 2018 et invite les ambassades étrangères en Tunisie à faire plus d'effort pour la promotion des jeunes créateurs tunisiens. On croit savoir que, pour vous, l'année 2018 sera celle de la co-opération internationale. . . Pour moi, c'est une année très féconde. Sept ans après la évolution je sens qu'il y a beaucoup de personnes désemparées et presque déçues. Mais moi, je demeure très optimiste pour ce pays. Loin de la langue de bois, c'est dû à mon expérience au quotidien avec les jeunes de par la danse et mon école de cinéma. Nos jeunes ont aujourd'hui toutes les armes pour développer leurs capacités artistiques mais ce qui leur manque, c'est la visibilité sur le plan international. Avec mon école supérieure de danse et de cinéma, aujourd'hui, je fais un travail de coaching pour accompagner ces jeunes. En France ou en Italie, par exemple, c'est grâce à des centres chorégraphiques de danse que cet art s'est développé. Si chaque chorégraphe étranger vient travailler avec un jeune chorégraphe tunisien, il lui donne les clés pour être à l'international. Cette année, on va avoir la chance de voir la Cité de la Culture fonctionnelle. Il y a la naissance d'un centre chorégraphique qui va œuvrer à la mise à niveau des chorégraphes tunisiens. La mise à niveau ne veut pas dire formater les chorégraphes mais leur permettre d'avoir un regard international qui rajoute à la puissance chorégraphique et lui permet de sortir du strictement local. Le travail doit être vu partout dans le monde et pas seulement en Algérie, au Maroc ou en Egypte. Et pour cela, il faut un vrai travail d'orfèvre sur notre manière d'exprimer les choses artistiquement sans tomber dans la contradiction et la redite. Je parle de la danse et du film documentaire par exemple. Si certains de nos jeunes cinéastes sont en train de percer, c'est parce qu'ils ont eu des bourses à la Femis et se sont frottés à l'ailleurs en quelque sorte. Mais pour nos jeunes danseurs aujourd'hui comme il est très difficile d'avoir un visa pour qu'ils puissent jouir de cette expérience de l'ailleurs, il faut qu'on ramène cet ailleurs chez nous. Les meilleurs coachs en chorégraphie doivent venir à Tunis dans ce cas et partager leur expérience avec nos jeunes. Et je pense que c'est le rôle des ambassades qui se trouvent en Tunisie. Aujourd'hui, si la France et l'Allemagne répondent présent, les autres ambassades restent en retrait. Je demande à toutes les ambassades d'être à l'écoute de cette jeunesse qui les émerveille. Alors, il faut lui donner des ailes en ramenant le monde à eux jusqu'ici en Tunisie. Ensuite, ils voyageront par leurs chorégraphies. Vous avez parlé d'un projet «Ibn Battouta»... Comme l'Europe a créé Erasmus, moi, je veux créer «Ibn Battouta». Pouvoir traverser le monde et étudier dans d'autres facultés où avoir une résidence payée par l'Europe et qui dispense ce savoir artistique. Aujourd'hui les ambassades doivent participer à cet effort. Nous n'allons pas tous les jours pleurnicher pour les visas par contre, on peut ramener ces coachs et ces professeurs qu'on admire pour encadrer nos jeunes pendant une semaine ou deux en Tunisie. Je voudrais qu'à travers leurs ambassades, la Suède et le Danemark soient chez nous mais aussi l'Afrique du Sud, le Maroc et la Mauritanie. Je souhaite que toutes les ambassades s'attellent à cette initiative. Il faut qu'il y ait un réel va-et-vient et pas uniquement des rencontres. Ces résidences ne sont pas nouvelles en Tunisie mais cela se fait toujours dans une niche. Dorra Bouchoucha le fait par exemple avec Sud Ecriture. Mais aujourd'hui, il faut multiplier cela dans les 24 gouvernorats. J'ai entamé cette initiative que j'ai appelée «Fabrica» dans ces régions. Je ne fabrique pas des jeunes. Ils ont déjà du talent mais je les encadre pour que leurs œuvres rayonnent à l'échelle internationale. Je parle des domaines qui m'intéressent bien entendu, à savoir le cinéma et la danse chorégraphique. Je tiens à mentionner d'ailleurs qu'aucun pays arabe, aucun pays africain n'a le potentiel chorégraphique qui existe en Tunisie. Mais nous avons toujours des failles dans nos créations. C'est en cela qu'un regard extérieur peut avoir un poids considérable au service de nos jeunes et de leurs créations. Ces ambassades n'ont pas toutes les moyens... Je ne demande pas que des moyens ! Mais c'est aux attachés culturels des ambassades de trouver les personnes adéquates pour que je puisse les inviter à mon festival. Des personnes qui puissent donner un plus aux Tunisiens. Je ne peux pas connaître tout le monde sur internet. C'est pour cela que cette année, je vais travailler sur la coopération internationale. Je reconnais que je suis gâtée par la France. L'Allemagne et l'Italie ont été mes écoles. Mais je veux que les autres pays développent autres choses avec la Tunisie. En tout cas, je veux travailler de concert avec les ministères des Affaire culturelles, de la jeunesse et des sports pour que l'image de la culture et partant de la Tunisie soit partout dans le monde. Cette année, le ministère des Affaires culturelles lance ses premières journées chorégraphiques de Carthage, qu'en pensez-vous ? En tout cas, je ne considère pas cela comme une concurrence ! Il y a plusieurs expériences qui se font aussi comme le lancement d'un festival à Sfax du 29 janvier au 4 février. On est au début de quelque chose et je pense que c'est l'année de la danse si on s'y met vraiment. Il y a 13 conservatoires qui dispensent une formation depuis l'âge de 6 ans et il va voir un diplôme national reconnu par l'Etat. Mais nous, on n'en veut plus ! Rendons nos créations exportables ! Aujourd'hui, je me pose la question de savoir s'il faut ramener une compagnie de danse qui coûte 7.000 euros (ça veut dire 21.000 dinars !) ou 21 professeurs à 1.000 dinars. C'est un dilemme pour moi ! Dois-je continuer à organiser ce festival de danse où j'ai ramené 450 chorégraphes du monde entier ? Aujourd'hui, le même cachet est multiplié par trois ! Qu'est-ce que je dois choisir, la formation ou la diffusion ? Je pense qu'aujourd'hui la formation est essentielle. Il ne s'agit pas de former l'artiste mais de travailler plutôt sur le «produit» final qui doit être exportable et pas uniquement local. Aujourd'hui, tous nos festivals font un petit marché mais nous ne travaillons pas sur la qualité de l'exportation de la culture.