Le mois de novembre dernier, le monde découvrait avec stupéfaction des vidéos publiées par la chaîne anglaise CNN sur la vente de migrants subsahariens sur les marchés libyens. Ces douleurs enfouies, il y a maintenant plus d'un siècle, refont de nouveau surface, suscitant une vive polémique sur la persistance de cette pratique arriérée et abolie depuis des lustres. Cette thématique a été le sujet d'une conférence organisée lundi dernier par l'Instance de lutte contre la traite des personnes (Inltp) et l'Observatoire des droits de l'enfant en collaboration avec l'Organisation internationale pour les migrants (OIM) «La traite des personnes et surtout celle des enfants est un phénomène qui ne cesse de prendre de l'ampleur dans le monde. Il n'y a pas de pays où il n'y a pas de traite d'enfants. Elle représente le 3e commerce le plus rapporteur, suivi de celui des armes et des drogues», a souligné Hager Cherif, Directrice Générale de l'Observatoire des droits de l'Enfant. Ainsi s'ouvre la conférence : sur des chiffres alarmants qu'on n'espérait pas entendre. L'engagement de la Tunisie dans la lutte contre la traite humaine Mme Lorena Lando, chef de mission de l'Organisation internationale pour les migrants (OIM) en Tunisie, a, de son côté, établi la corrélation entre le phénomène de la migration et celui de la traite en mettant notamment en exergue le rôle pionnier de l'OIM dans la lutte contre ce dramatique fléau ainsi qu'à travers la promotion d'une législation contraignante. «La traite est un phénomène transnational car il est justement transfrontalier et nécessite l'effort et l'engagement de tous. Aujourd'hui, 1 enfant sur 70 ne se trouve pas dans son pays d'origine et environ 200 000 enfants ne sont pas accompagnés par leurs familles, et ce sont ces derniers qui sont les plus exposés à la traite, à l'exploitation et aux maltraitances physiques et morales» Mme Lando a en outre signalé l'engagement de l'OIM et son soutien pour la mise en vigueur de la célèbre loi organique n° 2016-61 du 3 août 2016 relative à la prévention et à la lutte contre la traite des personnes. Cette loi qui définit la traite des personnes criminalise tout type d'exploitation de personnes, à savoir : l'esclavage, la servitude sexuelle et les crimes transnationaux et définit les sanctions de toutes les peines relatives à la traite. Bien qu'elle soit peu connue, elle représente une vraie révolution législative. Mme Naziha Laabidi, ministre des Affaires de la Femme, de la Famille et de l'Enfance, a quant à elle, rappelé les grandes avancées effectuées par la Tunisie, tout au long de son histoire. En effet, la Tunisie est le premier pays arabe et musulman à avoir aboli la servitude et l'esclavage sous la gouvernance de Ahmed Bey (le 23 janvier 1846, la Tunisie a aboli définitivement toute forme d'esclavagisme et de traite des personnes sur son territoire). La ministre a également rappelé l'inauguration récemment de l'Instance nationale de lutte contre la traite des personnes, sous l'égide du ministère de la Justice, et ce, en janvier 2018. « En plus de la loi de 2016, de l'inauguration de l'INLTP, la Constitution tunisienne de 2014 abonde de dispositions criminalisant la traite et protégeant l'intégrité physique de chaque personne ainsi que le respect des droits humains. Nous avons également élevé l'âge de travail de l'enfant de 13 à 16 ans. Et nous continuons tous les jours à veiller à la protection des enfants de l'exploitation et des travaux forcés». Mme Laabidi a notamment rappelé la ratification de la Tunisie du protocole n° 3 relatif aux droits humains et la mise en place de stratégies nationales pour cette lutte. «Notre pays est le 4e pays arabe et le 26e mondialement à l'avoir ratifié. En effet, notre pays est pionnier dans la lutte contre la traite et nous n'hésiterons pas à aller plus loin dans la promotion des droits humains et ceux des enfants et des personnes vulnérables. Malgré le peu de ressources dont nous disposons, nous poursuivrons notre travail », a-t-elle affirmé avec détermination. Prenant à son tour la parole, la représentante de l'OIM a tout d'abord présenté l'organisation qui est une organisation intergouvernementale qui s'active dans le suivi des migrants en leur prodiguant assistance et conseils. Depuis sa création, l'organisation entreprend des actions pour la lutte contre toutes les formes d'exploitation des migrants, en particulier la traite des personnes. La représentante a, en outre, dénoncé le manque d'abris d'urgence et de services adaptés aux enfants victimes, ce qui engendrera, selon elle, un risque de re-victimisation d'autant plus que les familles sont souvent impliquées. Elle a signalé que 14% des victimes de la traite sont principalement des enfants et que les secteurs d'exploitation ne sont pas relatifs qu'à la vente des enfants et l'esclavagisme. La représentante de l'OIM a affirmé, par ailleurs, que la traite des humains existe bien en Tunisie et dans toute la région MENA. Le cadre juridique de la traite et de l'exploitation des enfants Le magistrat chargé de mission auprès du cabinet du ministre de la Justice, M. Omar Yahyaoui, s'est étalé sur le cadre juridique relatif à la traite des personnes à la lumière de la loi organique n° 61-2016. Cette dernière est venue concrétiser le principe de lutte contre la traite humaine et renforcer l'application de l'accord de la commission européenne relatif à la lutte contre la traite des personnes de 2005 et du protocole de Palerme (ayant défini les droits de la victime). Selon l'expert juridique, on parle de traite des personnes lorsque trois actes sont réunis qui sont l'action (le transport, le recrutement, le transfert...), le moyen utilisé (menace, utilisation de la force ou de la contrainte, tromperie...) et le but (pour des fins d'exploitation). «Cependant, lorsqu'on parle de traite des enfants, il n'est pas utile de considérer le moyen mais plutôt l'action et le but, car l'enfant est un être vulnérable et n'a pas assez de conscience et de capacité à comprendre», a ajouté l'expert. Quant aux mécanismes de signalement et de suivi des enfants victimes de la traite, M. Mihyar Hamadi, délégué général à la Protection de l'enfance, a apporté plus d'éclairage sur les diverses formes d'exploitation mais surtout sur les facteurs qui poussent les acteurs à les exploiter, malgré leur vulnérabilité. «L'inconscience des familles, leur précarité économique, l'interruption de la scolarité de l'enfant, l'absence du contrôle des autorités sont tous des facteurs qui ont poussé à la traite des enfants. Ayant une certaine vulnérabilité psychique et étant très facilement influençables du fait de leur inconscience, ces enfants sont des proies faciles. On leur vend des rêves pour les attirer et les exploiter». Bien qu'elle soit un phénomène dramatique, la traite des enfants peut générer d'autres faits aussi odieux et infâmes, tel que les différents types de trafic d'organes ou de drogue, l'atteinte à l'intégrité de l'enfant et son implication dans de graves crimes organisés et la délinquance. Cette rencontre a été enrichie par la présence de concitoyens marocains, égyptiens, libanais et jordaniens venus tous soutenir la lutte contre la traite des personnes en général et des enfants en particulier. Elle a été l'occasion pour ces responsables de faire entendre la voix de l'engagement de leurs Etats à travers la ratification des accords et conventions pour la promotion des droits humains et exprimer leur révulsion face à cet ignoble fléau.