A la veille de la fête de la République, plus de 90 ONG se sont réunies pour signer le «Pacte de la Tunisie pour l'égalité et les libertés individuelles»... Encore une fois, c'est la société civile en Tunisie qui prend l'initiative pour faire bouger les choses. Devant le silence assourdissant de la classe politique au moment de la publication du rapport de la Commission des libertés individuelles et de l'égalité (Colibe) le 12 juin dernier, plus de 90 associations tunisiennes et ONG internationales des droits humains ont signé, avant-hier, le «Pacte de la Tunisie pour l'égalité et les libertés individuelles». Une marque de soutien à la commission présidée par l'avocate et députée Bochra Belhaj Hamida, mise en place le 13 août 2017 par le président de la République et dont les membres font face actuellement à plusieurs campagnes de diabolisation, de diffamation et d'intox. A la veille de la fête de la République, un congrès de Tunis sur les libertés et l'égalité, dont le slogan, qui résonne comme une promesse, s'intitule « Vivre ensemble. Libres ensemble », a été organisé à la Cité de la Culture. Une manifestation aux couleurs de la fête où des artistes tels Nouri Bouzid, Majd Mastoura, Jalila Baccar, Leyla Toubel, Lobna Noomane, Malek Sebai, Leyla Hajaiej, Malek Zwaidi, Raoudha Abdallah, Yasser Jradi... sont venus démontrer leur engagement pour une Tunisie égalitaire, digne et libre. Ils ont présenté devant un large public, pratiquement acquis d'avance, des performances, des chants, des danses et des lectures de poésie sur le thème des libertés individuelles. Un moment décisif « Convaincu-e-s de notre droit de vivre dans une Tunisie fédératrice de toutes et de tous dans nos différences, la diversité de nos couleurs, nos parcours, nos modes de vie et nos convictions ; Acquis-e-s aux libertés dont nous nous rapprochons chaque jour. Soucieux (ses) de préserver notre pays des divisions, humiliations et exclusions ainsi que de transmettre aux générations futures une Tunisie meilleure. Nous, individus et groupements, considérons que nous vivons aujourd'hui un moment décisif avec la publication du rapport de la Commission des libertés individuelles et de l'égalité et sa diffusion au public ». Ainsi s'expriment, dans le préambule, les 92 signataires du Pacte de la Tunisie pour l'égalité et les libertés individuelles, qui demandent à ce que les recommandations de la Colibe soient traduites en dispositions législatives pour assainir le Code pénal de toutes les lois discriminatoires envers les femmes, les enfants et les minorités sexuelles. Et de faire de la Tunisie un Etat de droit, un Etat en harmonie avec sa nouvelle Constitution et avec les standards internationaux des droits humains. Rédigé en dix points, le Pacte revient sur les grandes lignes des recommandations de la Colibe. Parmi ces recommandations, on peut citer : l'égalité femmes-hommes, y compris dans l'héritage, la dépénalisation de l'homosexualité, l'abolition de la peine de mort, la présomption d'innocence ou encore la liberté de disposer de son corps et les libertés de conscience, d'expression et de religion. Menaces de mort La manifestation d'avant-hier veut aussi rappeler au président Béji Caïd Essebsi sa promesse du 13 août dernier, au moment où il présentait la Colibe, d'abolir toutes les formes de discriminations législatives envers les femmes tunisiennes. Une promesse qui est venue dans le sillage de l'adoption par le Parlement le mois de juillet 2017 d'une loi très favorable à la gent féminine, celle-là qui s'oppose aux violences faites aux femmes. Une loi en accord total avec les conventions internationales en la matière. Pourtant, devant les attaques et les menaces de mort qu'affronte la Commission de Bochra Belhaj Hamida, accusée à tort de vouloir légaliser le mariage gay et d'interdire la circoncision, le Président observe un lourd silence. « Prendra-t-il une décision concernant ce projet le 13 août prochain, à l'occasion de la fête des femmes tunisiennes ? », s'interrogent beaucoup d'observateurs. En attendant, la société civile continue à se mobiliser, notamment pour protéger les recommandations de la Colibe contre tout détournement, distorsion ou instrumentalisation. Ainsi, des ambassadeurs et des ambassadrices des libertés individuelles et de l'égalité ont été désignés parmi les artistes, intellectuels et journalistes tunisiens. Ils auront la tâche d'expliquer et de vulgariser le contenu d'un projet qui « s'inscrit en continuité avec le mouvement réformateur qu'a connu la Tunisie dès le dix-neuvième siècle et qui nous a valu des avancées et des acquis importants, tels que l'abolition de l'esclavage, un enseignement moderniste, la fondation de la centrale syndicale, l'adoption du Code du statut personnel... », affirmait, lors de la conférence de presse où la Colibe avait présenté en juin son rapport, le Professeur Abdelmagid Charfi, membre de la Commission des libertés individuelles et de l'égalité et islamologue. D'autres ONG, comme le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt), tourneront dans les régions à bord de caravanes pour poursuivre un travail de sensibilisation et d'échange autour des questions clés du rapport. Sur les libertés individuelles et l'égalité totale entre les femmes et les hommes, le débat promet d'être long et parfois houleux...