La Tunisie , qui a célébré comme tous les autres pays, la Journée mondiale de la lutte contre la traite des personnes, s'est engagée pour la campagne mondiale «cœur bleu». Décrétée par l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (Onudc), cette campagne vise à mobiliser l'opinion publique et les Etats dans le monde entier contre la traite et l'exploitation humaines. Il est lundi et la chaleur est torride. Pourtant, beaucoup ont choisi de se déplacer pour célébrer la Journée mondiale contre la traite des personnes qui est organisée par l'Instance nationale de lutte contre la traite des personnes (Inlctp), en partenariat avec l'Onudc et l'organisation des Nations unies chargée des migrations (OIM) et d'adhérer au symbole du soutien aux victimes le «cœur bleu». Des stands d'associations et d'organisations engagées dans cette campagne étaient présents à l'entrée, afin de présenter leurs travaux et rendre compte de leur engagement et leur mobilisation face à ce phénomène endémique. Il s'agit de l'Association des avocats sans frontières (ASF), Tunisie terre d'asile, Beity, «Lasna lil Ettijar» (Not for trade), etc. Après la projection de deux spots préparés par l'OIM qui dénoncent la réalité de la traite, notamment en Tunisie, à travers une jeune femme subsaharienne venue travailler en Tunisie, celle-ci révèle les conditions exécrables dans lesquelles elle travaille, ainsi que son exploitation domestique, c'est M. Ghazi Jeribi, ministre de la Justice, qui prend la parole. «Ce jour est un jour de célébration de l'annonce de la stratégie nationale qui a été adoptée par le conseil des ministres le 1er juin 2018 et de la Journée mondiale contre la traite des personnes. Nous avons cru avoir dépassé ce fléau, mais il revient aujourd'hui sous d'autres formes et s'accroît de jour en jour. On parle aujourd'hui d'un crime organisé qui a été instrumentalisé. Nous devons nous engager, acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux, dans le mouvement "cœur bleu", surtout en cette journée qui symbolise la journée de la dignité pour les victimes de la traite et représente notre engagement afin de promouvoir leurs droits et les protéger». Dans son allocution, le ministre a notamment mis en exergue la dangerosité de ce crime qui est le 3e des plus répandus dans le monde, après l'industrie des armes et des drogues, et a rappelé la mobilisation législative de la Tunisie, à travers la loi organique relative à la prévention et à la répression de la traite des personnes, n 61-2016 visant à lutter contre ce crime et se basant sur les 4 piliers de ladite loi : prévention, protection, poursuites et partenariats. Un «cœur bleu» pour les victimes de la traite La présidente de l'Inlctp, Mme Raoudha Laâbidi a, quant à elle, rappelé le rôle pionnier de la Tunisie dans la suppression de l'esclavagisme, du fait qu'elle est le 1er pays arabe et musulman à l'avoir aboli en 1846, sous Ahmed Bey. «Contrairement à ce que beaucoup peuvent le croire, la traite existe bien en Tunisie. Les fillettes qu'on voit travailler comme domestiques n'ont que 10 et 11 ans. Il ne faut pas non plus occulter le départ de nos jeunes filles aux pays du Golfe sous des contrats fictifs et dont on ignore la portée. C'est malheureusement une nouvelle forme de traite et d'exploitation. Il s'agit du phénomène qui touche le plus les droits de l'Homme en Tunisie». La présidente a dévoilé certains chiffres établis par l'instance; 742 cas de traite des personnes ont été répertoriés dans la période du 1er avril 2017 au 31 janvier 2018, dont 100 étrangers. «L'exploitation économique représente 72% des cas de traite qui est suivie par l'exploitation sexuelle, qui constitue 19% des cas recensés. En outre, 38% des cas sont des victimes de la traite des enfants». Des chiffres qui rendent conscience de l'ampleur du phénomène en Tunisie, en dépit des cas qui ne sont toujours pas identifiés. Mme Laâbidi a réitéré le soutien de son instance aux victimes et a appelé tous ceux qui se sentent menacés ou qui voient une personne subir ce crime à alerter l'Instance de lutte contre la traite des personnes. «Il est certainement difficile comme citoyen d'intervenir, mais on peut changer les choses en diffusant une photo ou en lançant un appel», faisant allusion à la vidéo ayant circulé lors de l'été 2017 où une femme âgée faisait travailler une fillette d'à peine 8 ans et qui a été arrêtée suite à ce scandale. Pour Mme Paula Pacci, représentante de l'OIM en Tunisie, la traite qui est définie par les Nations unies comme «le recrutement, le transport, le transfert, l'hébergement ou l'accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d'autres formes de contrainte par enlèvement, fraude, tromperie, abus d'autorité ou d'une situation de vulnérabilité, ou par l'offre ou l'acceptation de paiements ou d'avantages pour obtenir le consentement d'une personne ayant autorité sur une autre aux fins d'exploitation», est une forme abusive du traitement humain qui émane principalement du phénomène migratoire. Elle a notamment relevé le rôle crucial des acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux dans la protection des personnes les plus vulnérables ou ayant une précarité financière, qui sont les plus sensibles à être les cibles de trafiquants, à savoir les enfants et les immigrants. «L'OIM soutient la Tunisie depuis 2011 dans sa lutte contre la traite dans sa mise en œuvre de différents projets dont le projet Share 2». Selon un rapport de l'Onudc effectué en 2016, 66% des victimes de la traite dans la zone Mena sont des femmes et des enfants. En Tunisie et dans la même année, 38% des victimes sont des enfants et 42% sont des femmes. Présentation de la stratégie nationale de la lutte contre la traite des personnes Membre de l'Inltp, Mme Sana Ben Achour a présenté la stratégie nationale de lutte contre la traite des personnes qui vient d'être récemment adoptée par le conseil des ministres. «C'est un document purement politique car il répond à des problématiques socioéconomiques majeures. C'est une stratégie qui concerne un crime qui s'accroît d'année en année. Il n'est certes pas contraignant, à l'image des lois ou de la constitution, mais porte une forme d'engagement moral et politique qui doit mobiliser toutes les hiérarchies de l'Etat», a-t-elle déclaré. Cette stratégie a consacré les quatre domaines d'intervention convenus au niveau international : prévention, protection, poursuites, coopération et création de partenariats à des échelles nationales et internationales, et ce, à travers la sensibilisation sur la gravité du phénomène de la traite. Elle se base également sur d'autres points qui s'articulent autour de l'amélioration des connaissances et de la recherche dans ce domaine, la mise en place d'un mécanisme d'aide aux victimes, le renforcement de l'efficacité de la répression des crimes de la traite et de la protection de ses victimes et, finalement, la consolidation de les coopérations bilatérale, régionale et internationale et faire le suivi des politiques menées. La fin de la session a été couronnée par la signature de partenariats entre l'Inlctp et 9 institutions et associations ; Association Amal, Association Beity, Avocats sans frontières, Al Kachefa Ettounisseya, Not for trade (Lasna lil Ettijar), Tunisie terre d'asile, la Faculté des sciences juridique, économique et de gestion de Jendouba, l'Institut supérieur des études juridiques de Gabès et l'association Nebras.